L'empreinte environnementale du numérique

Événement « Satellites et environnement »

« Les méga-constellations pourraient potentiellement fragiliser toute l'orbite basse »

Lire l'interview des présidents de l'Ademe, de l'Arcep et du CNES

Prévoir la météo, anticiper des risques naturels, aider à la navigation, diffuser l’information, apporter la connectivité à tous et partout, ou encore mesurer les effets du changement climatique… les satellites, envoyés dans l’espace depuis sept décennies, facilitent la vie des citoyens au quotidien et profitent à la connaissance scientifique pour la préservation de notre planète.

Ces trois dernières années, la soudaine multiplication des mégaconstellations a initié un véritable changement d’échelle : en l’absence d’une régulation internationale adaptée, les quelques 9 000 satellites actuellement présents au-dessus de nos têtes pourraient, selon l'ONU, plus que décupler dans la prochaine décennie. Ce constat pose avec une acuité nouvelle la question de leur impact environnemental, à la fois sur Terre et dans l'espace.

Pour enclencher une réflexion collective, nécessaire et urgente sur le sujet, le 20 novembre 2023, l'Arcep, l'ADEME et le CNES ont organisé une journée d'échanges et de débats à la Cité des Sciences et de l'Industrie :

« Satellites et environnement : quand les promesses des mégaconstellations se heurtent aux limites de l'espace »

L'aperçu de la journée :


Session 1 : un récit de l’espace, par l’écrivain Jean-Pierre Goux

🎤 Intervenant·e·s : Jean-Pierre Goux (romancier, mathématicien et conférencier)

📝 En bref : Jean-Pierre Goux nous invite à prendre du recul et revient sur l’histoire de l’exploration spatiale, mélange de rêve et de convoitise. Il nous rappelle que l’espace a toujours été la focale d’une humanité en quête de sens ; qu’il permet à notre espèce de réaliser qu’elle fait partie intégrante de l’écosystème Terre et de contribuer à donner à cet écosystème, que certains nomment Gaïa, une vision de lui-même ; mais qu’il est aussi l’extension de tous nos excès terrestres. Alors après avoir donné à la Terre sa première vision d’elle-même grâce à l’exploration spatiale, l’humanité va-t-elle de nouveau la rendre aveugle par la conquête spatiale ?

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Session 2 : accueil croisé par l’Arcep, l’ADEME et le CNES

🎤 Intervenant·e·s : Laure de La Raudière (présidente de l’Arcep) ; Lionel Suchet (directeur général délégué du CNES) ; Sylvain Waserman (président de l’ADEME)

📝 En bref : Comment conjuguer les savoir-faire de l’Arcep, de l’ADEME et du CNES pour concevoir une régulation pertinente du développement récent des constellations de satellites en orbite basse ? Avec l’expertise de la « finitude » et des études d’impact de l’ADEME, la connaissance fine des technologies spatiales du CNES et le pouvoir de régulation de l’Arcep sur les fréquences attribuées aux satellites, un chemin semble se dessiner… car, comme le dit Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep, « pour que l’espace continue de faire rêver, la gestion de cet espace doit être durable ».

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📈 Infographie à l'appui :

Session 3 : dialogue avec les participants sur les attentes de la journée et l’identification des enjeux

🎤 Intervenant·e·s : Sabrina Andiappane (ingénieure aérospatial, membre de l’Académie des technologies et fondatrice de @SciencesFilles) ; Julien Doche (ingénieur aérospatial, membre d’AERO-DECARBO et du collectif « Pour un réveil écologique »)

📝 En bref : Dans cet espace que l’on pensait trop vaste pour avoir à se contraindre, l’environnement a d’abord été un non-sujet pour l’industrie spatiale. « Le spatial est le grand oublié de la décarbonation », résume ainsi Julien Doche. Aussi, les inquiétudes récentes sur l’impact des satellites mettent le secteur - plus que toute autre activité économique - face à des injonctions contradictoires. Pour Sabrina Andiappane, « lorsqu’on est ingénieure dans cette industrie, on devient schizophrène. Et le sujet des mégaconstellations nous permet enfin de le réaliser ». Une réalisation qui laisse place à de nombreux questionnements : que peut-on faire dès maintenant pour rendre l’activité spatiale soutenable ? Comment quantifier correctement les coûts, identifier les impacts ? Et à quels usages de l’espace donner la priorité, et pour quelle utilité sociétale ?

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La cartographie des acteurs des satellites et de l'environnement, par le Collectif TAMA

L'industrie liée à l'exploitation des satellites de télécommunication est en plein développement et de nombreux acteurs gravitent de près ou de loin autour de cette activité : industriels du spatial, industriels des télécoms et du numérique, associations environnementales ou d'astronomes, institutions nationales ou internationales...

Pour tenter d'y voir plus clair sur cet écosystème, le Collectif TAMA (composé de deux designers spécialisés dans la visualisation de relations) a élaboré une cartographie des acteurs des satellites et de l'environnement. Ils se sont pour cela appuyés sur les discussions de la journée et ont animé, tout le long de la journée du 20 novembre, un atelier de cartographie participative afin de récolter - directement auprès des participants intéressés - des informations de première main sur leur secteur rendant compte de la diversité des parties prenantes.

Cette cartographie, ayant été réalisée de manière participative, n'est pas exhaustive. Elle fait cohabiter des points de vue, ceux des personnes qui ont contribué à la carte, et les perspectives ouvertes par les discussions de la journée.

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Session 4 (plénière) : les nouvelles constellations satellitaires au service du bien commun ? Quels usages, pour quels bénéfices et impacts ?

🎤 Intervenant·e·s : Estelle Malavolti (économiste et enseignante-chercheuse à l’école nationale de l’aviation civile, membre associée de TSE) ; David Bertolotti (secrétaire général d’Eutelsat) ; Irénée Régnauld (chercheur et fondateur de l’association « Le Mouton Numérique ») ; Jean-Luc Fugit (député du Rhône et vice-président de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; Loïc Duflot (chef du service de l’économie numérique à la DGE)

📝 En bref : Quel est la place du satellite dans un pays, la France, qui a fait le choix de la généralisation de la fibre pour répondre aux besoins de connectivité des citoyens et des entreprises ? Cette solution doit-elle se superposer aux autres réseaux au risque d’être largement surdimensionnée ou doit-elle simplement combler les manques dans les territoires les plus isolés ? Selon, comment éviter la saturation de l’orbite terrestre ? Offrir du très haut débit implique-t-il nécessairement l’usage de mégaconstellations en orbite basse, proposant une latence plus faible, ou peut-on se contenter de satellites géostationnaires moins nombreux et moins gourmands en ressource ? Une chose est sûre, pour nos intervenants, la position hégémonique de SpaceX pourrait nous priver de toutes marges de manœuvres… sauf si, comme le dit David Bertolotti (secrétaire général d'Eutelsat), les pays européens activent « les leviers réglementaires à leur disposition, comme l'insertion de critères environnementaux à l'autorisation d'attribution de fréquence de l'Arcep ».

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Session 4 (espace rencontre) : pourra-t-on voir encore « rire les étoiles » ? Débat autour de la pollution lumineuse et radio

🎤 Intervenant·e·s : Nicolas Biver (astrophysicien et chargé de recherche au CNRS, au LESIA et à l’Observatoire de Paris), Christophe Digne (directeur général adjoint de l’Agence nationale des fréquences, ANFR), Chiara Ferrari (astronome à l’Observatoire de la Côte d’Azur)

📝 En bref : « Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. » Et si cette promesse du Petit Prince ne pouvait plus être tenue ? Se pose en effet aujourd’hui avec acuité la question de la pollution lumineuse et radio engendrée par la multiplication des mégaconstellations dans le ciel. Astronomes et astrophysiciens nous alertent sur les nombreuses difficultés posées par cette technologie. « Quand il y aura environ 30 000 satellites en vol, la probabilité de voir des satellites dans le champ de vue du télescope sera de 40%, estime Chiara Ferrari. Cela réduit fortement notre capacité d’observation. Si ce nombre augmente encore, le risque est de diminuer de 100% les capacités d’observation depuis la Terre. » De quoi, par exemple, rendre impossible la découverte de comètes ou astéroïdes menaçant la Terre. La pollution lumineuse pourrait donc, elle-aussi, être un enjeu vital.

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📈 Infographie à l'appui :

 

Session 5 : un satellite, ça pollue quoi et ça pollue quand ?

🎤 Intervenant·e·s : Loïs Miraux (ingénieur aérospatial, expert sur l’impact environnemental des activités spatiales et membre de l’association AERO-DECARBO ; Marie Jacquesson (cheffe du service Structures thermiques et matériaux du CNES) ; Erwan Le Ho (chargé de la transformation durable à Thalès Alenia Space)

📝 En bref : Plusieurs centaines d’acteurs de pays différents impliqués dans la chaîne de production, des exigences techniques et de sécurité très élevées, des phases de développement très longues, de grandes inconnues sur l’effet des émissions de gaz à effet de serre en haute altitude, des données industrielles sensibles et le plus souvent confidentielles, une diversité de taille et d’altitude de satellites (allant de quelques kilos à plusieurs milliers et de 300 kilomètres à 36000 kilomètres en orbite), une variété de lanceurs… Mesurer l’impact environnemental d’un satellite est, dans ce contexte, un véritable défi et invite à redéfinir la culture du secteur spatial. « Il faut faire les bons choix stratégiques maintenant », selon Marie Jacquesson. Car finalement peu importe les efforts d’écoconception réalisés, pour Loïs Miraux, « le seul levier efficace dont on dispose maintenant est de faire moins de lancements ». L’Union Européenne donnera-t-elle le bon exemple ? Selon Erwan Le Ho, « la constellation européenne IRIS² ne sera pas une constellation à plusieurs milliers de satellites » comme l'est Starlink.

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📈 Infographie à l'appui :

Session 6 (plénière) : quelles solutions techniques pour limiter la multiplication des déchets spatiaux ?

🎤 Intervenant·e·s : Clyde Laheyne (cofondateur de Dark), Christophe Bonnal (expert sénior au CNES et président de la commission « Débris spatiaux » de l’Académie Internationale Astronautique), Claire Elss (co-fondatrice et présidente de l’association Cosmos for Humanity)

📝 En bref : La multiplication des débris spatiaux menace de rendre impossible l’exploration spatiale et l’utilisation de satellites pour plusieurs générations. Quelles solutions pour éviter ce scénario catastrophe (aussi appelé « syndrome de Kessler ») alors que la pollution de l’espace proche oblige déjà des satellites actifs (dont ceux du CNES) à effectuer des manœuvres d’évitement de collisions ? Faut-il adopter des directives internationales plus contraignantes sur l’usage des satellites ? Existe-t-il des technologies crédibles pour intercepter et désorbiter des débris en si grandes quantités ? Selon Clyde Laheyne, une chose est sûre : « si nous parvenons à résoudre les problèmes liés à la gestion des déchets spatiaux déjà en orbite, cela ne changera rien à vos vies. Si nous n’y arrivons pas, cela changera tout dans vos vies ».

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Session 6 (espace rencontre) : protection des océans et coopération internationale, que peut-on transposer à l’espace ?

🎤 Intervenant·e·s : Catherine Chabaud (députée européenne, ex-navigatrice et co-fondatrice de l’association « Océan Bien Commun de l’Humanité ») ; Thomas Leclerc (maître de conférence et chercheur en droit des espaces et des activités internationales au Centre de droit et d’économie de la mer) ; Paul Watson (fondateur de l’association Sea Sheperd et de Captain Paul Watson Foundation)

📝 En bref : Immensité uniquement régie par des conventions internationales, ballotée entre convoitises géopolitiques et commerciales et velléités de préservation : vous pensez à l’espace ? Pensez aussi aux océans. Ou à « l’Océan » comme préfère Catherine Chabaud. Pour la navigatrice, être seule à sa surface provoque une autre sorte d’overview effect. Et si, en introduction, Jean-Pierre Goux aimait à rappeler que nous sommes tous poussières d’étoiles et faisons donc partie intégrante de ce continuum qu’est l’univers, Paul Watson dresse, lui, le même constat au sujet de l’océan : « nous sommes constitués à 65% d’eau, dont chaque goutte s’est déjà jetée dans la mer, a déjà imbibé un glacier ou imprégné un autre être vivant ». Les parallèles entre espace et océan sont nombreux, et l’expérience de régulation et de préservation (très imparfaite) de nos mers peut nous inspirer des solutions transposables à l’espace… mais dont l’efficacité dépendra de notre capacité à abandonner, décrit Thomas Leclerc, « la vision anthropocentrique de la nature que nous avons tendance à ancrer dans le droit ».

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Clôture par la présidente de l’Arcep

📝 En bref : Chercheurs, associations environnementales, industriels, journalistes ou encore multiples émanations d’autorités publiques… La richesse des échanges de ce lundi 20 novembre 2023 se mesure au nombre de composantes de la société qui y étaient représentées. Événement rare : toutes se sont alarmées de la multiplication des satellites et de leurs impacts environnementaux croissants. Surtout, et comme l’a rappelé Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep, toutes se sont inquiétées de « l’absence de régulation, qui seule permettrait d’atteindre la sobriété nécessaire pour un espace durable ». « Le chemin vers cet espace est possible » mais le tracer demandera « une volonté politique émanant des institutions européennes et des grands états spatiaux, dont fait partie la France ». À nous, désormais, d’alerter les décideurs pour que cette exigence soit comprise.

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La bibliographie pour nourrir nos imaginaires

Voici une liste d'ouvrages (essais comme fictions) qui peuvent contribuer à construire une vision commune de l'activité spatiale dont nous avons besoin. Dans ces œuvres, l'espace, ses mystères et sa beauté sont tour à tour source d'inspiration, de questionnements métaphysiques et miroirs de notre humanité.

  • « En quête de planètes », un essai de Léa Griton-Noël sur les perspectives de l'exploration spatiale ;
  • « La Lune est un roman », un essai de Fatoumata Kébé sur notre rapport à cet astre qui rythme la vie de l'humanité ;
  • « Mondes : Mythes et images de l'univers », un essai de Leïla Haddad sur les imaginaires humains du cosmos ;
  • « L'Odyssée cosmique : Une histoire intime des étoiles », un essai de l'astrophysicien Eric Lagadec sur l'histoire de l'observation du ciel ;
  • « Destination Orion : Voyage à bord du télescope James Webb », un essai de Olivier Berné sur l'aventure scientifique et humaine qu'il a mené avec le télescope spatial James-Webb ;
  • « La belle histoire des merveilles de l’Univers », un ouvrage de Alain Riazuelo et Jean-Yves Daniel composé de 150 photographies relatant l'évolution de notre perception de l'univers ;
  • « Frontier », une bande-dessinée de science-fiction de Guillaume Singelin imaginant les ravages d'une conquête spatiale menée par une humanité sans boussole ;
  • « Hawking à la plage », un essai de Arnaud Cassan vulgarisant les travaux de ce chercheur devenu icône planétaire ;
  • « L'astrophysique expliquée par la science-fiction ! », un ouvrage illustré de Noémie Loiseau partant d'exemple de fiction pour mieux appréhender les secrets de l'univers ;
  • « A l'aube de nouveaux horizons », un essai de Nathalie A. Cabrol, directrice scientifique du centre SETI relatant la recherche d'intelligence extraterrestre ;
  • « L'astronomie en 101 infographies », un ouvrage didactique des Editions Larousse qui vulgarise l'astronomie grâce à des infographies accessibles et efficaces.

Et quelques-uns des ouvrages à venir début 2024 :

  • « Révolution bleue - La Petite Princesse », par Jean-Pierre Goux, à paraître en février 2024.
  • « Une histoire de la conquête spatiale », par Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin, à paraître en février 2024.