L'empreinte environnementale du numérique

Etude ADEME – Arcep sur l’empreinte environnementale du numérique en 2020, 2030 et 2050

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Etat des lieux en 2020 : nos équipements et leur durée de vie, premiers responsables de l’empreinte environnementale du numérique

Le numérique, parce qu’il permet le développement de nouvelles façons de communiquer (visio-conférence...), une optimisation et une mise en relation plus facile des acteurs (optimisation des trajets...) ou encore une meilleure connaissance et capacité de pilotage des actifs (batterie, intégration des énergies renouvelables) est et sera un acteur majeur pour faciliter la transition écologique.

Mais comme toutes les technologies, elles requièrent des ressources pour leur fabrication et leurs usages, ainsi que des infrastructures de réseau et de stockage pour fonctionner. En août 2020, le Ministère de la Transition écologique et le Ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance ont confié à l’ADEME et l’Arcep une mission commune visant à mesurer l’empreinte environnementale du numérique en France et à identifier des leviers d’actions et des bonnes pratiques pour la réduire.

Les deux organisations ont remis en janvier 2022 les deux premiers volets consacrés à la mesure de l’ensemble de cette empreinte en 2020, et en mars 2023 le troisième et dernier volet, qui propose une vision prospective à horizon 2030 et 2050. Quels enseignements retenir de cette étude ?

Une étude de l’empreinte carbone du numérique qui pointe l’impact de nos équipements numériques

Pour mesurer ses impacts, le numérique est communément divisé en trois composantes (ou grands tiers) : les équipements des utilisateurs (téléviseurs, smartphones, ordinateurs, etc.), les centres de données et les infrastructures réseaux (fixes ou mobiles), qui relient les utilisateurs entre eux et aux centres de données.

Aujourd’hui, 79 % de l’empreinte carbone du numérique provient de nos équipements, environ 16 % des centres de données et 5 % des réseaux. Et bien que le temps passé devant les écrans ait augmenté significativement ces deux dernières décennies, ce n’est pas l’utilisation des équipements (et donc leur consommation d’électricité) qui est principalement responsable de leur empreinte carbone… mais leur fabrication, à hauteur de 80 % !


Autrement dit, avant même que nous n’utilisions notre dernier smartphone, téléviseur ou ordinateur flambant neuf, il a déjà produit près de 80 % des émissions de gaz à effet de serre qu’il émettra durant sa (trop courte) vie. Sa distribution, pourtant régulièrement accomplie par voie aérienne en complément du transport maritime, paraît en comparaison anecdotique (1 %). Son utilisation occupe la part restante, soit près de 20 %.

Que l’on examine l’empreinte carbone du numérique par sa répartition en grands tiers ou par phase du cycle de vie, on constate donc que la majorité des émissions est liée à la fabrication des terminaux utilisateurs (smartphones, téléviseurs ou ordinateurs par exemple).

Consommation de ressources, métaux et minéraux : l’impact environnemental du numérique ne se limite pas à l’empreinte carbone

L’importance de la fabrication des équipements dans l’empreinte carbone du secteur nous rappelle que les services numériques et la « dématérialisation » qu’ils sous-tendent dépendent en fait d’infrastructures et de terminaux bel et bien matériels et consommateurs de ressources. Ainsi, le numérique est aussi un facteur d’épuisement de certains métaux et minéraux, comme peuvent l’être d’autres industries. A titre d’exemple, une personne vivant en France génère, pour ses seuls usages numériques, près de 300 kilos de déchets par an (y compris les déchets électriques et électroniques ainsi que les déchets liés à l’extraction de matières premières).


Des impacts qui diffèrent nettement selon le type d’équipement utilisé 

En 2020, le nombre total de terminaux en France a été estimé à près de 800 millions. On dénombre d’ores et déjà un grand nombre d’objets connectés mais les terminaux dont l’empreinte carbone est la plus élevée et sur lesquels doivent se porter notre attention sont de loin les smartphones, les téléviseurs et les ordinateurs portables ou fixes. Ensemble, ils représentent plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du numérique.





L’impact environnemental des équipements est en partie déterminé par leur courte durée de vie 

La courte durée d’utilisation des terminaux a une forte influence sur leur empreinte environnementale. C’est notamment le cas des smartphones, dont la durée moyenne d’utilisation est de 2 ans et demi, et des tablettes (3 ans environ). Ces durées (majoritairement issues de la compilation d’autres études) sont toutefois difficiles à mesurer précisément et doivent faire l’objet d’un travail de collecte de données supplémentaires à l’avenir afin d’améliorer les connaissances sur l’impact environnemental du numérique. L’allongement de la durée de vie (qui peut passer par la prolongation de la durée d’utilisation de nos équipements notamment via la réparation, leur reconditionnement pour un nouvel utilisateur et le meilleur recyclage de leurs matériaux en fin de vie) est un important levier d’action pour réduire l’impact environnemental du numérique (voir la partie 3 de ce dossier de presse consacrée aux leviers d’action identifiés par l’étude ADEME-Arcep).


Sans action pour limiter la croissance de l’impact environnemental du numérique, son empreinte carbone pourrait tripler entre 2020 et 2050

Les hypothèses de l’analyse prospective de l’étude ADEME-Arcep 

Dans leur étude, l’ADEME et l’Arcep dessinent un scénario de référence en projetant les évolutions actuelles du numérique. Ce scénario dit « tendanciel », qui s’applique à 2030 et 2050, repose sur l’hypothèse que les tendances observées, qu’elles correspondent à une diminution (par exemple, la diminution continue de la consommation d’énergie unitaire des équipements ou le remplacement du réseau cuivre par un réseau fibre 3 fois moins consommateur d’énergie) ou une augmentation (par exemple, le déploiement de nouvelles infrastructures du fait de la croissance des usages) de l’impact environnemental, se poursuivent.


Dans le scénario tendanciel, les émissions de gaz à effet de serre du numérique augmentent de 45% à horizon 2030, et triplent à horizon 2050 

D’après ce scénario tendanciel, tous les impacts environnementaux seraient en forte croissance en 2030 et 2050. Les émissions de gaz à effet de serre du secteur du numérique, notamment, seraient presque multipliées par trois d’ici 2050.


Cette hausse des impacts est portée par la croissance des usages, elle-même soutenue par un parc grandissant de centres de données. Ces derniers pourraient représenter 22 % des émissions de gaz à effet de serre du numérique en 2050, malgré l’utilisation de technologies leur assurant une meilleure efficacité énergétique. 

En effet, cette répartition d’impact ne doit pas occulter la dimension écosystémique du numérique : l’interdépendance entre terminaux, réseaux et centres de données créée par les usages doit être prise en compte dans l’élaboration de politiques publiques adressant le sujet de l’impact environnemental du numérique dans son ensemble.


Pour réduire l’impact environnemental du numérique dès 2030, des leviers d’action sont identifiés

L’étude ADEME-Arcep présente aussi des scénarios alternatifs au scénario tendanciel portant spécifiquement sur 2030. Ces scénarios permettent de mesurer la diminution des impacts environnementaux du numérique que des efforts sur la conception des équipements et nos modes de consommation permettraient d’atteindre au cours de la décennie. 

Sans prendre le pari d’innovations technologiques de rupture, ils identifient des leviers d’actions impliquant toutes les parties prenantes (fabricants de terminaux, gestionnaires de réseaux ou de datacenters, utilisateurs…). Ce travail distingue 3 scénarios : un scénario dit « d’éco-conception modéré », un scénario « d’éco-conception généralisé » et un scénario « de sobriété ». 

Comment se distinguent concrètement les scénarios pour 2030 ? 

Ces scénarios se basent sur l’évolution possible de 4 variables : le volume de données consommé, le nombre d’équipements, la durée de vie des équipements et la consommation électrique du numérique. 

Les principales hypothèses distinguant les scénarios sont : 

  • L’allongement de la durée de vie des équipements de 1 ou 2 ans grâce à l’éco-conception, la réparation ou un usage plus sobre du numérique ; 
  • La limitation du nombre d’équipements grâce à un usage plus sobre du numérique, l’utilisation de produits reconditionnés ou à la mutualisation des équipements ; 
  • La substitution progressive des équipements les plus gourmands en ressources, notamment par la baisse du parc des téléviseurs au profit des vidéoprojecteurs.

L’étude rappelle également que la substitution d’équipements très consommateurs peut aussi passer par la diminution de la taille des écrans des téléviseurs ou des ordinateurs, qui est directement corrélée à leur consommation d’énergie.

Que signifie plus généralement le terme d’éco-conception ?

Dans quelle logique s’inscrit-il ?  L’éco-conception des services numériques permet une intégration systématique des aspects environnementaux dès la conception et le développement de produits (biens et services, systèmes) avec pour objectif la réduction des impacts environnementaux tout au long de leur cycle de vie à service rendu équivalent ou supérieur. Appliquer cette stratégie d’éco-conception nécessite de repenser nos modes de production de biens et services en ayant toujours pour base une réflexion sur la minimisation de leurs impacts environnementaux. On peut notamment citer :

- L’allongement de la durée de vie des équipements grâce à leur meilleure conception, leur meilleure réparabilité, leur recyclage systématique en fin de vie et l’adaptation de leurs fonctionnalités aux besoins réels de l’utilisateur ;
- L’optimisation des flux vidéo et leur adaptation systématique aux différents terminaux ;
- L’amélioration des performances énergétiques des équipements réseaux et de l’architecture des centres de données ;
- L’optimisation du codage sites et services numériques et la gestion des flux de données afin d’en limiter les impacts énergétiques ;
- Le passage automatique d’un réseau mobile à un réseau fixe (Wifi) quand cela est possible.

Quels résultats ces leviers d’action permettraient d’atteindre en 2030 ?



Ces analyses prospectives mettent en évidence que l’application de principes d’éco-conception « modérée » permettrait de réduire d’un quart la consommation électrique du numérique. Elle laisserait toutefois nos émissions de gaz à effet de serre croître nettement (+20%).

Aller plus loin en appliquant des principes d’éco-conception « généralisée » permettrait de diminuer la consommation de ressources de 15% et de stabiliser l’empreinte carbone croissante du numérique (+5%). 

La combinaison d’actions de sobriété (telles qu’intégrées au scénario de sobriété) et d’efforts d’éco-conception « généralisée » permettrait, quant à elle, de réduire les émissions de gaz à effet de serre (- 16%) plutôt que les stabiliser. 

Dans le scénario de sobriété (qui est le scénario le plus ambitieux pour la réduction des impacts environnementaux du numérique), la consommation de métaux et minéraux indispensables à la fabrication de nos équipements numériques baisse également de manière significative (-30%) et la consommation d’énergie finale diminue de moitié (-52%). 

Dans ce scénario, le nombre d’équipements se stabilise par rapport à 2020 alors qu’il augmente de 65 % dans le scénario tendanciel. Les utilisateurs substituent par exemple leurs équipements pour des terminaux moins consommateurs, les conservent plus longtemps et adoptent des usages plus sobres notamment en matière de flux vidéo et de consommation d’équipements numériques.

A horizon 2050 : des impacts très variables selon les scénarios retenus

A horizon 2030, l’objectif des scénarios envisagés était, sur un horizon de court-terme, de cumuler différentes mesures d’écoconception et de sobriété d’un scénario à l’autre et ainsi identifier des leviers d’action pertinents et leur éventuelle combinaison. A horizon 2050, l’exercice proposé est différent. 

Face à l’urgence climatique, l’ADEME a souhaité soumettre au débat dans son étude multi-sectorielle « Transition(s) 2050 » quatre chemins cohérents et contrastés conduisant la France vers la neutralité carbone en 2050. Les quatre scénarios prospectifs de 2050, intitulés « Génération Frugale », « Coopérations territoriales », « Technologies vertes » et « Pari réparateur », reposent, eux, sur des choix de société marqués dans lesquels la place du numérique, ses usages et ses impacts varient. Dans ce volet 3 de l’étude ADEME-Arcep, les auteurs ont repris ces scénarios pour en proposer une déclinaison spécifique au numérique. 

Les scénarios « Génération Frugale » et « Coopérations territoriales » soumettent le secteur du numérique, comme le reste de l’économie, à des actions importantes de sobriété. Les scénarios « Technologies vertes » et « Pari réparateur » font l’hypothèse d’une croissance plus ou moins forte du numérique et comptent sur les effets positifs indirects de nouvelles technologies sur d’autres secteurs d’activité pour compenser la progression de ses émissions (par exemple, le Smart Building qui, grâce à des objets connectés, promet d’optimiser la consommation d’énergie des systèmes de chauffage, ventilation et climatisation). 

Ces quatre scénarios imaginés par l’ADEME dans son étude « Transition(s) 2050 » sont construits de façon à atteindre la neutralité carbone en 2050 sur l’ensemble de l’économie française (et non sur le seul secteur du numérique). En conséquence, les émissions de gaz à effet de serre du numérique varient d’un scénario à l’autre mais, dans la plupart des scénarios, augmentent significativement. 

Les émissions du numérique y sont alors compensées, par exemple par les gains d’efficacité qu’il apporte aux autres secteurs économiques, parfois grâce à des paris technologiques. Certains scénarios peuvent, pour la même raison, engendrer un report d’impact, compensant une consommation de ressources matérielles plus élevée par une réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Il est à noter qu’il existe une forte incertitude sur la projection de données. Celle-ci est inhérente à l’exercice de prospective, a fortiori pour un secteur en évolution très rapide comme le numérique et à des horizons aussi lointains que 2050. Le rapport détaille les limites méthodologiques au sujet de l‘incertitude sur le nombre d’équipements, leurs caractéristiques, leurs impacts, leur durée de vie et leurs consommations d’énergie. Cet exercice est donc par nature imparfait mais souligne les défis que les acteurs du numérique devront relever pour contribuer positivement à l’évolution de l’empreinte environnementale de notre société.

Les déclinaisons au numérique des 4 scénarios alternatifs imaginés par l’ADEME à horizon 2050

Chaque scénario repose sur des hypothèses différentes mais cohérentes avec un choix de société. Toutes les hypothèses retenues sont à retrouver en intégralité dans le rapport. 

Scénario « Génération frugale » 

  • Description générale de ce scénario par l’ADEME dans son étude « Transition(s) 2050 » :

« Des transformations importantes dans les façons de se déplacer, de se chauffer, de s’alimenter, d'acheter et d'utiliser des équipements, permettent d'atteindre la neutralité carbone sans impliquer de technologies de captage et stockage de carbone, non éprouvées et incertaines à grande échelle. La transition est conduite principalement grâce à la frugalité par la contrainte et par la sobriété. » 

Dans sa déclinaison spécifique au secteur du numérique, le scénario « Génération frugale » repose sur des changements de comportements très importants par rapport aux habitudes qui se sont installées depuis la montée en puissance du numérique. Ces changements vers plus de sobriété pourraient être initiés par des directives réglementaires et une prise de conscience générale. Ils pourraient aussi s’imposer à la suite de situations de pénuries en matières premières et notamment en matériaux stratégiques et indispensables à la transition écologique (le numérique est grand consommateur de matériaux et entre en concurrence avec d’autres secteurs). Dans ce cadre, les loisirs numériques sont limités à un usage sobre (et s’effectuent par exemple beaucoup moins souvent en situation de mobilité) mais l’ensemble de la société a accès à des services numériques prioritaires considérés utiles, comme la santé, l’éducation, la mobilité ou la culture et dispose d’un réseau fixe fibre. 

Scénario « Coopérations territoriales »

  • Description générale de ce scénario par l’ADEME dans son étude « Transition(s) 2050 » :

« La société se transforme dans le cadre d’une gouvernance partagée et de coopérations territoriales. Organisations non gouvernementales, institutions publiques, secteur privé et société civile trouvent des voies de coopération pragmatique qui permettent de maintenir la cohésion sociale. Pour atteindre la neutralité carbone, la société mise sur une évolution progressive mais à un rythme soutenu du système économique vers une voie durable alliant sobriété et efficacité. La consommation de biens devient mesurée et responsable, le partage se généralise. » 

Dans sa déclinaison spécifique au secteur du numérique, le scénario « Coopérations territoriales » reprend des principes de sobriété et d’éco-conception modérés mais s’efforce plutôt de figer les habitudes de consommation des services numériques connues en 2020 en trouvant des voies de coopération pragmatique pour les maintenir. De gros efforts sont notamment réalisés sur la décentralisation et la constitution d’un maillage territorial efficace des serveurs de données. Les besoins en matériel sont systématiquement analysés afin de déterminer les réponses les plus efficaces possibles en termes de performance et d’énergie utilisée. Dans la même logique, l’utilisation des objets connectés s’effectue principalement dans un objectif de gain énergétique.

Scénario « Technologies vertes »

  • Description générale de ce scénario par l’ADEME dans son étude « Transition(s) 2050 » :

« C’est le développement technologique qui permet de répondre aux défis environnementaux plutôt que les changements de comportements vers plus de sobriété. Les métropoles se développent et les technologies et le numérique, qui permettent l’efficacité énergétique ou matière, sont dans tous les secteurs. » 

Dans sa déclinaison spécifique au secteur du numérique, le scénario « Technologies vertes » propose de répondre aux défis environnementaux davantage par le développement technologique et moins par des actions de sobriété. La consommation de données est importante et l’intelligence artificielle déployée dans tous les domaines. Bien qu’une recherche de qualité et de performance limite le suréquipement, le nombre d’objets connectés progresse fortement (autant pour répondre à des besoins domestiques qu’à des besoins collectifs et industriels), tout comme le nombre d’équipements numériques dans son ensemble. Ce développement du numérique répond principalement aux problématiques des territoires urbains. S’il permet d’accompagner la croissance du numérique plutôt que de la freiner, il accentue ainsi la fracture avec la campagne qui bénéficie peu ou pas de ces innovations du fait même de son objet (optimisation par l’intelligence artificielle de la gestion des villes et des réseaux de transport collectif) et de débits moindres sur le réseau mobile (en 5G et générations suivantes).

Scénario « Pari réparateur » 

  • Description générale de ce scénario par l’ADEME dans son étude « Transition(s) 2050 » :

« Les modes de vie du début du XXIe siècle sont sauvegardés. Le foisonnement de biens consomme beaucoup d’énergie et de matières avec des impacts potentiellement forts sur l’environnement. La société place sa confiance dans la capacité à gérer voire à réparer les systèmes sociaux et écologiques avec plus de ressources matérielles et financières. Cet appui exclusif sur les technologies est un pari dans la mesure où certaines d’entre elles ne sont pas matures. »

Dans sa déclinaison spécifique au secteur du numérique, le scénario « Pari réparateur » dessine une fuite en avant du numérique, dont les émissions doivent être compensées par des innovations technologiques comme la capture et la séquestration de carbone. Il devient le maillon central des autres composantes de la société en garantissant leur meilleure gestion et digitalisant tout ce qui peut l’être. C’est la révolution numérique à son paroxysme. Les applications domotiques sont présentes dans la quasi-totalité des foyers, les loisirs et les interactions entre les personnes sont virtualisés à l’extrême. Les villes sont toutes devenues des smart cities, alimentées par des smart grids. Le développement de ces services entraîne une très forte augmentation de la consommation de données et une démultiplication des équipements, autant pour les ménages que pour les entreprises et les services publics. Ce système impose des mises à jour logicielles très fréquentes qui induisent un rythme élevé de remplacement des équipements. En conséquence, l’empreinte carbone du secteur du numérique est démultipliée. Par ailleurs, son besoin d’approvisionnement important en matériaux concurrence d’autres secteurs économiques indispensables à la transition écologique et pose la question de la raréfaction, voire l’épuisement, des matières premières.

Selon le scénario choisi, l’empreinte carbone projetée en 2050 varie fortement : d’une diminution de moitié des émissions jusqu’à leur multiplication par près de cinq 

Dans le scénario « Pari réparateur », l’empreinte carbone du numérique progresse de 372% (le double du scénario tendanciel 2050). La consommation de ressources naturelles est également multipliée pour répondre à la demande de nouveaux équipements comme les casques de réalité virtuelle et un grand nombre d’objets connectés. Le nombre d’équipements numériques y est multiplié par 14 par rapport à 2020, et le nombre d’objets connectés en particulier par 43.



Seule la réalisation du scénario « Génération frugale » entraîne une diminution de l’empreinte du numérique, notamment grâce à une stabilisation du nombre d’objets connectés au niveau de 2020 et le remplacement total ou partiel des équipements les plus gourmands en ressources par d’autres types d’équipements. Par exemple, les téléphones mobiles classiques occupent de nouveau 20% du marché de la téléphonie au détriment des smartphones, qui restent toutefois plébiscités ; les vidéoprojecteurs (qui consomment moins de ressources) sont couramment utilisés et font désormais jeu égal avec les téléviseurs, abandonnés par la majorité de la population et des entreprises ; pour les mêmes raisons, les ordinateurs portables ont supplanté les ordinateurs fixes et sont plus souvent partagés au sein du foyer afin d’en diminuer le nombre par rapport à 2020 ; les écrans publicitaires ont disparu. 

Le scénario « Coopérations territoriales » permet lui de maîtriser la croissance de l’empreinte du numérique en maintenant des usages proches de ceux de 2020, en équipant la totalité de la population en smartphone et en faisant croître de manière modérée le nombre d’objets connectés.


Conclusion

Les résultats de l’étude ADEME-Arcep interpellent sur la trajectoire tendancielle que pourrait prendre le numérique si rien n’est fait. Les scénarios envisagés par l’ADEME, qui visent tous la neutralité carbone, impliquent des changements importants de nos sociétés, notamment en matière de recherche et développement, d’évolution des produits et services dont certains sont inconnus à date, de modes de consommation, de modes de fabrication et de bonnes pratiques de la part des utilisateurs mais aussi des fabricants de terminaux, des opérateurs de réseaux et de centres de données. 

L’analyse des scénarios tendanciels à 2030 et 2050 montre que le secteur du numérique ne s’inscrirait pas dans une dynamique de décarbonation et de réduction des impacts environnementaux en opposition aux engagements pris par la France. Alors que l’objectif de la France est de diminuer drastiquement les émissions de GES à l’horizon 2050, l’évolution tendancielle de l’empreinte carbone du numérique à 2050 va être multipliée par 3 faisant ainsi reporter les efforts à faire sur les autres secteurs ou sur la capacité des puits de carbone. 

L’étude met également en évidence qu’un des enjeux environnementaux majeurs du numérique, outre son empreinte carbone, est la disponibilité et la dépendance aux métaux stratégiques et autres ressources utilisées pendant la phase de fabrication des terminaux (principalement téléviseurs, ordinateurs, box internet et smartphones jusqu’en 2030 puis essor des objets connectés jusqu’en 2050 en lien notamment avec la mise en place de nouvelles technologies de réseaux mobiles).

Ainsi, il ressort de l’étude que le premier levier d’action pour limiter l’impact du numérique est la mise en œuvre de politiques de sobriété numérique qui commencent par une interrogation sur l'ampleur du développement de nouveaux produits et services numériques, et une réduction ou stabilisation du nombre d'équipements. L’allongement de la durée de vie des terminaux, via la mise sur le marché d’équipements éco-conçus, en développant davantage le reconditionnement et la réparation des équipements et en sensibilisant les consommateurs à ces impacts pour viser plus de sobriété est un axe majeur de travail. 

De la même manière, afin d’améliorer l’efficacité énergétique, l’écoconception doit être systématisée : pour les terminaux, mais aussi pour l’ensemble des équipements (infrastructures de réseaux et centres de données), ainsi que dans le cadre des modalités de déploiement des réseaux et services numériques. 

Pour atteindre l’objectif des accords de Paris en 2050, le numérique doit prendre la part qui lui incombe : un effort collectif impliquant toutes les parties prenantes est donc nécessaire.