Le cadre législatif et réglementaire

Les textes réglementaires applicables à la fermeture du réseau cuivre

En droit européen : la directive 2018/1972

Le cadre réglementaire applicable aux réseaux de communications électroniques en France provient, en premier lieu, du droit européen. Ce cadre vise à ouvrir à la concurrence le secteur des communications, afin de stimuler l’innovation au bénéfice de l’utilisateur final.

Il prévoit, que l’opérateur historique cuivre national, considéré comme exerçant une puissance significative sur le marché, peut se voir imposer des obligations particulières : il doit notamment partager l’accès à son réseau aux opérateurs concurrents et respecter des obligations relatives aux conditions de cet accès.

En 2018, le code européen des communications électroniques, instauré par la directive (UE) 2018/1972, reprend ces obligations, mais ouvre la possibilité pour un opérateur historique cuivre national de procéder à la fermeture de son réseau même s’il est encore considéré comme puissant sur le marché, puis de se voir retirer ses obligations relatives à ce réseau.

Cette directive précise les conditions minimales de fermeture et le rôle des autorités nationales de régulation (l’Arcep en France) qui en contrôlent le respect.

Ainsi, l'article 81 dispose que les autorités de régulation nationales dont l’Arcep en France s’assurent, en amont de toute fermeture, que la procédure envisagée par l’opérateur prévoit :

  • des délais de préavis appropriés ;
  • un calendrier transparent ;
  • la disponibilité d’un produit de substitution de qualité comparable à ce que le cuivre rendait possible.

En droit national : le code des postes et des communications électroniques et les décisions d’analyses de marché

La directive européenne 2018/1972 a été transposée en droit interne dans le code des postes et des communications électroniques, à l’article L. 38-2-3 qui exige au même titre que la directive : des garanties de transparence, de prévenance, et de disponibilité d’un produit de substitution pour procéder à la fermeture du réseau cuivre.

Ce même article prévoit par ailleurs la possibilité d’opérer une dérégulation une fois le réseau fermé.

Enfin, à ce dispositif textuel s’ajoutent les décisions d’analyses de marchés prises par l’Arcep pour des cycles déterminés.

Les décisions d’analyses de marchés de l’Arcep

Pour les comprendre, il faut revenir au début de la régulation du secteur. Dans les années 1990, l’Union européenne a fait le choix de libéraliser le secteur des communications électroniques afin de stimuler l’innovation au bénéfice de l’utilisateur final, tant en termes de nouveaux services que de baisses de prix.

Dans le cas français, France Télécom (aujourd’hui Orange) disposait d’une infrastructure essentielle, car très capillaire et donc très coûteuse à reproduire : son réseau cuivre.

La régulation européenne et nationale a estimé que la nécessité de reproduire ce réseau pour pouvoir proposer des services de communications électroniques constituait une barrière à l’entrée très élevée pour d’autres opérateurs sur le marché des télécoms. Ce cas s’est aussi présenté avec les opérateurs historiques des différents pays de l’Union européenne.

La régulation ex ante des opérateurs a alors été introduite par les directives européennes pour permettre une concurrence effective sur les réseaux fixes, gérés par France Télécom puis Orange en France.

La régulation ex ante d’un opérateur puissant est l’aboutissement d’un processus normé et démonstratif : l’analyse des marchés[1]. Il s’agit d’une analyse économique inspirée du droit de la concurrence.

Dans cette approche ex ante de la régulation, les obligations sont définies à l’avance pour encadrer le comportement des acteurs définis comme puissants d’un marché (à l’inverse de la régulation ex post, dans laquelle les pratiques anti-concurrentielles sont sanctionnées a posteriori par l’Autorité de la concurrence par exemple).

Les décisions d’analyse de marché déterminent les obligations dites « asymétriques » qui s’imposent à l’opérateur exerçant une influence significative sur le marché pertinent considéré, dans le but de garantir une concurrence loyale et effective sur ce marché. Ces obligations sont proportionnées en fonction de la puissance de l’opérateur sur le marché.

En pratique, dans un contexte où le réseau cuivre appartient à Orange, ce dernier se voit imposer des obligations spécifiques d’accès à son réseau et à la tarification de cet accès.

Il existe deux catégories d’opérateurs sur le marché des communications électroniques : les opérateurs d’infrastructure, qui se positionnent sur le marché dit « de gros » (fourniture d’accès entre opérateurs), et les opérateurs commerciaux, qui vendent des services de communications électroniques directement proposés aux utilisateurs finals (entreprises, particuliers) sur le marché dit « de détail ».

Dans le cadre de la régulation ex ante, les obligations imposées à Orange portent sur le marché de gros, autrement dit ce sont les conditions dans lesquelles il propose l’accès, par exemple, à son réseau cuivre à un opérateur commercial. La régulation des marchés de gros doit permettre le développement progressif de la concurrence et le maintien de conditions de concurrence effectives sur les marchés qui en découlent, soit les marchés de détail.

Les analyses de marchés sont définies pour une période de 5 ans (elles doivent être réexaminées périodiquement pour tenir compte des évolutions de marchés) et comprennent plusieurs grandes étapes :

  • La délimitation d’un marché pertinent, composé d’un ensemble de produits substituables sur un périmètre géographique donné (quel produit ? Par exemple l’accès de gros aux infrastructures de génie civil ; quel périmètre géographique ? Par exemple la France entière, ou les zones très denses) ;
  • La justification de la pertinence de la régulation ex ante de ce marché, basée sur 3 critères qui doivent être vérifiés cumulativement (présence de barrières élevées à l’entrée du marché, absence d’évolution vers une situation de concurrence effective à l’horizon du cycle, et insuffisance du droit de la concurrence à remédier seul aux défaillances de marché). Ce test est réalisé uniquement si le marché donné ne figure pas dans la recommandation « marchés pertinents » de la Commission européenne.
  • L’identification de l’opérateur ou des opérateurs exerçant le cas échéant une influence significative ;
  • La définition de remèdes (sous forme d’obligations) afin d’encadrer le comportement du ou des acteur(s) puissant(s), s’il y en a.

 


[1] L’analyse de marché est un exercice formel codifié par la réglementation européenne.

Focus sur le 7e cycle d’analyses de marché

L’année 2023 a été marquée par l’élaboration des décisions pour le 7ème cycle couvrant la période 2024-2028.

Les décisions d’analyse de marchés ont été adoptées, après consultations publiques et avis de l’Autorité de la concurrence et de la Commission européenne, le 14 décembre 2023.

L’Arcep identifie ainsi quatre marchés fixes pertinents qu’elle régule :

  1. Le marché du « génie civil » concernant la fourniture en gros d’accès aux infrastructures. L’Arcep régule l’accès au génie civil d’Orange, notamment les poteaux ou fourreaux, afin de permettre leur utilisation lors des déploiements par exemple de réseaux en fibre optique.
  2. Le marché « 1 » de fourniture en gros d’accès local en position déterminée. Ce marché couvre les accès passifs (accès aux câbles eux-mêmes mais sans signal déjà injecté) des réseaux filaires cuivre et fibre. C’est la régulation de ce marché qui encadre l’offre dite de dégroupage, qui est l’offre régulée historique d’Orange sur le cuivre. Elle permet aux opérateurs tiers de louer simplement des câbles de cuivre sans signal (accès passifs), ainsi qu’un emplacement dans un NRA d’Orange afin d’installer leurs équipements actifs et d’injecter du signal jusqu’à l’abonné grâce à ces câbles ;
  3. Le marché « 2 » de fourniture en gros d’accès de haute qualité. Ce marché permet aux opérateurs de gros de louer des accès activés (cuivre ou fibre) de haute qualité pour le raccordement de site entreprises, avec des exigences en termes de qualité de services distinctes des offres grand public, caractérisées par un débit et un délai de rétablissement garantis.
  4. Le marché « 3b » des offres d’accès activées généralistes. Ce marché permet aux opérateurs de bénéficier d’offres d’accès de gros activées (c’est-à-dire des services d’accès à Internet déjà opérationnels), proposées par un opérateur d’infrastructure, afin de pouvoir fournir des services à leurs clients sans avoir à déployer leurs propres infrastructures.
    S’agissant spécifiquement du marché « 3b », l’Arcep avait décidé, dans le cadre d’une décision adoptée le 14 décembre 2023, de prolonger d’un an la décision d’analyse de ce marché afin de pouvoir prendre en compte les évolutions que ce marché connaissait depuis un an. Au terme de cette analyse, l’Arcep a adopté le 3 décembre 2024 une décision de levée de la régulation du marché « 3b », assortie d’une période de transition jusqu’au 31 mars 2026 durant laquelle les obligations imposées à Orange restent en vigueur.

En pratique, sur les marchés fixes, l’Arcep a identifié l’opérateur historique Orange comme acteur ayant une influence significative sur les 4 marchés susmentionnés. De ce fait, des obligations spécifiques visant à remédier aux déséquilibres concurrentiels identifiés lui sont imposées.

A l’inverse de la régulation asymétrique prévue dans les décisions d’analyse de marché,la régulation des réseaux FttH repose sur des décisions et recommandations (constituant le « cadre symétrique ») qui déterminent les modalités d’accès aux lignes à très haut débit en fibre optiqueet imposent des obligations dites « symétriques », car s’appliquant à tous les opérateurs d’infrastructure de réseaux FttH[2]. Ces dispositions n’ont pas vocation à être révisées à la même fréquence que les décisions d’analyses de marchés.]

 


[2] Selon les zones, l’opérateur d’infrastructures n’est pas toujours le même. Dans certaines zones, le réseau est déployé 100% sur fonds privés (AMEL, AMII, ZTD), et dans d’autres zones il est déployé en partie sur fonds publics (RIP).

 

Principales obligations imposées à Orange par les décisions d’analyses de marchés

La régulation ex ante asymétrique de l’Arcep imposée à Orange s’articule autour de diverses obligations à garantir un accès effectif des opérateurs tiers au réseau de l’opérateur puissant sur le marché, dans des conditions transparentes et non discriminatoires :

1. Une obligation d’accès à des éléments de réseau et ressources associées. C’est l’obligation de base de la régulation ex ante, elle suppose que l’opérateur puissant sur le marché fasse droit aux demandes raisonnables d’accès d’opérateurs tiers à son réseau ;

En pratique, Orange est tenu de proposer diverses prestations : non seulement l’accès à certaines infrastructures (boucle locale de cuivre, génie civil mobilisable pour le déploiement de boucles locales fibre), mais aussi des prestations de SAV, par exemple (qui sont nécessaires à l’effectivité de l’accès).

2. Une obligation de non-discrimination. Cette obligation impose, en principe, à l’opérateur puissant sur le marché la fourniture de traiter de la même manière les différents opérateurs commerciaux, en particulier l’opérateur commercial (OC) Orange et les autres OC ;

En pratique, Orange est par exemple tenu d’assurer une qualité de service de ses offres de gros destinées aux autres OC comparables à celle qu’il assure pour lui-même.

3. Une obligation de transparence. Elle fonde la publication d’informations concernant l’interconnexion ou l’accès afin d’éviter des situations d’asymétrie d’information vis-à-vis des opérateurs tiers ;

En pratique, Orange est tenu de publier une offre de référence décrivant les prestations qu’il propose et les conditions contractuelles associées, ainsi que divers fichiers concernant son offre, par exemple le plan de fermeture du cuivre, sur son site réglementaire, en open data.

  • Une obligation de qualité de service. Elle concerne tant la livraison de nouveaux accès que le service après-vente (en particulier les rétablissements d’accès coupés). Elle est nécessaire pour assurer un accès effectif et non discriminatoire aux opérateurs clients des offres de gros ;

En pratique, Orange est tenu de transmettre des indicateurs de qualité de service à l’Arcep de manière mensuelle et trimestrielle. Pour certains marchés, il doit également respecter des seuils sur certains indicateurs (par exemple des délais moyens de rétablissement)

4. Une obligation en matière de contrôle tarifaire. Cette obligation vise à encadrer les tarifs des offres de gros d’Orange afin de s’assurer qu’elles sont compatibles avec le développement de la concurrence. Il peut par exemple s’agir de limiter ce tarif en imposant à Orange qu’ils reflètent ses coûts, ou qu’ils ne soient pas « excessifs », pour permettre une concurrence sur les marchés aval, ou au contraire d’empêcher des pratiques d’éviction par des tarifs trop bas pour entraver l’émergence d’autres offres de gros ;  

En pratique, Orange se voit par exemple imposer un plafond tarifaire pluriannuel sur son offre de dégroupage (marché 1) dans les zones du territoire où la concurrence est la moins développée.

5. Une obligation de séparation comptable. Elle implique l’isolement, sur le plan comptable, de certaines activités réglementées, afin de permettre un certain nombre de contrôles par l’Autorité.

En pratique, Orange est notamment tenu de réaliser un audit de sa comptabilité réglementaire.

L’encadrement de la fermeture du réseau cuivre est principalement décrit dans les décisions relatives aux marchés « 1 » et « 2 », à travers notamment des obligations de transparence et de non-discrimination.

Une section dédiée à la fermeture du cuivre est intégrée dans ces deux décisions. Les annexes 2A et 2B de la décision relative au marché 1 regroupent une grande partie des obligations et peuvent constituer un point d’entrée pertinent dans les textes. L’essentiel du contenu en est résumé dans la page « Les obligations d’Orange dans le cadre de la fermeture du réseau cuivre ».