Les technologies de communication, les unes après les autres, ont montré les immenses enjeux de pouvoirs qu’elles recèlent. La poste, l’imprimerie, le télégraphe, le téléphone, la télévision, internet... Les technologies sont les instruments de mille rapports de force, disruptions et révolutions. Pourquoi ? Parce qu’elles sont le vecteur de diffusion des idées et qui maîtriserait les moyens de communication pourrait maîtriser les idées qu’ils véhiculent. Sitôt qu’elles deviennent « intelligentes » et ultra-performantes, elles font naître la peur. La peur d’une perte de contrôle, la peur d’une soumission. Cette peur, pour étrangère qu’elle puisse être à ceux qui sont rompus à la matière, écoutons-la. Nous aurons tout à y gagner.
À l’heure de la société hyperindustrielle et hyperconnectée, nous pouvons légitimement avoir l’impression d’être pris dans une toile, d’être passés sous une emprise technologique dont il faudrait à tout prix nous défaire. D’une certaine manière, ce n’est pas faux. Qui contrôle l’algorithme des réseaux sociaux contrôle une partie des élections. Qui contrôle un système de surveillance à l’échelle d’une ville contrôle ses habitants. De la même manière, laissée au contrôle du marché, la 5G permettrait à quelques entreprises de nous imposer leur monde aux dépens du politique, aux dépens de notre volonté. Dès lors, dire Non à la technologie pourrait sembler notre dernier recours face à son potentiel mésusage et surtout face aux risques de dérive d’un marché concentré entre quelques multinationales.
Mais il n’y a pas de fatalité. Nous avons toujours la capacité d’imposer notre volonté sur une machine. Celui qui contrôlait l’imprimerie ne contrôlait pas la pensée. Je ne crois pas qu’une technologie puisse nous soumettre à un ordre donné. Je nous crois au contraire collectivement assez puissants pour décider de notre sort. C’est en tous les cas ce à quoi l’État doit contribuer. Son outil pour soumettre la technologie au projet de société que nous aurons collectivement défini : la régulation.
Énoncer ce que seront nos lignes de conduite demain exige d’avoir confiance dans notre capacité à construire et décider collectivement. Renoncer à une technologie par peur de nos monstres revient à renoncer à prendre une décision collective dans l’intérêt de tous. Si je ne risquais pas de galvauder la formule, mon encouragement aujourd’hui serait de dire : « N’ayons pas peur ». N’ayons pas peur de nos projections comme de ce que nous sommes. Ayons confiance dans notre aptitude à définir nos règles, non pas pour dicter un comportement, mais pour donner vie à nos aspirations.