La France est en retard dans l'Internet très haut débit et dans le déploiement de la 4G. Ce constat sévère est dressé par Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, le régulateur des télécoms à l'occasion de sa conférence semestrielle, jeudi 30 juin. Face à cette situation, il incite fermement les opérateurs à investir massivement, jugeant que le secteur a renoué avec la rentabilité et en a les moyens.
Quel est l'état du secteur ?
Le marché des télécoms est passé par un trou d'air. Mais nous en sommes sortis: la rentabilité de la plupart des opérateurs est aujourd'hui raisonnable et le chiffre d'affaire, se stabilise. C'est le moment pour relancer les investissements. D'autant plus que notre équipement n'est pas satisfaisant. La France est mal classée au niveau européen : elle est à la 24ème dans la 4G et 29ème dans le très haut débit. Il n'y a aucune raison que nous soyons en retard.
Comment comptez-vous convaincre les opérateurs d'investir encore plus?
Pour que les investissements soient durables, il faut qu'ils permettent aux opérateurs de dégager de la rentabilité. Nous sommes en train de lancer une batterie de mesures pour les accompagner. Concrètement, nous travaillons sur la mise à disposition d'ici à la fin de l'année de cartes de couverture mobile du territoire en open-data. Cela permettra au consommateur de comparer les offres en fonction de la qualité du réseau et de ses performances, et de voir en détail si l'intérieur ou l'extérieur d'un bâtiment est couvert en 4G. Ce qu'on veut derrière, c'est que les opérateurs cassent leur tirelire. Ces derniers hésitent souvent à investir car cela représente de gros montants.
Pourtant, les opérateurs ont annoncé des investissements massifs. N'en font-ils pas assez ?
Il faut faire attention aux chiffres annoncés. Ils sont souvent complexes à lire car ils mélangent de l'investissement réel et des choses plus contestables. A titre d'exemple, la location d'un réseau à un autre opérateur est parfois comptabilisée comme un investissement, ou l'installation d'une box chez un nouvel abonné...
Qu'attendez-vous concrètement d'eux ?
Dans le mobile, nous souhaiterions que les opérateurs construisent 10.000 sites dans les trois prochaines années, ce qui porterait au total leur nombre à 75.000. Cela permettrait de gagner trois ans sur le calendrier actuel de la 4G et d'offrir à la fois une meilleure couverture rurale aux consommateurs et de meilleurs débits dans les villes.
Dans la fibre, qui couvre déjà 6 millions de foyers, nous pensons qu'il est possible d'en couvrir 7 à 8 millions de plus au cours des trois prochaines années.
Dans la fibre, Orange a pris de l'avance. Qu'en pensez-vous?
Avec 75% de parts de marché, Orange va vite. Il y a une locomotive et nous ne voulons pas la freiner. En revanche, nous ne voulons pas de monopole. Il faut que la concurrence soit réelle. Aujourd'hui, il n'y a que sur 50 à 55% 60% des foyers ayant accès à la fibre où il y a plus d'un opérateur. Nous voulons porter ce taux à plus de 80% d'ici trois ans.
Free, Bouygues Telecom et SFR réclament une révision règlementaire de la fibre. Que leur répondez vous?
Dans les zones très denses, Orange est seul, trop seul. Certains opérateurs se plaignent d'avoir des difficultés à accéder au pied des immeubles, et de ne pas pouvoir ensuite connecter les appartements. Nous allons lancer une consultation afin de voir s'il y a des freins. Si l'on s'aperçoit en fin d'année qu'il y a un souci, nous envisagerons de revoir compléter notre arsenal de régulation. Dans les zones moyennement denses, où les opérateurs co-investissent au côté d'Orange [leader du déploiement sur la plupart des zones], les grands principes n'ont pas à être révisés, même si certains curseurs, comme celui du prix de revente de la fibre, peuvent bouger. Si j'ai de l'empathie pour SFR, qui réclame un nouveau partage du territoire avec Orange, cela dépend aussi des contrats existants.
Les opérateurs contestent votre projet d'accroître le prix de l'ADSL pour accélerer la bascule vers la fibre.
Nous songeons à accroître les prix du réseau cuivre qu'Orange loue à ses concurrents, mais seulement là où il y a déjà de la fibre. Ce n'est pour l'instant qu'une option. Nous avons conscience que cela engendrerait des mouvements financiers importants pour les opérateurs. Mais nous voulons être certains que la génération d'entrepreneurs qui a profité de l'ouverture à la concurrence des télécoms ne s'endorme pas sur ses lauriers. Nous avons besoin d'être rassurés.
Free, qui utilisait le réseau 3G d'Orange en attendant d'avoir le sien, s'est engagé à mettre un terme à son contrat d'itinérance fin 2020. Cela vous convient-il ?
Il y avait deux contrats, le premier conclu entre Free et Orange dans la 3G, le second entre Bouygues Telecom et SFR dans la 4G. Il s'agissait d'une situation provisoire. Les plans d'extinction que nous ont présenté les opérateurs sont conformes à nos objectifs. Le sujet est réglé.
SFR mise sur la convergence entre les médias et les télécoms pour regagner des abonnés. Qu'en pensez-vous?
A mon avis, cette convergence, c'est d'abord celle de milliardaires en partie motivés par la nécessité d'avoir une assise publique plus forte pour défendre leurs intérêts dans les télécoms. C'est la raison pour laquelle il faut un régulateur indépendant. En revanche, si la convergence se traduit par des exclusivités, où l'utilisateur choisit un réseau parce que c'est le seul moyen de regarder un match de foot, c'est dangereux. Je ne suis pas alarmé par la situation actuelle mais je ne veux pas que cela devienne un modèle dominant. Cela engendrerait une remise en cause profonde de l'industrie.
Propos recueillis par Sandrine Cassini et Zeliha Chaffin.