Prise de parole - Interview

Laure de La Raudière, nouvelle présidente de l’Arcep, évoque sa feuille de route à la tête du gendarme des télécoms

Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep, répond aux questions de l’Echo Républicain (10 février 2021)

Laure de La Raudière a pris officiellement ses fonctions à la présidence de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) le 28 janvier 2021. L’ancienne députée se confie sur ses priorités à la tête du gendarme français des télécoms. Interview.

Laure de La Raudière, désormais ex-députée d’Eure-et-Loir, vient de succéder à Sébastien Soriano à la présidence de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse).

Un choix du Président Emmanuel Macron. La nouvelle présidente évoque ses priorités à la tête du gendarme des télécoms.

Comment se déroulent vos premiers jours à la tête de l’Arcep depuis votre prise de fonction, jeudi 28 janvier ?

Ma première impression est celle d’une atmosphère bienveillante et accueillante. J’avais déjà une grande admiration de longue date pour la maison Arcep, sur la qualité des travaux menés ici, et la qualité des salariés. J’ai quand même eu un pincement au cœur de quitter ma fonction de députée, que j’ai occupé près de 14 ans. C’est une fonction très particulière au service des Français et de la France. Mais je suis extrêmement motivée par cette responsabilité confiée par le président de la République. Et je suis aussi reconnaissante de cette nomination.

Vous affichez un profil inédit pour ce poste. C’est la première fois qu’une élue est nommée à la présidence de cette autorité indépendante. Lors de vos auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat, vous avez mis en avant en cette expérience "de terrain". Pourquoi ?

L’Arcep régule des secteurs qui touchent au quotidien des Français : l’accès à internet, au téléphone, la distribution du courrier, de la presse… Lorsqu’on est élu, on apprend à connaître et à prendre en compte les attentes des Français de façon intime. Ce n’est pas du tout une critique vis-à-vis de mes prédécesseurs, bien au contraire, et ils ont d’ailleurs réalisé un travail formidable. J’ai une grande admiration du fonctionnement de l’Arcep. Mais à un moment où l’accès à internet et à la téléphonie mobile est une attente de premier rang pour beaucoup de citoyens, je pense qu’il est intéressant d’avoir une élue à la tête de l’Arcep. Il ne faut pas oublier non plus que je suis ingénieure des télécoms et que, avant d’être élue, j’avais fait toute ma carrière dans le secteur des télécommunications et du numérique. Et depuis que je suis élue, je me suis intéressée particulièrement aux enjeux de couverture du numérique, de la transformation de la société et à tous les secteurs que régule l’Arcep, à l’exception peut-être de la distribution de la presse, qui est assez nouveau pour moi.

Je n’ai pas à commenter les propos de Xavier Niel. J’ai toujours eu de bonnes relations avec lui. Toute ma carrière a montré ma liberté et mon indépendance d’esprit.

Xavier Niel, patron de l’opérateur Free, a déclaré avant votre prise de fonction officielle qu’il ne serait pas pertinent de nommer à la tête de l’Arcep, ciblant vos "onze années passées chez France Télécom" devenue Orange. Cela vous a-t-il étonné ?

Je n’ai pas à commenter les propos de Xavier Niel. J’ai toujours eu de bonnes relations avec lui. Toute ma carrière a montré ma liberté et mon indépendance d’esprit. J’ai toujours pris mes positions à partir de convictions fondées sur l’intérêt général. Ce sera pareil à l’Arcep.

Parmi vos priorités figure l’aménagement du territoire…

L’enjeu, c’est qu’aucune habitation ne soit mise à l’écart d’un accès internet fixe et mobile performant disponible à un prix accessible. Aujourd’hui, beaucoup de progrès ont été réalisés, notamment avec le programme du New Deal mobile (*). Il y a aussi des programmes sur le très haut débit, portés par des Départements ou des Régions, avec le soutien de l’État. Mais il y a encore une grande insatisfaction pour les gens qui sont mal couverts.

Il y a encore beaucoup à faire, notamment dans les zones rurales. C’est une question d’équité ?

C’est bien évidemment un enjeu d’équité territoriale. Car si on n’assure pas un déploiement efficace, il y aura une désertification rurale. Si vous n’avez pas, aujourd’hui, une connexion internet de qualité, il ne peut pas y avoir de télétravail, de développement économique, d’accès aux services publics en ligne… Vous appauvrissez complètement un territoire.

Le déploiement du réseau mobile 4G sur le territoire peut-il être freiné par le lancement de la 5G ? Est-il possible de mener ces deux batailles de front ?

Pour moi oui. Les opérateurs doivent accélérer la couverture mobile 4G en zones rurales dans le cadre du New Deal mobile. Il y a des objectifs de couverture, notamment de la population, des axes routiers et des axes ferrés. Ce sont aussi 5.000 antennes par opérateur de plus dans le cadre du dispositif de couverture ciblée. C’est-à-dire que des communes et des collectivités, avec l’État et les opérateurs, choisissent les lieux d’implantation des antennes. Cela a démarré en 2018, mais il faut jusqu’à deux ans pour mettre en service une antenne. On commence à voir le bénéfice de cette opération dans plusieurs centaines de communes. Les opérateurs ont donc des obligations pour la 4G. Pour la 5G, les opérateurs sont demandeurs ! Ils souhaitent déployer la 5G, pour éviter la saturation des réseaux dans les zones denses ou encore pour apporter de nouveaux services qu’ils espèrent monétiser dans le domaine industriel. Ils ont un intérêt. Et pour accompagner ce mouvement et s’assurer que la 5G ne soit pas réservée aux seules zones denses, les licences des opérateurs prévoient qu’une portion des sites 5G soit déployée dans les zones rurales ou industrielles. Donc oui, il y a une possibilité de réaliser ces deux projets d’investissement que sont la complétude de la couverture 4G et le déploiement 5G.

Trouver un moyen de réguler le secteur des télécommunications en prenant en compte les enjeux environnementaux, cela me paraît un excellent axe de travail.

Avec le lancement de la 5G, la question environnementale a une nouvelle fois été mise en avant par des habitants ou même des élus. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?

La 5G a été l’occasion de soulever le débat. Il ne faut pas mettre au pilori la 5G sur les sujets environnementaux, ça n’aurait pas de sens. En revanche, trouver un moyen de réguler le secteur des télécommunications en prenant en compte les enjeux environnementaux, cela me paraît un excellent axe de travail. Il existe aujourd’hui, dans certains endroits, quatre générations de technologie mobile, avec chaque fois une antenne qui consomme de l’énergie jour et nuit : la 2G, la 3G, la 4G et la 5G. Il s’agit de savoir comment on peut et à quelle échéance éteindre une des technologies, et pour quels gains ? On pourra alors réduire l’empreinte carbone. Deuxièmement, 70 % de l’empreinte carbone du numérique viennent des terminaux numériques, pas des réseaux télécoms (qui représentent environ 5% de l’empreinte carbone du numérique), même s’il faut aussi travailler dessus. La durée de vie des terminaux et leur recyclage sont des sujets importants, même si tout ne dépend pas de l’Arcep. Mais l’Arcep veut être moteur dans la contribution des actions à mener sur le sujet.

Il existe quatre opérateurs commerciaux principaux en France, avec Orange, SFR, Bouygues Télécom et Free. La concurrence est-elle saine dans ce secteur ?

Quand je regarde les chiffres aujourd’hui, on n’a jamais eu autant d’investissements dans le secteur (10,4 milliards d’euros en 2019). Cela n’a cessé de croître depuis dix ans. Par ailleurs, la France affiche des prix parmi les plus bas en Europe, que ce soit en fixe ou en mobile. Troisièmement, nous avons maintenant des indicateurs de couverture en termes de services rendus aux citoyens et il y a eu beaucoup de progression de ce côté-là. Tout cela se déroule avec quatre opérateurs. Donc pour l’instant, je trouve que les indicateurs vis-à-vis des investissements et vis-à-vis de la concurrence sont intéressants et il n’y a pas de raison de changer.

Pensez-vous avoir davantage de leviers pour faire avancer les choses concrètement aujourd’hui que lorsque vous étiez députée ?

Il est encore tôt pour répondre. Mais les rôles sont différents. Le rôle du gouvernement et du parlement, c’est de faire des choix de société. Et l’Arcep s’inscrit dans ces choix de société. L’Arcep peut contribuer à la réflexion sur les enjeux du numérique, mais les choix de société sont assurés par le parlement. Quand j’étais députée, j’étais dans ce rôle-là. J’ai martelé matin, midi et soir l’importance depuis 2007 de la couverture numérique du territoire. Aujourd’hui, mon rôle est différent. L’Arcep décide des moyens de régulation du secteur des télécommunications, dans le cadre législatif fixé par les parlementaires.

L’Arcep doit également assurer une mission de régulation dans le secteur des Postes. De quoi s’agit-il ?

C’est un enjeu majeur pour les citoyens, en zone rurale comme en milieu urbain. L’Arcep contrôle le respect des objectifs du service universel par La Poste : le courrier et sa distribution, notamment matière de délais d’acheminement … Le deuxième sujet ne concerne pas le service universel, car c’est un domaine en concurrence : le colis. Je souhaite que l’Arcep réalise une grande étude sur le colis car c’est devenu une préoccupation très forte des Français. Pour quelqu’un qui commande en ligne, c’est un peu opaque de savoir quel transporteur va livrer le colis et de quel service il peut disposer. L’idée est d’avoir l’ensemble des indicateurs sur ce qui est réalisé aujourd’hui par les différents prestataires, avec aussi les indicateurs de satisfaction des citoyens sur cet enjeu.

Nex Deal. Début 2018, l’Arcep et le gouvernement annoncent des engagements des opérateurs de téléphonie (Orange, Free Mobile, SFR et Bouygues Télécom) pour accentuer la couverture mobile du territoire français. Le nom de cette opération est le “New Deal mobile”. Ces engagements ont été retranscrits dans leurs licences actuelles en juillet 2018 afin de les rendre juridiquement opposables. L’Etat a fait le choix de prioriser l’objectif d’aménagement du territoire, dans les conditions d’attribution des fréquences mobiles.

Propos recueillis par Simon Dechet

L'interview sur le site de l'Echo Républicain