Prise de parole - Interview

« J'invite les maires à être architectes de la couverture mobile de leur territoire »

Sébastien Soriano, président de l'Arcep, répond aux questions de Maire info (14 octobre 2019)

Il est le garant des engagements contraignants pris par les opérateurs privés sur le fixe - plan France très haut débit - comme sur le mobile – New Deal Mobile. Sébastien Soriano, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), analyse, pour Maire info, l’état d’avancement de la couverture numérique en France alors que, pour les opérateurs, de premières échéances - du bon débit pour tous ; couverture en fibre  de zones moins denses d’initiative privée (Amii) ; généralisation de la 4G – se profilent dès l’année prochaine. À l’aube d’un nouveau mandat municipal (2020-2026), il « invite » aussi les maires - principalement ceux des zones rurales – à prendre toute leur part dans la construction de ces réseaux. Entretien.

« Couverture numérique du territoire : les objectifs seront-ils tenus ? » C’est la question qui animera les débatteurs d’un colloque organisé le 13 novembre au Sénat. De votre côté, avez-vous tranché ?

On évite l’exercice de conviction ou de philosophie : l’ensemble des engagements, ambitieux et faisables, qui ont été pris l’ont été sous le sceau de l’Arcep, pour reprendre l’expression du ministre Julien Denormandie. Il n’y a ni chèque en blanc ni procès d’intention. Ce que l’on voit de manière macroscopique, c’est une forte mobilisation de l’investissement dans notre pays (+ 40 % en quatre ans). Les opérateurs sont extrêmement bien engagés dans les chantiers de construction des infrastructures (1,13 million de prises déployées au deuxième trimestre 2019, ndlr). Il n’y a pas lieu de préjuger d’un éventuel retard ou d’un éventuel respect des échéances avant que ces échéances ne soient passées. 

En zone Amii (Appel à manifestation d'intention d'investissement), Orange (2 978 communes) et SFR (641 communes) ont respectivement couvert 55 % et 44 % de leur périmètre. La route paraît encore longue...

Tous les trois mois, lorsque nous publions les chiffres de déploiement de la fibre, on rappelle l’importance pour les opérateurs d’amplifier leur mobilisation. D’ailleurs, les mots (enquête, procédure de sanction) peuvent faire peur ou donner l’impression que l’Arcep se fâche [lire Maire info du 6 septembre] mais c’est le simple suivi, lequel s’imposera tant que l’on n’y sera pas. Je suis toutefois raisonnablement confiant sur le fait qu’Orange et SFR s’organisent pour être au rendez-vous. 

La zone qui suscite le plus de défiance chez les élus locaux est celle des Amel (1,3 million de prises). Pouvez-vous les rassurer ?

Les Appels à manifestation d'engagements locaux (Amel) ne sont pas un réseau d’initiative publique (Rip). Ils n’amènent pas les mêmes garanties qu’un Rip en termes de propriété publique et de contrôle des échéances [lire Maire info du 26 octobre 2018]. Nous avons veillé, à l’Arcep, à ce que les Amel ne puissent pas se faire sans l’accord des collectivités et des porteurs de projets des Rip. Dans les avis que nous rendons sur les Amel, nous sommes aussi très vigilants sur le niveau d’exigence de manière à ce que l’on n’ait pas dans ces zones une couverture au rabais. Dans les Amel aussi, on se situe bien dans un objectif 100 % Ftth (fibre optique jusqu'à l'abonné, ndlr). 

Sur le mobile à présent, qu’en est-il du déploiement de la 4G en France ?

On assiste à un déploiement massif. Dans les classements, la France est passée de lanterne rouge en Europe à milieu de tableau. Dans les zones rurales, le débit moyen double entre 2018 et 2019 (+ 50 % en France entière). Depuis le lancement du New Deal, on est passé en couverture en territoire par les quatre opérateurs de 45 % à 67 %.

Le dispositif de couverture ciblée, l’un des volets du New Deal Mobile, tient-il ses promesses ?

Je peux comprendre que ce dispositif donne l’impression d’une sorte de faux-plat. Les premiers arrêtés ont été adoptés en juillet 2018 : ils accordent un délai de deux ans aux opérateurs pour mettre en service un site. Les sites sont donc en cours de construction mais ne sont pas encore une réalité pour les administrés. Une fois que l’on aura passé ce faux-plat, à partir du premier semestre 2020, on aura une avancée continue. 500 à 800 sites par an vont sortir et vont changer la vie des habitants de ces villages. Ils vont passer de l’obscurité à la lumière.

Ce dispositif est piloté par des équipes projets locales à la tête desquelles on retrouve des élus locaux. Quel message souhaitez-vous leur adresser à quelques mois des municipales ?

Ce n’est plus Paris qui décide ce qu’est une zone blanche, ce sont les territoires. Je les invite à se préparer à être les architectes de la couverture mobile de leur territoire. C’est ça aussi cette nouvelle donne. Peut-être que cela n’a pas été suffisamment entendu. Dans les comités de concertation, les territoires ne doivent pas attendre que Paris leur dise quelles zones peuvent ou doivent être couvertes. Leur responsabilité est d’organiser un dialogue avec les administrés, un dialogue entre eux aussi pour hiérarchiser les priorités.

À ce sujet, des élus demandent davantage de transparence des opérateurs, notamment une lecture du déploiement de la 4G territoire par territoire…

Certes mais là encore il ne faut pas se tromper de combat : c’est évidemment précieux d’avoir de meilleurs outils de pilotage, mais les plaintes des habitants et des professionnels ne sont-elles pas le meilleur baromètre pour identifier les zones à couvrir ? Parfois, on peut, il est vrai, identifier un trou de couverture mais un opérateur peut avoir dans ses cartons un projet pour les couvrir. Certains opérateurs commencent à partager des informations de déploiement prévisionnel mais nous souhaitons poser un cadre légal sur ce sujet pour aller plus loin : cela fera partie des obligations des opérateurs dans les attributions 5G.

Justement depuis lundi dernier, 11 projets (un est porté par la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines) se sont vu attribuer des fréquences 5G (26 GHz). Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour ceux qui les pilotent ?

Ils vont pouvoir installer des réseaux. Typiquement, à Rennes la SNCF va installer quelques hot spots dans la gare. Il s’agit d’expérimentations qui vont se faire la plupart du temps dans des cadres confinés. Derrière, c’est l’Internet des objets, la ville intelligente, l’industrie 4.0, le véhicule connecté qui vont être testés. C’est le début d’une histoire.

Quid des territoires ruraux ?

Je serai prudent avant d’envoyer le message : « La 5G est une priorité de la ruralité. » Nous n’en sommes pas encore là. Nous avons prévu une généralisation de la 5G avec un jalon en 2025 et un objectif exhaustif à l’issue de la décennie. Dans cette perspective, nous avons, bien sûr, embarqué les territoires ruraux. Il est prévu qu’un quart des sites qui seront déployés dans le cadre des obligations de couverture en 5G (bandes de fréquences hautes) se situent dans des zones rurales ou des territoires d’industrie. Mais ce qui sera important, in fine, ce seront les usages.

Propos recueillis par Ludovic Galtier

Lire l'interview sur le site de Maire info