Prise de parole - Discours

Intervention en clôture de la première journée du Colloque AVICCA du 16 mai 2023

Intervention de Laure de La Raudière, présidente de l'Arcep

Monsieur le Sénateur, président de l’Avicca,

Mesdames et Messieurs les élus, les présidents de syndicats d’aménagement numérique des territoires,

Mesdames et Messieurs, les représentants les acteurs de la filière,

Mesdames et Messieurs,

 

Merci à l’AVICCA pour son invitation à son TRIP de Printemps.

J’aurai aimé être présente pour assister aux discours, à la présentation de l’observatoire et aux deux tables-rondes, mais je présidai une séance de collège cet après-midi, que je n’ai pas pu reporter, et je n’ai pu vous rejoindre qu’il y a un gros quart d’heure.

Pour autant, grâce aux personnes de l’Arcep présentes dans la salle, j’ai pris connaissance des sujets que vous avez abordés cet après-midi, et je vous propose donc d’orienter mes propos par rapport à vos débats.

En premier lieu, l’observatoire du THD.

2023 – c’est 10 ans du plan France THD. Et c’est aussi de nombreux records présentés dans l’Observatoire du THD : la France est la locomotive européenne avec le leadership sur le nombre de lignes fibre déployées au total ou encore la plus forte dynamique en nombre d’abonnés.

Même si tout ceci est impressionnant, et même si je salue régulièrement les investissements massifs de l’ensemble de la filière, j’ai toujours du mal à dire que c’est un grand succès, étant donné les difficultés persistantes en matière de qualité de service que rencontrent les Français lors des raccordements, ou les taux de panne élevés que connaissent certains réseaux. J’y reviendrai.

Alors que nous révèle l’observatoire de cette année ?

L’année 2022 confirme la tendance de 2021 : depuis 2 ans, nous connaissons une diminution du nombre annuel de déploiements.

La principale raison est liée au ralentissement important en zone Amii Orange. Je veux rappeler ici que la fermeture du réseau cuivre suppose que les réseaux fibre soient déployés. Pour l’Arcep, la stratégie d’Orange n’est pas cohérente : Orange ne peut pas d’un côté, vouloir fermer le réseau cuivre, et de l’autre, ne pas finir les déploiements fibre, et en particulier dans les communes des zones AMII, pour lesquelles Orange a lui-même, volontairement, souscrit des objectifs et obligations de déploiement.

Il est important que les déploiements se poursuivent. 

A cet égard, la récente décision du Conseil d’Etat qui a confirmé la mise en demeure de l’Arcep, a par là même confirmé également, la nature des engagements pris par Orange auprès du gouvernement en zone AMII.  Ces engagements librement consentis portent sur des communes à couvrir et non un nombre de prises à déployer, prédéterminé à l’avance comme le soutenait Orange.

L’Observatoire du THD met aussi en lumière que ce sont les zones d’initiatives publiques qui contribuent le plus au déploiement, et largement. Plusieurs RIP ont achevé leur déploiement, la Sarthe, la Corrèze, l’Eure-et-Loir, l’Aine, l’Oise, la Loire et j’en passe… Certains taux de couverture sont aujourd’hui meilleur en zones rurales que dans certaines communes des zones très denses ou des zones Amii. Qui l’eut cru, il y a 10 ans !

Vous avez aussi évoqué lors de la présentation de l’observatoire du THD, l’objectif prioritaire de passer du raccordable au raccordé, et notamment le fait de traiter les raccordements complexes, les immeubles neufs et les raccordements en domaine privé.

Nous avons plusieurs flux de travail pour répondre à l’objectif de réaliser tous les raccordements, et notamment nous prévoyons de publier d’ici fin juin un guide sur le raccordement des immeubles neufs, et à la même échéance, nous publierons aussi nos recommandations concernant les raccordements complexes ou long.

A peu près au même moment, nous mettrons en consultation publique notre projet de décision concernant l’analyse de marché sur la boucle locale cuivre. Pour répondre à certaines remarques effectuées lors des précédentes tables-rondes, nous envisageons d’assouplir le critère 100% FttH pour pouvoir fermer le réseau cuivre, en l’alignant peu ou prou sur ce qui est déjà prévu dans les obligations de complétude qui pèsent sur les opérateurs d’infrastructure FTTH. L’Arcep souhaite ainsi s’assurer que les travaux de déploiement du FttH seront achevés avant la fermeture, tant commerciale que technique, du réseau cuivre et que des offres de détail de substitution seront bien disponibles, y compris pour les locaux dont le raccordement au FTTH serait particulièrement coûteux et qui feraient l’objet d’un raccordement à la demande. Ce nouveau cadre nous parait être plus opérationnel tout en restant exigeant par rapport aux attentes légitimes de nos concitoyens vis-à-vis d’un raccordement à Très Haut Débit de qualité.

Concernant l’équilibre économique des réseaux RIP, dont vous avez aussi parlé, un travail de fond est en cours et nécessite encore des informations concernant les coûts d’exploitation des RIP.

La bonne nouvelle de l’Observatoire du THD, c’est l’appétit des Français pour la fibre. Et vraiment, c’est rassurant par rapport aux investissements réalisés par l’ensemble des parties prenantes : opérateurs, Etat et collectivités.

Le nombre de nouveaux abonnés à la fibre est toujours dynamique en 2022 avec +3,6M. La fibre est maintenant largement majoritaire parmi les abonnés fixes à Internet. Mais on note là aussi une baisse par rapport à 2021 (4M). Il n’y a pas de raison objective à cette baisse, sauf à la corréler à la baisse du nombre de déploiement, mais je ne le crois pas car nous sommes encore loin d’un taux de pénétration de la fibre qui pourrait expliquer de façon sure une telle corrélation. Aussi je n’imagine pas d’autres arguments pour expliquer la légère baisse du nombre de nouveaux abonnements que de mettre cela sur le dos de la mauvaise presse qui est fait régulièrement à la fibre, à cause des situations invraisemblables ou des débranchements sauvages vécus par certains de nos concitoyens, lors de raccordements. Et c’est affligeant.

Comme vous le savez, c’est un sujet qui me tient à cœur personnellement et qui tient à cœur de l’Arcep.

Je sais l’exaspération qui est la vôtre : beaucoup d’annonces ont été faites, et pour l’instant, on voit peu de résultats sur le terrain.

En fait, ce n’est pas totalement vrai : on voit des résultats dans certaines communes dont les Points de Mutualisation ont bénéficié des plans de reprise des opérateurs, en cours depuis l’automne dernier. Mais il est vrai que le nombre de communes concernées est encore faible.

Permettez-moi de présenter ce sujet dans le détail aujourd’hui.

Nous avons en fait deux grands types de problèmes très différents :

Le premier type de problèmes concerne certains réseaux dont le taux de panne est très élevé.

Sur l’ensemble des réseaux FttH en France, le taux moyen de panne est de 0,12% du parc de lignes fibre en service. C’est faible, beaucoup, beaucoup plus faible que sur le réseau cuivre ; et heureusement, car les réseaux sont neufs.

En revanche, certains réseaux de certains opérateurs, un faible nombre, ont un taux de panne bien supérieur aux autres, de 10 à 50 fois supérieur à la moyenne.

Ces réseaux sont situés principalement en Ile de France, mais pas uniquement, il y en a dans le Rhône, en Haute Savoie, dans le Calvados…

Ces réseaux concentrent une très grande majorité de signalements, des incidents, des débranchements sauvages et inadmissibles que vous nous relatez. Ce sont des réseaux de XpFibre, d’Altitude (pour ses réseaux « ex-Covage, ex-Tutor) ou encore de Free.

En revanche, les réseaux d’Axione, d’Orange, de TDF, et aussi Altitude (hors réseaux repris ex-Covage, ex-Tutor) ont des taux de pannes très faibles. La situation est tout aussi contrastée, si l’on regarde le taux des échecs au raccordement, selon les opérateurs d’infrastructures.

L’Arcep va publier ces résultats par opérateur d’infrastructure prochainement et à une fréquence régulière, permettant ainsi de voir réseau par réseau, si la situation s’améliore, notamment en fonction de l’état d’avancement des plans de reprise. J’entends depuis longtemps, et vous en avez largement parlé lors des tables-rondes, que les problèmes de qualité de service FttH seraient la faute du mode STOC. En fait, non. Ce serait faire porter un chapeau bien trop large au mode STOC.

Car, quand je constate pour un même opérateur commercial, des taux d’échec au raccordement totalement différents d’une commune à une autre commune voisine, avec les mêmes agents d’intervention qui interviennent sur le terrain, dans ces deux communes, mais sur des réseaux exploités par deux OI différents, je me dis que le mode STOC n’est pas LA cause.

Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Il n’y a pas que les réseaux les plus accidentogènes où il y a des difficultés.

Et c’est le deuxième type de problèmes :

Il existe aussi de nombreuses malfaçons sur tous les réseaux, avec des PBO qui sont dans l’eau, avec des PM qui ne sont pas fermés ou qui ont été fracturés avec des pieds de biche, avec des cordons de fibre optique qui sont laissés à tort dans les PM, ou tous les autres désordres que vous constatez sur les réseaux. J’en ai pleinement conscience, non seulement parce que vous me le dites, mais aussi parce que c’est le constat qui ressort de l’audit des PM et des PBO effectués par un prestataire, à la demande de l’Arcep, l’année dernière. Ce ne sont pas forcément des défauts qui entrainent des coupures d’abonnés, mais en revanche ce sont des malfaçons qui affecteront à court ou moyen terme le bon fonctionnement des réseaux ou des incapacités à raccorder. C’est une situation de vigilance, pour laquelle nous demandons aux opérateurs des actions concrètes de remise à niveau au fil de l’eau. Celles-ci sont réalisés, et nous suivons notamment les reprises des malfaçons des PM par OI. L’information est restituée sur notre site Internet.

Je sais aussi qu’il existe encore des agents d’intervention sur le terrain, qui ne sont pas équipés correctement, qui ne respectent pas les règles les plus basiques de sécurité ou les processus de raccordement, qui ne font pas du travail de qualité que ce soit sur les réseaux ou chez les clients, et qui ont des comportements inadmissibles et illégaux quand il débranche un client pour en brancher un autre.

Comme vous le savez, l’Arcep assure le suivi du plan d’actions présenté au ministre et à moi-même en septembre dernier, et qui est de nature à résoudre ces difficultés.

Je veux m’attarder ce soir à vous présenter l’état d’avancement de ce plan, dans le détail, par opérateur, pour vous dire où en sont les opérateurs et la filière pour régler ces situations, pour « remettre le client au cœur de village », en écho au thème de votre seconde table ronde de l’après-midi.

1er axe : les plans de reprise des réseaux accidentogènes

Indispensable, ce sont sur ces réseaux qu’il y a le plus de signalements. Cela concerne principalement trois opérateurs :

XPFibre : le Plan a été notifié en novembre 2022 :

Fin mars 2023 245 PM (soit 27% du total) étaient soit engagés, soit terminés, dont 47 rouverts à la commercialisation et 100 déjà remis en état mais en phase de mise en cohérence entre les SI et le terrain.

Les premiers résultats sont encourageants : on constate une baisse des taux de SAV sur les zones pilotes dont la reprise est terminée, qui semble indiquer que les mesures prises portent leurs fruits. Le taux d’échecs de raccordement a aussi baissé sans toutefois revenir complètement à la moyenne nationale : c’est en cours d’instruction par XpFibre pour comprendre pourquoi.

Altitude : le Plan a été notifié en septembre 2022

Le plan qui concerne des réseaux ex-Covage, ex-Tutor, a pris du retard notamment car Altitude a du faire évoluer sa méthode de remise en état plusieurs fois,et Altitude annonce désormais une fin des opérations de remise en état en juillet 2023 et des opérations de réingéniérie de certains PM du Calvados au dernier trimestre 2023

Fin mars 2023 : 29 PM sur 70 ont été remis en état et rouverts à la commercialisation.

Nous assurons le suivi des effets de cette remise en état.

Free : un plan d’action nous a été notifié en janvier 2023. Il concerne les réseaux avec des PMGC

A date, le dispositif est déployé sur 90% des PMGC. L’Arcep est en attente des retours des opérateurs commerciaux pour affiner le diagnostic quant à l’effet de ce dispositif sur l’amélioration de la situation. Free s’est engagé à mettre en place un plan de reprise, si le plan d’action n’apporte pas rapidement des solutions.

Sur tous ces réseaux particulièrement accidentogènes, l’Arcep reste vigilante quant à l’issue des actions entreprises par les opérateurs concernés et pourrait adapter son mode d’action en tant que de besoin.

2ème axe du plan : le renforcement des contrôles à chaud par la mise en place de « e-intervention » et la transmission des plannings d’intervention sur une vingtaine de réseaux en métropole (dans un premier temps)

A ce jour, « e-intervention » est développé chez quasiment tous les opérateurs. Les interfaçages deux à deux (OI-OC) sont quasiment terminés. Les quelques interfaçages restants à faire sont les suivants : TDF avec tous les OC ; Free/IFT avec Axione et XpFibre ; Orange avec Axione). Le début de l’utilisation de l’outil est en cours fin avril 2023, laissant espérer un premier bilan à la fin du premier semestre 2023. Cela permettra de lancer la réflexion sur le 2e lot de l’outil, qui concerne le retour d’information en temps réel au technicien sur le terrain des lignes déconnectées.

Concernant la transmission des plannings d’intervention des OC aux OI : c’est en place sur les 20 réseaux pilotes, les audits réalisés par les OI restent en nombre limité (environ 300 par trimestre). Il est indispensable que les OI échangent avec les OC sur les résultats des audits afin de progresser collectivement.

3ème axe : Mieux contrôler la qualité des raccordements par des objectifs de conformité des compte-rendu d’intervention photos (75% fin 2022, 90-95% juillet 2023).

Les travaux entre opérateurs pour aboutir à une vision commune de ce qu’est un CRI conforme ont abouti début avril 2023. L’Arcep attend la transmission par les opérateurs de chiffres sur la base de cette définition. Indépendamment de ce travail concernant la vision commune, le déploiement des CRI photos est généralisé chez les sous-traitants. A ce jour tous les opérateurs ont mis en place l’indispensable géolocalisation et horodatage des CRI, sauf Free qui s’est engagé à le faire d’ici l’été. Avec ces travaux sur les CRI, les OI auront donc les moyens d’imposer des pénalités en cas de malfaçons des sous-traitants des OC.

Les opérateurs se sont aussi mis d’accord sur l’évolution du protocole CRI, notamment pour l’étendre au churn, aux SAV et aux échecs de raccordement. Ce cadrage doit désormais être décliné dans des spécifications techniques concrètes par le groupe Interop’Fibre puis développé dans les SI des opérateurs.

4ème axe : il concerne les agents d’intervention. La limitation à deux du rang de sous-traitance : c’est fait chez tous les OC.

Concernant la formation et la labellisation des agents d’intervention : Infranum et la FFT ont annoncé début février 2023 s’être mis d’accord sur une grille d’« autocertification » des entreprises et des techniciens. Les OC ont annoncé qu’ils vont faire évoluer leurs contrats de sous-traitance (certains OC l’ont d’ailleurs déjà fait) d’ici la fin juin 2023 pour intégrer ces autocertifications, contresignées entre le donneur d’ordre et ses sous-traitants et entre les techniciens et leurs employeurs. Un bilan du dispositif sera réalisé en fin d’année 2023 pour déterminer si c’est suffisant ou s’il est nécessaire d’aller plus loin (formation et certification par un organisme extérieur par exemple).

C’est certainement le point sur lequel il y a un enjeu très important, et j’invite Infranum à porter à bras le corps la déclinaison de la labellisation des agents d’intervention chez les sous-traitants de rang 1 des OC et que ceux-ci déclinent ses engagements aussi au niveau des rangs 2.

Le plan de la filière n’est pas qu’une question de reprise de réseaux ou d’outils permettant plus de contrôle et de meilleurs échanges entre OI et OC ! Sans une main d’œuvre de qualité, formé, au courant des processus et engagé en matière de qualité, il n’y aura pas d’amélioration sur les malfaçons et mauvais comportements existants partout en France, et que je mentionnais plus tôt.

Cela passe aussi par une valorisation des rémunérations, à la hauteur des enjeux de qualité attendus par les Français.

Je vous remercie.