Prise de parole - Interview

Intervention de Sébastien SORIANO, président de l'ARCEP

Intervention de Sébastien SORIANO, président de l'ARCEP, lors des 9èmes Assises du très Haut Débit sur le thème : " Des réseaux à la hauteur des ambitions numériques de la France ? " (8 juillet 2015) 

7. Quelle stratégie pour réussir le très haut débit pour tous en 2022 ?

Les 1ère Assises du Très Haut Débit ont eu lieu en 2007, un an après que l’ARCEP a commencé à s’organiser sur la question de la fibre en créant la première unité en charge de ces sujets. Aujourd'hui, nous avons une direction de la fibre et des collectivités territoriales. Au sein du gouvernement, une Agence du numérique a été créée pour porter le plan France Très Haut Débit. Nous sommes dans la phase du passage
à l’échelle.

7.1 Une ambition, des défis

Je pense qu’il ne faut pas se tromper sur le niveau d’ambition et de défi qui est devant nous. En France, nous avons un handicap par rapport à d’autres pays qui se sont engagés dans des plans de déploiement en très haut débit : nous ne pouvons réutiliser que marginalement les infrastructures existantes du câble et du cuivre. C’est une fatalité française qui nous handicape aujourd'hui dans certains classements. Le classement de la Commission européenne des pays couverts par le Très Haut Débit avec cet objectif de 30 Mb/s place la France en 23ème position sur 28. Les pays bien classés sont ceux qui réutilisent les infrastructures existantes du câble et du cuivre.

Nous sommes un peu dans la situation de certains pays en voie de développement qui font le « leapfrog », le saut générationnel. Nous visons le coup d’après. Notre pays va s’équiper massivement en FTTH. C’est une ambition énorme, un marathon. Cela va prendre du temps.

On entend dire : « la France est en retard, agitons-nous ». Non, ne nous agitons pas. Concentrons-nous sur ce que nous sommes en train de bâtir. Si nous sommes « en retard », c’est parce que notre point de départ est différent. La solution qu’on apporte est différente. C’est une spécificité française. Dès qu’on aura le FTTH, tout va s’inverser. C’est nous qui aurons une infrastructure extrêmement compétitive. Et les autres pays qui auront réutilisé leurs infrastructures existantes, ils seront face au défi du FTTH.

7.2 Le marché du haut débit : un atout précieux

Nous avons également des éléments positifs pour répondre à ce défi, notamment un marché du haut débit qui est l’un des plus compétitifs du monde. Dans les classements des pays qui apportent plus de 10 Mb/s, la France est en 2ème position dans le monde après la Corée du Sud. Ce marché du haut débit est un actif extrêmement précieux pour deux raisons :

  1. Notre réseau de collecte en fibre optique est extrêmement maillé et compétitif par rapport aux autres pays.
  2. Nous avons une dynamique d’acteurs, avec plusieurs grands opérateurs de haut débit fixe qui ont une capacité d’investir, de participer à une dynamique d’investissement.

Certes, plus les opérateurs sont gros, plus on les voit porter des investissements forts dans le Très Haut Débit. Mais le modèle du co-investissement que nous avons construit permet à tous de participer à cet effort.

Ce modèle est peut-être un diesel, parce qu’il met un peu plus de temps à se mettre en place, mais il nous amènera très loin. Mieux vaut une dynamique collective portée par l’ensemble du secteur que de se reposer sur un seul acteur.

Il faut être conscient de ce défi et de nos atouts. Pour reprendre une métaphore sportive, je dirais que la barre est haute, mais que la perche est grande.

7.3 Une dynamique collective

Nous ne devons surtout pas nous arrêter tous les 200 mètres en nous demandant si on a choisi le bon modèle. Nous sommes engagés dans un modèle qui a ses avantages et ses inconvénients. C’est notre modèle, et on avance. Il a été poussé par un ensemble d’acteurs :

  • Les collectivités locales qui ont été les premières à se préoccuper de la question de la couverture de l’intégralité de leurs territoires ;
  • Les acteurs privés qui construisent le marché et qui sont la référence pour définir les bonnes technologies, le bon marketing, les bons prix, les bonnes solutions ;
  • Les pouvoirs publics, à travers le gouvernement qui a défini ce plan France Très Haut Débit,
  • Le régulateur qui accompagne, crée les bonnes incitations, facilite cette interface public-privé propre à l’alchimie française.

Nous devons tous être derrière cette dynamique collective du plan France Très Haut Débit. Le modèle est là, avançons. Quand on est sur le long terme, dans un marathon comme celui-là, la pire des choses serait de dévier de notre trajectoire, car là, c’est sûr qu’on n’y arrivera jamais. Et donc il ne faut pas se tromper de
combat.

Un certain nombre de dispositions législatives sont en cours d’adoption dans le cadre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. La création du statut des zones fibrées va éclairer les acteurs et leur donner un signal important. Une prochaine ordonnance devra permettre la transposition des dispositions communautaires sur la facilitation d’utilisation du génie civil et puis d’autres mesures sur les immeubles collectifs.

7.4 La communication commerciale des opérateurs sur la « fibre »

Aujourd'hui je me dois néanmoins de vous alerter sur un point. Je suis préoccupé par la communication commerciale des opérateurs, notamment l’utilisation du mot « fibre ». En l’état actuel des choses, je crains que cette communication ne devienne une véritable menace sur la dynamique d’investissement des acteurs.

On ne peut pas d’un côté déployer une énergie colossale et collective pour aller vers le déploiement massif de la fibre, et de l’autre laisser ce mot « fibre » utilisé à tort et à travers. Il y a un besoin de cohérence. Je ne peux que me féliciter que le gouvernement se saisisse de cette question.

Des textes sont en cours de préparation. Je ne peux pas en dire plus dans la mesure où l’ARCEP sera amenée à se prononcer sur ces textes. Elle sera consultée formellement par le gouvernement. J’ai un devoir de réserve sur le fond de la question.

7.5 Les actions en cours de l’ARCEP pour la fibre

Le rôle de l’ARCEP est de donner les bonnes incitations aux acteurs pour qu’ils investissent. Trois actions sont dans les tuyaux.

  • Un price cap sur la tarification pluriannuelle du cuivre pour 2016 et 2017.


Nous allons donner de la visibilité sur la tarification du cuivre. Aujourd'hui, le cuivre est un élément de référence dans la chaîne de valeur du haut débit et du très haut débit. Il est très important que l’ensemble des acteurs puissent avoir la visibilité la plus grande sur l’évolution de cette tarification du cuivre. Ce sera un repère qui facilitera la transition du Haut Débit vers le Très Haut Débit. En effet, les abonnés qui ont le haut débit aujourd'hui seront ceux qui passeront au Très Haut Débit demain. La tarification du cuivre jouera un rôle important dans cette bascule. Pour la première fois, l’ARCEP va se lancer dans un exercice de tarification pluriannuel, afin de donner davantage de visibilité aux acteurs.

L’ARCEP va construire un premier price cap sur les tarifs de gros d'accès à la paire de cuivre pour 2016 et 2017. Les chiffres seront mis en consultation publique au mois d’octobre 2015. Puis nous aurons un travail de fond à faire pour réviser, le cas échéant, le modèle de coût sous-jacent pour construire ce tarif. Dans un deuxième temps, nous proposerons un second price cap pour 2018, 2019, 2020.

  • Les lignes directrices sur la tarification des réseaux d'initiative publique en FttH.


Conformément à la loi Macron, l’ARCEP va mettre en consultation publique en septembre 2015 un projet de lignes directrices sur la tarification des réseaux d'initiative publique en FTTH pour adoption à la fin de l’année. Notre volonté est de donner le maximum d’incitations à l’investissement, y compris à l’investissement public. Sa valeur ne doit pas être artificiellement détériorée par des stratégies de court terme. Nous allons inciter les acteurs à se projeter le plus possible dans le long terme tout en gardant évidemment la flexibilité commerciale qui est indispensable.

  • L'obligation de complétude des déploiements de fibre optique


L’ARCEP a également lancé une consultation publique sur la complétude des déploiements (7). 

Plus technique, ce document constitue un enjeu crucial. Il s’agit d’éviter que les opérateurs déploient des réseaux qui seraient insuffisamment dimensionnés et qui ne permettraient pas de couvrir certaines certains habitats en dehors des zones très denses. La consultation publique sur le projet de recommandation de l’Autorité est ouverte jusqu’en septembre 2015.

7.6 Une revue stratégique à l’ARCEP

De manière plus large, l’ARCEP a lancé une revue stratégique qui doit permettre de nous projeter sur les nouveaux défis que nous allons rencontrer.

  • La concurrence par l’investissement


La première étape de cette revue stratégique consiste à clarifier notre logiciel de pensée. Une bonne régulation est une régulation claire, lisible, prévisible, appropriable par l’ensemble des acteurs et des investisseurs publics ou privés. Nous allons clarifier notre logiciel de pensée pour que la régulation soit favorable à l’investissement.

Je voudrais profiter d’être ici pour tordre le cou à un canard. Parfois, quand je dis que je suis favorable à une régulation qui favorise l’investissement, on me dit que je suis contre la concurrence. Bien évidemment non.

La concurrence reste le principal moteur de l’investissement, le principal foyer de compétitivité du marché des Télécoms. L’une de nos grandes forces pour le FTTH, c’est notre pluralité d’acteurs. Notre tissu industriel est extrêmement fort parce qu’il est porté par une diversité d’acteurs qui sont en capacité d’investir.

Et donc il n'y a aucune contradiction entre la concurrence et l’investissement. La concurrence par l’investissement conduit à plus d’investissement, à plus de couverture et à plus de compétitivité.

  • Réfléchir aux priorités de la régulation


Pour autant, la concurrence aujourd'hui est globalement acquise. Même si pour maintenir cette concurrence, il nous faut beaucoup d’énergie – vous aurez remarqué que parfois nos chers opérateurs aiment bien se chamailler –, nous devons acter que nous sommes à la fin du cycle d’ouverture à la concurrence. Un nouveau cycle s’ouvre à nous, le cycle de l’hyperconnectivité, de l’hyper mobilité et de l’abondance des réseaux de demain tels qu’ils doivent se construire. Et donc, pour faire face à ces nouveaux défis, la régulation doit elle aussi un peu se réinventer. Il ne s’agit pas de nous auto-confier des missions, mais de réfléchir, à l’intérieur des missions que nous confient le Parlement et les institutions communautaires, aux priorités que nous pouvons nous donner, afin d’être plus utile à la révolution numérique et à notre pays.

  • Mettre en capacité d’agir


Nous nous inscrivons également dans la démarche d’exemplarité de l’Etat qui a été tracée par le Premier ministre le 18 juin 2015. Cette volonté d’aller vers un Etat Plateforme, un Etat qui ne soit pas seulement un acteur qui édicte de la norme ou qui sanctionne ceux qui ne la respectent pas, mais aussi un Etat qui mette les acteurs en capacité d’agir. Ce sera un élément important de notre stratégie. Nous allons voir comment la régulation peut s’inscrire dans cette dynamique de mise en capacité d’agir, et pas seulement de gendarme.

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(7) Mise en oeuvre de l’obligation de complétude des déploiements des réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné en dehors des zones très denses.