Prise de parole - Discours

Intervention de Paul Champsaur, Président de l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes, en clôture des 10 èmes Entretiens de l'Autorité sur " la régulation, enjeux pour le secteur postal " organisé par l'ARCEP à l'Université Paris-Dauphine, le jeudi 6 octobre 2005

C'est avec un très grand plaisir que je m'exprime devant vous ce soir au nom du Collège de l'ARCEP. Je remercie le Ministre de l'Industrie, François Loos d'avoir bien voulu ouvrir les dixièmes entretiens de l'Autorité. J'ai tout particulièrement noté ses encouragements à l'égard d'une régulation indépendante et efficace.

Je remercie également Jean-Paul Bailly, tous les représentants de haut niveau des Postes européennes et les opérateurs postaux qui ont contribué au succès de cette journéee et tout particulièrement les orateurs des tables rondes et mes collègues qui les ont présidées. Enfin je remercie l'Université de Paris Dauphine pour nous avoir si bien reçus.

A l'heure où la Poste s'ouvre largement à la concurrence et fait un effort sans précédent de modernisation, effort souhaité par le législateur, il est nécessaire d'essayer de mieux cerner l'avenir du secteur postal, de distinguer les principaux enjeux avec les opportunités mais aussi les risques.

Les compétences de l'ARCEP (ex. ART) entreront en vigueur six mois après la promulgation du texte législatif, soit en novembre prochain. Dans cette perspective, nous avons pleinement pris conscience des caractéristiques originales de ce secteur, très différent du secteur des télécommunications. Afin de préparer cette échéance, l'ARCEP suit de près la rédaction des décrets et s'est organisée en constituant un service dédié à votre secteur, le service de la régulation postale, qui sera votre correspondant. Ce service a déjà commencé à défricher les sujets prioritaires de l'ARCEP à compter de novembre, je pense en particulier à l'attribution d'autorisations aux entreprises qui entrent sur les marchés du courrier. Ainsi le dispositif qui nous permettra d'exercer la plénitude de nos pouvoirs sera prêt le moment venu.

Comme l'a rappelé ce matin, Monsieur François Loos, les règles du jeu du secteur postal ont été complètement renouvelées avec l'adoption de la loi de régulation postale. Avec vous, nous devons construire une vision prospective du secteur postal ; c'était l'esprit des quatre questions que vous avez abordées aujourd'hui ;

- quelle évolution des marchés postaux ?
- quelle innovation dans ce secteur ?
- comment garantir la fourniture par la Poste d'un " service universel postal " de qualité et dont le financement ne perturbe pas le jeu de la concurrence ?
- enfin, quelle régulation ?

Si nous ne connaissons pas encore bien le secteur postal, nous avons néanmoins déjà l'expérience de la régulation. Nous tirons de cette expérience de huit ans, des convictions solides sur la façon d'exercer cette nouvelle mission. Au terme de ces échanges, je souhaite partager avec vous certaines de ces convictions.

I/ MARCHES ET INNOVATION

Les deux premières tables rondes ont porté sur les marchés et les services. Il était normal de placer ces sujets en tête de notre réflexion : la parole revient aux acteurs du " terrain " pour éclairer l'avenir. L'Autorité est très attentive à leur vision des marchés.

Vous avez souligné que l'introduction de la concurrence dans les marchés du courrier est une donnée nouvelle. La concurrence est déjà la règle dans les secteurs connexes à celui du courrier : dans la messagerie, dans le portage de la presse, dans la diffusion d'imprimés sans adresse. Ce sont d'ailleurs des marchés importants : en volume, il se diffuse autant d'objets sans adresse que d'envois adressés, soit près de 20 milliards par an. Ce sont des marchés évolutifs : l'industrie de la messagerie express, autrefois parcellisée, s'est concentrée en moins de 10 ans autour de quelques groupes européens, parmi lesquels TNT, Deutsche Post, La Poste…

L'acheminement du courrier se situe au croisement de ces marchés. C'est une activité qui est longtemps restée séparée par les règles du monopole. Mais on peut s'attendre à ce que l'ouverture à la concurrence d'une fraction significative des envois postaux à partir de 2006 (les lettres de plus de 50g) soit porteuse de changements importants. Elle peut infléchir les stratégies des opérateurs, et faire émerger de nouveaux modèles économiques en Europe. Nous en avons eu quelques illustrations ce matin.

Ces entretiens nous ont aidé à comprendre que les marchés postaux se décloisonnent, et que les entreprises qui opèrent sur les marchés connexes souhaiteront à l'avenir utiliser leur savoir faire en se diversifiant dans le segment de marché qui était jusque là réservé aux Postes. Nous savons que l'Autorité sera très vite saisie de projets industriels en ce sens. Nous savons également que La Poste, comme ses homologues en Europe, est présente avec de grandes ambitions sur d'autres marchés que celui du courrier.

Dans ce contexte, il est important, pour moi, de vous parler de nos objectifs, de l'esprit avec lequel nous abordons notre nouvelle mission. L'Autorité veut œuvrer pour que l'ouverture des marchés soit une réussite, c'est à dire qu'elle contribue, à la croissance, à l'innovation et à la performance au bénéfice du consommateur.

Comment entend-elle le faire ?

Notre action doit favoriser la confiance dans la qualité des services postaux, quels qu'ils soient. La théorie économique explique que l'absence de confiance peut tuer un marché ; par la transparence qu'elle apporte, et par les disciplines auxquelles elle conduit les opérateurs, la régulation doit au contraire donner la clé du dynamisme des marchés :

- c'est par exemple la confiance dans le service universel qui facilite la communication entre les citoyens, la confiance dans le service des colis postaux qui permet l'essor du commerce en ligne ;
- plus généralement, avec l'émergence de nouveaux opérateurs de courrier, nous nous trouverons devant l'enjeu de consolider la confiance dans les services de courrier en général ;
- sur ces marchés enfin, on voit bien l'importance qu'attachent les concurrents à un juste équilibre entre les ressources tirées du monopole postal et la charge inhérente au service universel ; les procédures de régulation sont également là pour permettre de lever les suspicions et favoriser l'engagement des acteurs économiques.

Dans les autres domaines dont elle est chargée, l'Autorité fournit aussi des informations aux marchés, en publiant régulièrement les données de nos observatoires. C'est une action appréciée des opérateurs, qui peuvent confronter ces données avec leurs propres informations pour définir leur stratégie. Nous serons rapidement amenés à prendre votre attache sur ce point.

II/ SERVICE UNIVERSEL

Nous avons consacré une partie de nos débats au service universel. L'Autorité sait que le service postal est très important dans la vie économique et sociale de la Nation : j'en donne quelques exemples :

- toutes les procédures devant les juridictions dépendent de la fiabilité des envois recommandés ;
- l'économie de la presse est étroitement liée aux prix et à la qualité des services postaux ;
- la vente à distance repose beaucoup sur la fidélisation de la clientèle par les techniques du marketing direct.

C'est donc un service protéiforme ; il met en jeu des opérations et des acteurs très différents. La vision qu'en ont les ménages, essentiellement destinataires du courrier, n'est pas celle qu'en ont les entreprises, qui expédient l'essentiel des envois postaux.

L'ARCEP réfléchit en ce moment à la façon dont elle exercera sa mission dans ce domaine : cette mission est vaste puisqu'elle consiste aussi bien à vérifier que le service est rendu dans de bonnes conditions, qu'à en contrôler les tarifs et les normes de qualité de service. L'Autorité essaiera de centrer son action sur ce qui est le plus important, sur les domaines où une intervention de sa part est la plus nécessaire dans l'intérêt public.

Dans ce domaine comme dans celui de la dynamique concurrentielle des marchés, il est important pour nous de mieux connaître les besoins, et surtout de repérer les évolutions à favoriser.

Comme l'a signalé Nicolas Curien, nous avons déjà entrepris d'étudier les attentes des usagers du service universel ; nous sommes donc particulièrement attentifs à vos messages sur ce sujet de première importance.

Combiner l'universalité et l'égalité du service public avec la vitalité du monde concurrentiel ; tel est l'objectif de l'ARCEP. Nous utiliserons tous les moyens à notre disposition pour l'atteindre, en bonne intelligence avec nos partenaires européens.

III/ REGULATION

Je vous ai parlé de nos objectifs, de l'état d'esprit de l'Autorité au moment où elle entreprend cette nouvelle mission. Je conclurai en insistant sur la méthode de travail de l'ARCEP, fondée sur la concertation, la transparence et la comparaison avec les marchés étrangers.

- L'ARCEP est extrêmement attentive aux expériences étrangères. Je remercie tout particulièrement nos collègues européens qui sont venus nous parler des expériences anglaise, portugaise, irlandaise et suédoise de la régulation postale et j'ai fait la connaissance de Mario Fiorentino, notre collègue italien ;

- La concertation est au coeur de la régulation au quotidien. Les travaux de l'ARCEP se nourrissent de l'expertise accumulée par les acteurs du secteur. Nous mettrons en place rapidement les moyens les plus efficaces pour avoir un bon dialogue avec vos entreprises et vos organisations et plus généralement avec l'ensemble des acteurs du secteur.

- La transparence fait partie intégrante de notre démarche. l'ARCEP recourt fréquemment à des consultations publiques ; elle publie les analyses et les décisions, pour que les fondements et la motivation en soient connus des opérateurs. Nous voulons être aussi prévisibles que possible, pour assurer une bonne visibilité au marché.

Je suis heureux et honoré de conclure cette discussion, dont je tiens à souligner la très la grande qualité. Je souhaite à nos visiteurs des pays voisins un bon retour.