Prise de parole - Tribune

Innovation et régulation : éloge du " lâcher prise "

Une tribune de Sébastien Soriano, président de l'Arcep, pour le Huffington Post (7 novembre 2016)

Réalité virtuelle, intelligence artificielle, blockchain… : l'innovation s'impose comme la matrice de notre époque. Ses vagues successives rebattent les cartes et remodèlent les rapports sociaux, économiques et même humains. Parvenant en quelques années à résoudre des problèmes vieux comme l'humanité, les innovations raccourcissent aussi le temps, faisant de l'adaptation un régime permanent, de la transition une vitesse de croisière.

Les lois et les règles ne sont pas épargnées, car chaque nouvelle innovation soulève une cascade de questions, de la mort numérique à la responsabilité des algorithmes. Législateurs, gouvernements, collectivités locales, régulateurs, nous sommes tous confrontés à un défi inédit, celui d'édicter des règles pour ainsi dire en " flux tendu ", sans recul ni horizon long. Avec, parfois, la tentation de répondre aux appréhensions légitimes de ceux qui sont le plus bousculés par le changement, en tentant d'enfermer dès sa naissance une innovation dans un cadre réglementaire strict.

L'Arcep, architecte et gardien des réseaux d'échanges en France, n'échappe pas à cet impératif. Avec l'émergence de l'Internet des objets, la question du juste niveau d'accompagnement de l'innovation revêt pour nous une acuité particulière.

Depuis le début des années 90, Internet a tout changé. Mais ce n'était qu'un début : en interconnectant les objets à Internet, les entrepreneurs de l'Internet des objets sont en train d'ouvrir une nouvelle phase de la révolution numérique en dotant les objets d'une dimension " intelligente ". Cela va irrémédiablement bouleverser notre relation aux objets du quotidien - voiture, réfrigérateur, radiateur, habits, etc.

Pour préparer cette nouvelle révolution, l'Arcep a souhaité privilégier une approche souple, adaptée à ses premiers balbutiements. Il s'agit avant tout de comprendre, d'ouvrir et d'éclairer.

Comprendre à l'ère numérique, c'est comprendre ensemble, au-delà des silos naturels crées par le domaine de compétence de chacun. Pour nous, la construction d'une démarche partenariale au sein de la sphère publique s'imposait. Cette démarche a réuni la CNIL, France Stratégie, l'ANSSI, la DGE, l'ANFR, la DGALN et l'Arcep au sein d'une mission dédiée à l'Internet des objets.

Aujourd'hui, après plusieurs mois d'échanges avec les entreprises, nous publions une cartographie des principaux enjeux de l'Internet des objets - compétitivité, vie privée, sécurité, consommation, etc. - issue du travail collaboratif mené avec nos partenaires.

C'est aussi l'occasion pour l'Arcep d'affirmer le positionnement d'Etat-régulateur qu'elle entend adopter vis-à-vis de l'innovation. Dans un terrain de jeu à la fois mouvant et mondial, le rôle de l'Etat-régulateur est avant tout de donner sa chance à chacun des acteurs, quelle que soit sa taille - géant du net, entreprise du CAC 40, communauté informelle ou start-up - et d'accompagner un certain foisonnement des idées et des technologies. L'erreur serait de considérer l'Etat-régulateur comme un juge arbitrant entre les bonnes et les mauvaises innovations. C'est aux utilisateurs qu'il appartient de faire ces choix. Notre rôle est d'ouvrir, pas de fermer.

Cette vision n'est pas celle d'un Etat-régulateur laxiste adepte d'un certain " laisser faire ", mais bien l'éloge du " lâcher prise ". Par " lâcher prise ", j'entends la prise de conscience par l'Etat-régulateur de la fabuleuse capacité d'action de la société civile et du marché et de la nécessité de situer son action en valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée, c'est celle d'un " Etat-plateforme ", assurant les moyens d'auto-organisation de ces forces.

C'est le sens de la " régulation pro-innovation " - non, ce n'est pas un oxymore ! - que nous voulons construire et promouvoir, et qui se traduira dans les prochains mois par la création, en application de la loi pour une République numérique, d'un espace d'expérimentation. Cet espace, qui prendra la forme d'un guichet, sera un vecteur d'information et le point de contact unique pour l'accompagnement des entreprises et des collectivités dans leurs démarches d'innovation auprès de l'ARCEP. Car dans un environnement complexe, la priorité doit être d'éclairer, non de vouloir tout contrôler ni tout décider.

L'enjeu est aussi européen et mondial et l'internet des objets sera une de mes grandes priorités en tant que nouveau président du BEREC - l'organe des régulateurs européens des télécoms - en 2017.

 

 

> L'article original du Huffington Post

> La page spéciale "conférence" du site IoT de l'Arcep