Prise de parole - Interview

"Il y a un risque de nouveau monopole dans le mobile" : interview vidéo de Jean-Ludovic Silicani, président de l'ARCEP, au Club Business Challenges SFR, le 17 novembre 2010

Où en est le déploiement de la fibre optique en France?

- Nous avons 5 millions de foyers raccordés à la fibre optique, c'est le niveau le plus élevé en Europe. En revanche, le nombre d'abonnés est faible: seuls 10% des foyers sont raccordés.

La faute aux opérateurs?

- Les consommateurs ne voient peut-être pas l'intérêt de passer du haut débit au très haut débit, car le haut débit en France a un niveau qualitatif extrêmement élevé et un prix très bas. Il appartient effectivement aux opérateurs de mieux expliquer les avantages de la fibre optique et de leur vendre le produit.

Quel est l'enjeu pour nous, Français, du grand débat actuel sur la neutralité des réseaux?

- Ce principe est celui de la liberté d'accès à tous les services en ligne. Mais l'enjeu est différent aux Etats-Unis et en Europe: il y a très peu de concurrence aux Etats-Unis entre les opérateurs de télécoms. Par conséquent, les opérateurs de contenus comme Google ou Yahoo! ont plus de puissance par rapport aux opérateurs de réseaux qu'en Europe. Mais le problème se pose aussi chez nous. Il y a deux enjeux. Culturel, tout d'abord: comment maintenir les valeurs classiques de liberté sur l'Internet. Ensuite, comment concilier le respect de ces valeurs avec les enjeux économiques, car il faut que le développement du Web soit assuré à l'avenir. Or la demande de débit augmente et il faut investir dans les réseaux. La question est: qui va investir?

N'y a-t-il pas un danger que certains géants américains, comme Apple, privatisent le Web?

- Il y a un risque que certains acteurs économiques réunissent entre leurs mains les équipements, les services et les applications et finalement recréent des monopoles. C'est une question dont nous devons tous nous préoccuper, aux Etats-Unis comme en Europe. On a récemment parlé du projet d'Apple de nouvelle carte SIM dématérialisée.

Ce qui permettrait à Apple de passer outre les opérateurs de télécoms...

- C'est quelque chose qui peut apporter le meilleur ou le pire. Il faut éviter le pire, c'est-à-dire qu'avec cette carte SIM dématérialisée, intégrée dans son terminal, Apple ne rende encore moins fluide le marché du mobile qu'il ne l'est déjà et ne porte atteinte au principe de neutralité, c'est-à-dire à la possibilité pour tous d'accéder aux services et aux réseaux souhaités. Pour l'instant, c'est une discussion entre Apple et Gemalto, une entreprise française spécialiste de la carte à puce. Nous allons suivre cela de très près, mais nous serons vigilants.

Notre marché du mobile est-il fluide?

- Oui. Comme les autres grands pays européens, la France a désormais quatre opérateurs. C'est un marché qui permet une bonne concurrence, avec des niveaux de prix corrects et des services de qualité. Le seul fait d'avoir annoncé en 2009 qu'une quatrième licence allait être attribuée a déjà provoqué de nouvelles offres avec des prix intéressants et qui se multiplient depuis un an.

Que pensez-vous de la proposition de députés UMP de fusionner le CSA, l'Arcep et l'Hadopi?

- Elle fait référence aux modèles américain et anglais, où la même autorité régule l'audiovisuel et les télécoms. Aux Etats-Unis, il n'y a aucune régulation des contenus, le régulateur se borne à accorder des fréquences. En France, nous avons la régulation la plus forte du monde. C'est un métier que de dire, par exemple, si le pluralisme politique est respecté. Réguler les contenus ou les réseaux sont des métiers différents. Soit on modifie la régulation des contenus audiovisuels, mais c'est au Parlement d'en décider, soit on en reste à la régulation d'aujourd'hui.

 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Diebold et Gilles Fontaine.


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