A l'occasion de la fête de l'Internet, l'Autorité de régulation des télécommunications s'apprête à dresser un bilan de l'Internet en France. L'occasion pour son nouveau président, Paul Champsaur, de s'exprimer pour la première fois sur le sujet. Dans une interview au JDN, Dominique Roux, l'un des cinq membres du Collège de l'ART, fait un tour d'horizon de plusieurs dossiers.
JDN. Le DESS de gestion des télécommunications et des nouveaux médias, que vous dirigez, organise une conférence intitulée "L'internet nouveau est arrivé". Qu'entendez-vous par "Internet nouveau" ?
Dominique Roux. L'Internet nouveau, c'est le résultat des nouveautés dans les modèles économiques et dans les tarifs. Ce changement des comportements est essentiellement dicté par l'émergence du haut débit, et qu'il change en termes techniques et tarifaires.
Estimez-vous que la France est en progrès en matière d'Internet ?
La première chose que l'on constate, c'est que le marché de l'Internet est en pleine expansion en France. Il y avait plus de 8 millions d'abonnés payants à la fin 2002, 5 milliards de minutes sont collectées chaque mois sur l'accès bas débit, la France compte désormais 1,7 millions d'abonnés haut débit, dont 1,4 million pour l'ADSL et 300.000 pour le câble, qu'il ne faut pas oublier.
Donc à vos yeux, il n'y aurait plus de retard français en la matière...
On disait que la France était en retard, mais aujourd'hui, elle l'est moins. Notamment parce qu'on a désormais des tarifs qui doivent faciliter la croissance du marché. En quatre ans, ceux du bas débit ont été divisés par trois, et on a aujourd'hui un ADSL parmi les plus bas d'Europe. Donc, si la France a longtemps été en bas, elle se rapproche du sommet.
Quel rôle attribuez-vous à l'ART dans ces progrès ?
L'ART a pris des décisions importantes. D'une part en prenant position en novembre 2001 sur l'interconnexion forfaitaire. Ensuite en favorisant en avril 2002 le dégroupage option 1 [NDLR : les opérateurs tiers maîtrisent l'ensemble des éléments permettant de fournir un service, sauf la paire de cuivre mise à disposition par France Télécom et qui reste sa propriété], dont on voit les résultats avec l'apparition de nouveaux opérateurs. Enfin, en donnant un avis favorable en juillet 2002 sur l'option 5, qui a facilité une concurrence accrue entre les opérateurs. Par ailleurs, l'ART a rapidement libéré le Wi-Fi et nous voyons arriver un nombre croissant de dossiers de demande d'autorisation, qui ne sont cependant pas toujours d'une qualité optimale.
Quels sont les chantiers prioritaires à présent ?
Je vois deux sujets en suspens. Le premier est l'arrivée de l'UMTS, qui peut donner un autre souffle à l'Internet. D'autre part, l'avenir du câble. Nous attachons beaucoup d'importance à ce dernier, car il est important que l'ADSL ait un concurrent. Or si on ne fait rien, le secteur du câble va droit dans le mur. La seule solution, c'est de parvenir à une fusion des acteurs. Encore faut-il régler le problème de France Télécom, qui est présent partout mais qui ne peut pas se retrouver majoritaire dans le câble alors qu'il domine déjà l'ADSL.
Que retenez-vous de la discussion à l'Assemblée nationale du projet de loi numérique ?
Je retiens surtout l'amendement sur la contribution des fournisseurs d'accès au service universel [NDLR : elle sera désormais calculée au prorata de leur chiffre d'affaires et non du volume de connexion]. Alors qu'ils contribuent à hauteur de 10% actuellement, ils ne le feront plus qu'à hauteur de 1%, ce qui fait quand même passer leur apport de 100 millions à 10 millions d'euros. C'est autant qu'ils pourront consacrer à leur développement.
Par ailleurs, je retiens les mesures qui concernent les collectivités locales [NDLR : elles sont autorisées à se substituer aux opérateurs de téléphonie mobile pour améliorer la couverture du territoire]. On ne sait pas encore dans quelle mesure elles joueront véritablement un rôle, car il faut attendre que le Sénat se penche à son tour sur le projet, mais je pense qu'il est normal qu'elles puissent intervenir en la matière. Je rappelle juste qu'il ne faut pas qu'elles se retrouvent en concurrence avec les opérateurs. Il ne faut pas créer un nouveau plan câble en France...
La dernière version du texte fait de la communication en ligne un "sous-ensemble" de la communication audiovisuelle. Ce point a donné lieu à de nombreux débats, qui se poursuivent aujourd'hui. Quelle est votre position en tant que membre de l'ART ?
La définition de la communication électronique que donne le texte ne me semble pas juste. Il faut savoir ce qu'on entend par communication audiovisuelle mais je préfère ne pas m'exprimer sur ce sujet en attendant que le Sénat se soit prononcé.
L'un des sujets chauds du moment, la télévision sur ADSL, est justement au confluent des deux secteurs, les télécoms et l'audiovisuel. Quelle analyse en fait l'ART ?
L'ADSL est encore en plein développement, mais dans le monde des télécoms, on n'a en général pas fini d'installer une technologie qu'on commence déjà à ne parler que de la suivante... Donc je pense qu'il faut être prudent. Cela dit, on étudie évidemment ce dossier, car c'est une nouveauté technique qui est susceptible de modifier le paysage. L'ART a un avantage en la matière, c'est son expérience et le fait qu'elle a déjà connu des engouements technologiques qui n'ont rien donné. Rappelez-vous, il y a deux ans, certains disaient que la BLR [NDLR : boucle locale radio] allait tout révolutionner. Cela n'a pas vraiment été le cas.
En novembre 2001, dans une interview au JDN, vous annonciez une année 2002 "excessivement difficile" pour le secteur des télécoms mais une "sortie par le haut" en 2003. Quel diagnostic faites-vous à présent ?
Je prévois une sortie par le haut à la fin de cette année, à condition que la question de l'Irak soit vite résolue. L'imminence de la guerre en Irak génère un phénomène d'attentisme dans le monde et tous ceux qui voulaient investir préfèrent patienter. Certes, la consommation s'est maintenue l'an dernier, mais l'économie ne peut croître que si l'investissement arrive. Si la guerre est rapide, je maintiens qu'il y a un marché pour les télécoms, des besoins et des projets d'investissement. On devrait en voir les résultats en fin d'année. Les exemples du mobile ou de l'ADSL montrent à quel point un marché peut se développer vite.
Propos recueillis par François Bourboulon le 14 mars 2003