Prise de parole - Discours

Intervention de Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep, au TRIP d’automne de l’Avicca (22 novembre 2022)

« Je tiens à rappeler ici que le déploiement préalable et complet d’un réseau FttH est un des critères principaux posés par le cadre de l’Arcep depuis décembre 2020 pour la fermeture du réseau cuivre. Le rendez-vous prévu par Orange début 2026 pour acter la fermeture commerciale nationale de son réseau cuivre suppose donc, que la trajectoire des déploiements soit cohérente avec cette échéance ».

Avant toute chose, je tenais à adresser mes remerciements à l’Avicca de m’avoir invitée à clôturer cette journée, et vous féliciter d’avoir fait le choix de consacrer ce traditionnel TRIP d’automne à la fermeture du réseau cuivre d’Orange. C’est en effet, un des grands chantiers du secteur pour les années à venir.

La fermeture du cuivre est un sujet transversal, lié, par nature, aux enjeux propres au déploiement des réseaux FttH.

Oui, cher Patrick Chaize, je le confirme : la fermeture du cuivre est la conséquence logique du déploiement préalable massif des réseaux FttH. Logique d’un point de vue économique - il n’est pas financièrement raisonnable de laisser subsister deux réseaux en parallèle - mais également d’un point de vue environnemental puisqu’un abonné sur le réseau fibre consomme quatre fois moins d’énergie qu’un abonné sur le réseau cuivre.

La fermeture du cuivre par Orange, c’est aussi la conséquence logique d’un projet collectif, celui du plan France très haut débit ; ce plan pour lequel collectivités, opérateurs et Etat ont investi depuis près de 10 ans afin de généraliser les réseaux FttH sur tout le territoire. Les investissements réalisés partout sur tous les territoires sont tout à faire remarquables.

Il est donc logique que les objectifs propres aux déploiements des réseaux FttH s’imposent à la fermeture du cuivre ; notamment les objectifs de complétude des déploiements, mais également les objectifs de qualité d’exploitation des réseaux FttH, puisque les réseaux FttH ont vocation à se substituer au réseau cuivre.

Vient ensuite naturellement le sujet du processus de fermeture du réseau lui-même, c’est-à-dire son organisation, son pilotage, sa gouvernance en visant une transition au bénéfice de tous les utilisateurs.

Je souhaite m’arrêter un moment sur ces deux aspects : celui de la substitution du réseau cuivre par le réseau FttH et, ensuite, celui des enjeux propres au chantier de fermeture lui-même.

Comme je viens de le dire, la fermeture du cuivre suppose le déploiement préalable d’un réseau FttH complet. Or, nous constatons depuis quelques mois que le rythme ralentit dans certaines zones.

Bien sûr, les volumes de déploiement de la fibre restent très importants et la souscription à la fibre est dynamique, ce qui est une bonne nouvelle.

Fin juin 2022, 75% des locaux étaient raccordables en fibre contre 58% fin 2020. A la fin du 2e trimestre 2022, la fibre devient majoritaire parmi les abonnements HD-THD. Et au global, le rythme des déploiements en fibre optique se maintient à un niveau élevé. Cependant, force est de constater que nous observons une baisse depuis quelques mois de l’ordre de 20% au 2ème trimestre 2022, par rapport à la même période de 2021.

Par ailleurs, nous constatons que ce sont les RIP qui prennent le relai des zones privées. La production de lignes FttH dans les RIP a fortement accéléré au cours des derniers trimestres, au point de dépasser maintenant assez largement celle des opérateurs en zone d’initiative privée. Au cours du deuxième trimestre 2022, 800 000 locaux dans les zones moins denses d’initiative publique ont été rendus éligibles, soit près de deux tiers de l’ensemble des déploiements.

L’Arcep a également noté, sur les derniers trimestres, une accélération des déploiements en zone AMEL, mais une baisse importante, voire inquiétante, du rythme de déploiement en zone AMII et en zone très dense. A ce rythme, il faudra encore plusieurs années pour atteindre une couverture complète de ces zones.

Je tiens à rappeler ici que le déploiement préalable et complet d’un réseau FttH est un des critères principaux posés par le cadre de l’Arcep depuis décembre 2020 pour la fermeture du réseau cuivre. Le rendez-vous prévu par Orange début 2026 pour acter la fermeture commerciale nationale de son réseau cuivre suppose donc, que la trajectoire des déploiements soit cohérente avec cette échéance. Je me permets d’insister sur ce point. On ne peut pas vouloir fermer le réseau cuivre et arrêter les déploiements de la fibre en zone AMII ou zone très dense. Le régulateur ne laissera pas faire cela.

Le 2ème enjeu pour permettre la substitution du réseau cuivre par le FttH est l’existence d’un réseau FttH bien construit et bien exploité sur lequel l’utilisateur peut compter.

Ce sujet n’est pas encore réglé, et ne le sera à mes yeux, que lorsque l’on verra des améliorations concrètes d’une part des indicateurs que l’Arcep recueille maintenant depuis quelques mois et d’autre part, des pratiques des techniciens d’intervention plus conformes aux règles de l’art. Je considère que ce sujet de qualité des réseaux n’est pas décorrélé des conditions nécessaires à une bonne transition cuivre / fibre.

Ce que nous avons constaté à partir de l’analyse des indicateurs recueillis depuis plusieurs mois, c’est qu’une petite partie des réseaux (couvrant environ 2% des lignes) présente des taux d’incidents beaucoup, beaucoup plus élevés que la moyenne.

Parallèlement, ce que nous enseigne la campagne d’audit menée sur l’état des infrastructures par l’Arcep au premier semestre 2022 – ce sont 840 PM qui ont été audités dans 50 départements, dont les trois quart en zone AMII ou AMEL - c’est que l’état «mécanique» des infrastructures est globalement bon. En revanche l’audit confirme que l’état des câblages est plus inquiétant : seulement 50 à 60% des câblages des PM audités étaient dans un état satisfaisant. Il relève aussi un point d’alerte particulier sur l’état des PBO en chambre, par exemple sur la fixation ou l’étanchéité…

Pour faire face à ces situations et répondre à ma demande et à celle du Ministre, la filière a pris de nouveaux engagements et présenté un plan d’actions en septembre.

Ces engagements vont dans le bon sens mais imposent une grande vigilance dans l’exécution et le suivi. L’Arcep y veillera en assurant un suivi mensuel des engagements pris par la filière. Il sera présenté lors du comité de pilotage THD présidé par le ministre, mais également lors des Comités Interco et de l’Accès organisés par l’Arcep.

Voilà où nous en sommes de la mise en œuvre de ce plan :

Sur le premier axe, qui concerne le sujet essentiel du renforcement de la formation par la mise en place d’une labellisation et d’une carte professionnelle des intervenants et entreprises, je partage avec vous mon inquiétude car l’Arcep est encore en attente d’éléments concrets de la part des opérateurs. Cela rejoint d’ailleurs un point de préoccupation majeure sur l’état de la filière des sous-traitants dont je parlerai plus tard.

Sur le deuxième axe, qui concerne le renforcement des processus de contrôle par la mise en place de nouveaux outils, cela avance. L’application e-intervention est mis en place chez une grande partie des opérateurs. Il faut que les retardataires sur l’objectif initial de l’été le mettent en place au plus vite. C’est un élément essentiel de traçabilité. Concernant la transmission des plannings d’intervention sur vingt réseaux pilotes, c’est en place dans la quasi-totalité des cas. L’Arcep attend la communication des résultats des premiers contrôles à chaud effectués par les opérateurs d’infrastructures.

Le troisième axe, qui est celui d’assurer la conformité des comptes-rendus d’intervention photos permettant ainsi un contrôle efficace de la qualité des raccordements, les objectifs de conformité ont été fixés à 75% fin 2022 et 90-95% au 1er juillet 2023. A ce stade, les critères de qualification de la conformité d’un compte rendu d’intervention ont été validés par les différents opérateurs. La prochaine étape est de veiller à l’atteinte des objectifs par les opérateurs commerciaux.

Sur le quatrième axe, qui est la remise en état des infrastructures les plus dégradées, notamment pour les réseaux les plus accidentogènes, aujourd’hui deux opérateurs nous ont notifiés leur plan de remise en état de leurs réseaux. Altitude s’engage à reprendre complètement 70 points de mutualisation et leurs zones arrière couvrant 33 000 prises d’ici mars 2023 sur les ex-réseaux Covage, notamment dans l’Essonne et le Calvados. Quant à XpFibre, il s’engage à remettre en état 900 points de mutualisation, couvrant 400 000 prises d’ici fin 2024, ainsi que, en fonction des besoins, d’autres points de mutualisation qui présenteraient des difficultés d’exploitation.

L’Arcep sera vigilante à la bonne mise en œuvre de ces plans de reprises et réalisera un suivi régulier de l’évolution de la qualité de ces réseaux.

Ces plans ne sont pas exclusifs de la remise en état au fil de l’eau des points de mutualisation par l’ensemble des opérateurs d’infrastructures, afin d’avoir des installations permettant l’intervention des opérateurs commerciaux dans de bonnes conditions.

A nouveau, je tiens à vous assurer que l’Arcep veillera au bon déroulement des plans d’action de la filière liés à l’amélioration de la qualité de l’exploitation FttH.

Mais nous sommes aussi conscients que l’objectif de qualité des déploiements et de l’exploitation des réseaux FttH suppose en pratique de s’appuyer sur des entreprises et leurs éventuels sous-traitants. Ils doivent avoir les moyens de réaliser correctement les travaux attendus, selon les règles de l’art et en sécurité.

Il est clairement de la responsabilité des grands donneurs d’ordre – c’est-à-dire des opérateurs commerciaux et des opérateurs d’infrastructures - de veiller à l’attractivité de la filière dans son ensemble, afin qu’elle puisse répondre aux besoins du secteur, à court et long terme.

Je remercie Infranum d’avoir mis ce sujet sur la table pendant les Universités d’Eté du THD, et d’avoir alerté fortement sur la perte d’attractivité de la filière. Nous avons aujourd’hui des entreprises qui sont en dépôt de bilan ou encore des techniciens qui quittent le secteur des télécommunications pour d’autres secteurs plus rémunérateurs.

Il est essentiel que les sous-traitants interviennent dans des conditions permettant de travailler en sécurité et dans les règles de l’art. Cela passe notamment par une formation adaptée, que nous réclamons depuis des mois. Nous espérons que la mise en place de la labellisation proposée par la filière permettra d’assurer une formation adéquate de tous les intervenants. Et cela nécessite aussi que le niveau de rémunération soit adapté au niveau de qualification requise, ainsi qu’aux exigences de sécurité et de qualité.

Voici les éléments que je souhaitais rappeler et qui sont des préalables indispensables à la fermeture du cuivre, avant d’aborder maintenant l’enjeu de la fermeture en elle-même.

Aujourd’hui, nous pouvons dire que le chantier de fermeture est lancé

L’Arcep joue un rôle de garant de cette bascule, pour qu’elle se fasse à bon rythme, tant au niveau de l’intérêt des utilisateurs que du jeu concurrentiel.

L’Autorité a posé les principes préalables à la fermeture dans la précédente analyse de marchés en décembre 2020. Premièrement, le réseau fibre doit être entièrement déployé. Deuxièmement, les offres de gros nécessaires doivent être fournies. Enfin, les opérateurs commerciaux doivent déjà être présents ou un préavis suffisant doit leur avoir été laissé, pour qu’ils aient le temps de venir offrir des services sur le réseau s’ils le souhaitent.

Pourquoi, peut-on dire que le chantier est désormais lancé ?

D’ores et déjà, Orange a entamé des fermetures commerciales pour les offres de gros «grand public ». En octobre 2022, on comptait plus de 20 millions de locaux en cumulé fermés commercialement.

Par ailleurs, des expérimentations de fermetures commerciale et techniques à l’échelle de communes sont menées par Orange et les autres opérateurs : 11.000 locaux sont ainsi concernés pour une fermeture technique le 31 mars 2023.

Orange a transmis à l’Arcep un plan de fermeture de la totalité de son réseau, qui a été mis en consultation publique au printemps 2022 par l’Autorité. Suite aux retours des acteurs et aux questions transmises à Orange par l’Arcep, Orange a modifié et précisé certains aspects au travers de compléments publiés en juillet dernier avec l’ensemble des contributions des acteurs.

Désormais le plan de fermeture entre dans sa phase de mise en œuvre. Une liste de communes constituant un premier lot de fermeture d’un peu plus de 200.000 locaux - avec une fermeture commerciale prévue en novembre 2023 et une fermeture technique prévue fin 2024 - a été proposée par Orange aux opérateurs en juillet 2022. Le périmètre de ce premier lot a également été soumis aux collectivités concernées avec la faculté pour elles d’en sortir. Ce que certaines ont d’ailleurs choisi de faire.

Pour L’Arcep, ce premier lot permettra d’enrichir les retours qui émanent des premières expérimentations et ainsi contribuer à plusieurs chantiers identifiés dans le cadre de la fermeture du cuivre.

La fermeture du cuivre est un processus qui va s’étaler jusqu’en 2030 et plusieurs chantiers et enjeux sont identifiés. Je retiens quelques-uns de ces enjeux sans être exhaustive.

Le succès de la mise en œuvre opérationnelle du plan de fermeture va dépendre de l’ensemble des acteurs mais Orange a naturellement une responsabilité de premier plan.

Responsabilité dans la mise en place et l’animation des instances de gouvernance au niveau national et local. Un des enjeux est de bien associer l’ensemble des acteurs, et notamment les collectivités territoriales.

Responsabilité dans le pilotage opérationnel du plan naturellement, qui incombe à Orange. L’Opérateur historique doit notamment mettre en œuvre des partages de données permettant de réconcilier la base cuivre et la base fibre de l’opérateur d’infrastructures, conformément aux obligations posées par le cadre.

Plus généralement, il faut qu’Orange assure un niveau efficace de coordination avec l’ensemble des opérateurs, afin de faciliter l’identification d’éventuelles difficultés à lever pour respecter les critères de fermeture mais aussi par exemple pour favoriser les choix pertinents de communes pour la constitution des premiers lots de fermeture.

Le succès dépendra aussi de l’investissement en matière d’accompagnement de tous les utilisateurs dans la migration cuivre-fibre. Celui-ci suppose des actions de communication et un suivi particulier des opérateurs. C’est absolument nécessaire. Dans notre rôle de régulateur, nous avons prévu de publier un jeu de Questions Réponses sur notre site internet pour informer les utilisateurs du fixe sur le projet de fermeture du réseau cuivre. Mais en parallèle, l’Arcep est favorable à la mise en place d’une communication institutionnelle, neutre et rassurante, auprès des collectivités et des Français concernés, puis sur le plan national par la suite. Cela nous semble de nature à faciliter les opérations de fermeture.

Le succès dépendra aussi de la prise en compte des spécificités des besoins du « "marché entreprises » :

Sur le « marché entreprises », comme vous le savez, la stratégie de l’Arcep consiste à tirer parti de la transition du cuivre vers la fibre pour rebattre le jeu concurrentiel.

Sur le bas de marché, celui de la fibre pro, l’Arcep a œuvré pour le développement d’un marché de gros concurrentiel de la fibre activée animé par au moins 3 opérateurs alternatifs investissant dans les infrastructures. Ce marché s’est développé mais reste encore fragile. C’est toujours un point d’attention de l’Autorité pour le prochain cycle d’analyse de marché.

Sur le haut de marché, celui des offres fibre avec qualité, l’Arcep a imposé fin 2020 à tous les opérateurs d’infrastructures FttH la mise en place d’offres de gros (passives) avec qualité de service renforcée sur leurs réseaux : GTR10h d’une part, et GTR4h d’autre part. Ces offres ont émergé sur la plupart des réseaux même si les échanges se poursuivent avec certains opérateurs d’infrastructures.

Mais les tarifs pratiqués pour ces offres FttH avec GTR 4h (le FttE), passives comme activées, sont aujourd’hui significativement plus élevés que ceux des offres avec GTR sur cuivre. Les tarifs devront nécessairement baisser pour faciliter la transition du cuivre vers la fibre.

D’autres questions dont certaines ont été d’ailleurs évoqués par le Président Chaize, prennent également une place importante dans la perspective de la fin du cuivre : il s’agit par exemple du traitement des accès les plus coûteux à établir pour lesquels des solutions devront être trouvées ou encore du traitement de certaines situations particulières pouvant rendre difficilement compatible l’établissement du réseau FttH avec le calendrier de fermeture. On pense ici aux blocages que peuvent rencontrer certains opérateurs d’infrastructures avec des tiers - par exemple certaines copropriétés qui s’opposeraient au déploiement du réseau. L’Arcep a bien identifié ces questions dans le cadre de ses travaux pour la prochaine analyse de marchés.

La question soulevée des moyens d’atteindre la péréquation de l’exploitation entre zone RIP et zone privée, est aussi identifiée par l’Arcep, comme un chantier important. Mais pour continuer à avancer sur ce travail, nous avons besoin de données précises sur les coûts de l’exploitation en zone RIP. Sans ces données, nous ne pouvons rien faire. J’invite donc les syndicats ou les opérateurs de RIP qui le souhaitent à venir nous alimenter sur ce sujet.

Comme nous venons de le voir, ce projet de fermeture du réseau cuivre est un chantier majeur pour Orange, pour l’ensemble des opérateurs, pour les collectivités largement impliquées dans le déploiement des réseaux, mais aussi pour les Français.

Nous avons ouvert la réflexion sur le nouveau cycle d’analyse de marché de l’Arcep, qui viendra répondre à certaines questions soulevées aujourd’hui.  Ces travaux sont en cours. Et même s’il est trop tôt pour indiquer quelles seront les modalités retenues sur ces aspects, les décisions de l’Arcep resteront guidées par un triple objectif :

tout d’abord, rendre possible, en pratique et de façon pragmatique, le processus industriel de fermeture du réseau cuivre d’Orange ;

ensuite, maintenir le cadre du déploiement des réseaux FttH à partir duquel les acteurs économiques ont construit leurs plans de déploiement et d’investissements, formalisés par des engagements sur des parties importantes du territoire

enfin, veiller in fine à la satisfaction des utilisateurs des réseaux de communications électroniques.

L’Arcep travaillera avec l’ensemble des acteurs, et notamment les collectivités pour que ce plan d’Orange de fermeture du cuivre soit une réussite.

Je vous remercie.