Prise de parole - Interview

" C'est la fin de la régulation pro low cost " : Sébastien Soriano, président de l'Arcep, répond aux questions du Figaro (7 avril 2016) 

Quelques jours après l'échec d'un rachat de Bouygues Telecom par Orange, Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des télécoms (Arcep), analyse l'avenir du secteur qui restera durablement partagé entre quatre opérateurs. Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free vont devoir repenser leurs stratégies et accélérer leurs investissements. Le régulateur les y incite fortement.

La consolidation des télécoms français est-elle définitivement enterrée?

Sebastien SORIANO .- Cela met fin au mythe de la consolidation. Les opérateurs français sont partis pour être à quatre un petit moment, ce qui purge la fable d'un retour à un marché à trois comme solution à tous les problèmes. La consolidation du secteur des télécoms en Europe est un raccourci intellectuel qui a été entretenu par le monde de la finance. Les enjeux sont ailleurs. Je rencontre Gunther Oettinger, commissaire européen à l'économie numérique ce jeudi pour en parler. Ce ne sont pas seulement les opérateurs télécoms qui vont permettre de développer une Silicon Valley européenne. Ils construisent la brique de base du numérique, mais ne vont pas tout résoudre. Il faut aussi des entrepreneurs à succès qui puissent investir. Et s'il faut un Airbus de quelque chose en Europe, c'est pour créer un Nasdaq

La consolidation aurait permis de relancer l'investissement?

Rien n'est moins sûr. Un marché à trois génère plus de marges, mais comme il y a moins de concurrence, les gains vont plutôt aux actionnaires, pas à l'investissement. Dans un marché à quatre, il y a plus de tensions. Les opérateurs restituent les marges en baissant les prix ou en investissant. Et dans un monde convergent, ils doivent faire les deux métiers, le fixe et le mobile. Bouygues Telecom doit investir dans le fixe et Free dans le mobile. II faut une équipe de France de l'investissement qui soit portée par la pluralité des acteurs. Il n'y a pas de bon modèle, à trois ou à quatre. La régulation ne doit pas opposer la politique industrielle et celle de la concurrence. Cette dernière n'est qu'un moyen, la priorité c'est l'investissement.

C'est la fin de la concurrence par les prix?

C'est la fin de la régulation pro-low cost et le début de celle pro investissement. Je ne renie absolument pas la période précédente, marquée par des prix trop élevés dans les télécoms, qui appelaient un serrage de vis. Aujourd'hui, les prix ne sont plus la seule priorité. Dans le mobile, nous allons nous assurer que les quatre sont bien dans une logique d'investissement. Nous ne pouvons pas accepter qu'un modèle soit différent des autres. Il faut organiser la fin de l'itinérance de Free chez Orange. En janvier, l'Arcep a publié un document pour éclairer le marché sur ce sujet. Il a été mis en suspens le temps des négociations autour d'un rachat de Bouygues Telecom par Orange. Maintenant que ce dossier est clos, nous reprenons les travaux. Les opérateurs doivent nous remettre leurs conclusions avant le 15 avril.

L'itinérance de Free chez Orange va-t-elle s'arrêter avant 2018?

Il faut même commencer avant et nous utiliserons les moyens coercitifs que nous a donnés la loi Macron s'il le faut. Mais je préfère trouver des solutions négociées, c'est pourquoi nous entrons dans une phase de consultation avec les parties. L'extinction de l'itinérance doit commencer rapidement et nous proposons que la totalité de l'itinérance haut débit (3G) s'éteigne entre fin 2018 et fin 2020 et entre 2020 et 2022 pour la 2G. Tout couper aujourd'hui, ce serait priver sans justification des millions de consommateurs de réseau et le devoir du régulateur est aussi de protéger les utilisateurs. Nous allons mettre en place un programme par paliers, construire des marches, dont les premières commenceront avant la fin théorique du contrat (fin 2017).

Et pour la mutualisation entre Bouygues Telecom et SFR?

Le climat est plutôt favorable à un tel contrat, qui implique un partage du fardeau de l'investissement dans les zones moins denses. Nous devons néanmoins nous assurer que le réseau commun sera nettement meilleur que chacun des deux anciens réseaux. Pour l'itinérance 4G de SFR chez Bouygues Telecom, nous proposons des échéances fermes de sortie, entre 2016 et 2018.

Dans le fixe, la bataille de la fibre fait rage. Orange est très en avance....

La bonne nouvelle est qu'il y a des déploiements et des abonnés. C'est très différent du plan câble, qui a atteint difficilement un taux de pénétration de 10 à 15%. La fibre est déjà à 20 ou 25% de taux de pénétration (consommateurs qui choisissent de s'abonner quand leur foyer est raccordable, ndlr). Les investissements dans la fibre génèrent des abonnés et donc des revenus. Il y a un modèle économique de la fibre optique, et une locomotive à son développement : Orange. L'opérateur a accéléré le rythme de ses investissements dans le réseau et dans les actions commerciales.

Y-a t-il un risque de voir Orange installer un nouveau monopole dans la fibre?

Nous voulons éviter une situation de duopole, c'est le pire des systèmes. C'est-à-dire un marché avec deux gros opérateurs, Orange et SFR - qui bénéficie du réseau très haut débit de Numericable - d'un côté et deux petits, Free et Bouygues Telecom de l'autre. Je veux quatre opérateurs forts, que Bouygues Telecom et Free aient les capacités d'investir dans la fibre. Nous allons poser toutes les questions, sans tabou, et mettre à jour si nécessaire la régulation d'Orange. Il ne s'agit pas pour autant de déstabiliser le système, car la fibre est un projet de très long terme.

Le statut des "zones fibrées" tel qu'il doit être finalisé dans la Loi Lemaire va arriver. Une fois qu'une zone sera déclarée fibrée, nous pourrons y mettre en œuvre les mécanismes de migration. Concrètement, nous pourrons augmenter les tarifs de dégroupage du cuivre (utilisé pour l'ADSL, ndlr), ce qui devrait inciter les autres opérateurs à investir dans leur propre réseau fibre plutôt qu'à utiliser le cuivre d'Orange.

DétailLe marché des entreprises reste dominé par Orange et SFR…

Une de nos priorités est de le sortir de ce quasi-duopole. C'est un enjeu important de la transformation numérique de l'économie. Avec notre soutien, la CGPME va éditer un guide à l'attention des PME afin de les aider à s'abonner à la fibre. Nous voulons favoriser l'émergence d'un troisième pôle, qui pourrait être constitué d'opérateurs de services, comme Coriolis ou d'acteurs investissant dans les infrastructures, comme Kosc, au capital duquel la BPI est entrée, ou Bouygues Telecom bien sûr. Il faut que les PME puissent accéder à des offres fibres abordables, c'est-à-dire à 200-300 € /mois, contre parfois plus de 1000€/mois aujourd'hui.

Que pensez-vous d'une fusion entre l'Arcep et le CSA ?

Définissons les enjeux de régulation avant de poser la question des institutions. La convergence entre télécoms et médias est-elle un réel enjeu à l'heure de la révolution numérique et des plateformes ? Est-elle souhaitable pour le bon fonctionnement des marchés et les consommateurs ?

Propos recueillis par Elsa Bombaron


L'interview du Figaro