Prise de parole - Discours

" Vers plus de concurrence dans les télécommunications " : discours de Paul CHAMPSAUR, Président de l'Autorité de Régulation des Télécommunications, à la Conférence " Les Echos " / 19 juin 2003

 

La concurrence est relativement ancienne et bien installée dans le secteur des radiocommunications, plus précisément la téléphonie mobile avec trois opérateurs actifs depuis 1994. Certes, la barrière à l'entrée n'est pas négligeable puisqu'un réseau couvrant le territoire représente un investissement lourd et que les ressources du spectre en limitent le nombre potentiel. Cependant, en France, comme dans beaucoup d'autres pays, il y a place pour que fonctionnent dans des conditions techniques et économiques satisfaisantes plusieurs réseaux concurrents autorisant une structure de marché raisonnablement concurrentielle. Le passage à la troisième génération a toutefois failli se traduire par un recul de la concurrence. On ne peut donc que se réjouir des nouvelles conditions qui ont permis à un troisième opérateur, Bouygues Telecom, de demander et d'obtenir fin 2002 une licence UMTS, rejoignant ainsi Orange et SFR. Dans l'UMTS, la concurrence sera donc effective et l'ART surveillera de près le déploiement des réseaux par les opérateurs.

 

La concurrence dans le fixe se confond, au moins chronologiquement, avec la mise en oeuvre de la loi de 1996 et du dispositif de régulation qu'elle a prévu en définissant le rôle de l'ART, sa relation avec l'autorité gouvernementale et ses rapports, étroits et productifs, avec d'autres instances de régulation, en particulier avec le Conseil de la Concurrence. L'ART a ainsi été créée en 1997 avec comme première mission de " veiller à l'exercice, au bénéfice des utilisateurs, d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de télécommunications ", selon l'article 32-1 de la LRT.

 

Dans un premier temps, il s'est agi de faciliter l'entrée de concurrents sur le marché en contrôlant les tarifs de gros et de détail de France Télécom.

 

Le nouveau cadre réglementaire et législatif qui découlera de la transposition des directives dites " paquet télécoms " dans notre droit national, marque une nouvelle étape.

 

Il a été conçu pour permettre de gérer de façon fine et progressive, marché par marché, le passage d'un régime de concurrence accompagnée ou " cultivée " à un régime de droit commun de la concurrence. Il est prévu une palette plus fournie d'outils permettant d'effectuer une décomposition plus précise des marchés et d'imposer des obligations aux opérateurs dominants choisies de façon plus subtile qu'auparavant.

Mais je voudrais revenir sur les progrès de la concurrence qui ont découlé du cadre législatif et réglementaire actuel.

Dans le fixe, la concurrence a été mise en place par étapes successives : tout d'abord dans les communications longue distance et internationales, dès le 1er janvier 1998, avec la possibilité de choisir son opérateur en composant un préfixe, puis grâce à la présélection à partir de janvier 2000. Pour les appels " fixe vers mobiles ", les consommateurs ont également bénéficié de la présélection du transporteur le 1er novembre 2000. Enfin, le 1er janvier 2002, le consommateur a pu retenir l'opérateur de son choix pour les appels locaux.

 

A fin décembre 2002, les concurrents de France Télécom avaient conquis 36% du marché en volume des communications longue distance et internationales et 20% de la téléphonie locale. En valeur, ce pourcentage est plus faible et en termes de valeur ajoutée par les concurrents il doit encore être diminué des reversement dus au titre de l'interconnexion. Cela signifie que la situation des concurrents de l'opérateur historique est encore fragile. Malgré une croissance de leurs parts de marché, ceux-ci ont encore besoin que le régulateur surveille les conditions d'accès, tant techniques qu'économiques, au réseau de France Télécom. Malgré des avancées significatives, la situation des concurrents de France Télécom justifie le maintien d'une intervention ex-ante de l'ART, dont les modalités devront être graduées en fonction de l'analyse des marchés que l'ART a engagé au printemps dernier. Cela leur permettra de continuer à déployer leurs réseaux dans des conditions économiques satisfaisantes car la régulation chercher à favoriser une concurrence génératrice d'investissements. Cette situation perdurera un certain temps dans le nouveau cadre.

La concurrence sur le marché de détail dépend également de la situation sur les marchés de gros et donc de l'action du régulateur sur ceux-ci. Toutefois, cette surveillance du marché de gros ne s'applique pas qu'à l'opérateur historique comme l'illustre le différend opposant France Télécom à Completel, Estel et UPC sur le marché de la terminaison d'appels. Pour régler ce litige, l'ART a adopté une position incitative à l'efficacité et garante d'une neutralité concurrentielle entre France Télécom et les opérateurs de boucle locale. L'ART a ainsi estimé qu'il était équitable d'appliquer en régime de croisière le principe de réciprocité, c'est-à-dire que le prix pratiqué par un opérateur de boucle locale pour acheminer un appel entrant sur son réseau doit être équivalent au tarif d'interconnexion sortante -donc une prestation équivalente- qu'il achète à France Télécom. Mais, comme le développement des nouveaux opérateurs sur le marché de la boucle locale est très récent et qu'ils ne peuvent atteindre dans l'immédiat des niveaux de coûts comparables à ceux de France Télécom, ils pourront appliquer à France Télécom jusqu'à fin 2007 les tarifs que celle-ci pratiquait cinq années plus tôt, des effets d'apprentissage justifiant cette période transitoire.

 

Le nouveau cadre découlant de la transposition des directives et de la recommandation sur les marchés pertinents permettra de conforter, en tant que de besoin, une demande de régulation ex-ante du marché de la terminaison d'appels. Le nouveau cadre confortera ainsi le pouvoir d'intervention du régulateur dans ce domaine.

Dans le haut débit, l'action de l'ART au printemps et à l'été 2002 a permis de faire naître un nouveau type d'offres ADSL basées sur le dégroupage de la paire de cuivre de France Télécom. Au 1er juin 2003, près de 38 000 lignes étaient dégroupées partiellement après six mois d'existence de ces offres. Le rythme s'accélère puisque début juin 5000 lignes seraient dégroupées chaque semaine alors que Telecom Développement vient d'annoncer un programme d'investissement important pour les prochains mois. Ces chiffres regroupent la création de nouveaux accès Internet haut débit, c'est-à-dire la conquête de nouveaux clients par des opérateurs dégroupeurs, mais également la migration de certains accès anciennement conclus via l'option 5 (revente par des tiers de l'offre de France Télécom) vers le dégroupage (option 1). Ce mouvement est le signe du développement de la concurrence non seulement sur le marché de détail de l'Internet haut débit mais également sur le marché de gros correspondant, certains fournisseurs d'accès à Internet préférant s'affranchir de l'opérateur historique pour recourir aux services d'opérateurs dégroupeurs. Au 1er juin, on peut estimer la part de marché des opérateurs dégroupeurs à 2%, France Télécom fournissant encore une écrasante majorité de connexions ADSL. Sur le marché de détail, la part de marché des FAI concurrents de Wanadoo s'élève à 35% contre moins de 10% il y a un an.

La concurrence passe aussi par l'innovation technologique. A cet égard, l'ART a pris des initiatives l'an dernier pour libéraliser le déploiement de réseaux locaux radioélectriques fonctionnant dans les bandes 2,4 GHz ou 5 GHz, communément appelés WiFi. Les bornes d'accès WiFi permettent de desservir des lieux de passage offrant ainsi aux utilisateurs nomades un accès à des services haut débit, par exemple, ici même au Palais des Congrès. Les négociations que l'ART poursuit avec le ministère de la Défense ont permis d'obtenir un assouplissement des conditions techniques dans cinquante-huit départements métropolitains ainsi que dans les départements d'outre-mer. Des évolutions sont attendues dans les semaines qui viennent avec l'extension de conditions techniques moins contraignantes à d'autres départements. L'ART a par ailleurs publié des lignes directrices définissant les conditions d'obtention de licences expérimentales dans la bande des 2,4 GHZ en vue d'établir des réseaux RLAN ouverts au public, notamment afin de répondre, sur tout le territoire, à des besoins de développement local dans des zones mal desservies en haut débit. Le WiFi apparait donc en complémentarité avec le satellite comme une alternative à l'ADSL. Gratuites et délivrées pour 18 mois, ces licences devraient permettre d'évaluer la technologie WiFi aux plans technique et économique comme au plan des usages.

 

Si l'ART entend par son action favoriser l'innovation et respecter le principe de neutralité technologique, elle doit également s'assurer avant d'affecter des ressources rares de la maturité d'une technologie qui conditionne un usage des fréquences efficace et conforme à leur destination. C'est ainsi qu'elle a formulé ses avis sur les demandes de la société Inquam, repreneur de la société Dolphin Telecom visant à utiliser une norme différente, le CDMA-PAMR, de celle prévue dans son autorisation, la norme pan-européenne Tetra. A l'issue d'un appel à commentaires, l'ART a relevé que les solutions PMR/PAMR moyen et haut débits, dont la norme CDMA-PAMR, n'étaient pas mûres et que, de l'aveu même de la plupart des utilisateurs des services de Dolphin Telecom ayant répondu à cet appel à commentaires, leurs besoins en haut débit restaient limités. Après un recours gracieux auprès de la ministre en charge des télécommunications, l'ART a réexaminé la demande d'Inquam assortie d'engagements pour se limiter au marché des services PMR, objet de sa licence, et ne pas interférer avec le marché des services mobiles 3G. Constatant que l'interface radio du CDMA-PMR appartient à la famille des normes de troisième génération (CDMA 2000) et que les services susceptibles d'être rendus à partir de cette technologie seraient susceptibles de recouper un sous ensemble significatif du marché des services mobiles de troisième génération, notamment sur le segment de la clientèle professionnelle, l'ART a de nouveau émis un avis négatif. Ce constat conduisait à s'interroger sur les conditions d'équité concurrentielles entre acteurs engagés dans la 3G, notamment le niveau d'une redevance proportionnée au marché ouvert par l'usage de la technolgoie CDMA 2000 sur la bande de fréquence détenue par Dolphin Telecom. La ministre de l'Industrie a suivi l'avis de l'ART. Les actionnaires de Dolphin ont finalement préféré renoncer à leur plan de reprise.

Deux nouveaux chantiers ont été ouverts par l'ART pour parfaire la concurrence. Il s'agit tout d'abord de la portabilité du numéro mobile, et de la revente de l'abonnement téléphonique.

 

Concernant la portabilité du numéro mobile, l'ART est intervenue auprès des opérateurs afin que cette faculté offerte aux consommateurs pour changer d'opérateur tout en conservant leur numéro de téléphone démarre bien à la date prévue. Les trois opérateurs mobiles ont demandé un ultime arbitrage à l'ART pour fixer un tarif de gros unique inter-opérateur, montant que l'opérateur quitté facture au nouvel opérateur retenu par le client. Ce coût intermédiaire d'un montant de 15,2 euros, provisoire car il devrait être renégocié par les parties d'ici un an, permet, conformément aux lignes directrices publiées en juillet 2002 de mettre en place la portabilité au 30 juin 2003 sur une base saine. Je rappelle que les trois opérateurs sont libres de fixer les tarifs de détail qu'ils appliqueront à un nouveau client apportant un numéro mobile. Ainsi dès le 1er juillet, tous les numéros de téléphone seront portables en France, qu'ils soient géographiques fixes, non géographiques fixes, c'est-à-dire les numéros commençant par 08, courts au format 3BPQ et enfin mobiles.

 

Le nouveau cadre législatif et réglementaire résultant de la transposition va permettre de nouvelles avancées en faveur de la concurrence dans des domaines où l'ancien cadre avait révélé ses limites.

 

Je ne chercherai pas à faire l'inventaire de ces domaines ou avancées. Ce serait prématuré compte tenu des incertitudes sur la transposition des directives en droit français et de l'harmonisation européenne de l'application que feront les régulateurs nationaux du nouveau cadre.

 

Je me contenterai de citer un exemple car il est très visible par le grand public : la revente de l'abonnement téléphonique par les concurrents de France Télécom.

 

L'opérateur historique conserve aujourd'hui une position très nettement prééminente sur le marché de l'accès au service téléphonique, ce qui a pour effet de limiter les bénéfices de la concurrence pour certains utilisateurs. Cette situation a également pour effet de restreindre les possibilités d'innovation en matière tarifaire ou de service pour l'ensemble des acteurs du marché de la téléphonie fixe, y compris France Télécom qui ne peut coupler dans un forfait unique abonnement et communications par exemple.

 

La revente de l'abonnement, qui permet à un opérateur tiers de proposer à son client une facture unique et de le fidéliser, n'est pas un simple transfert de gestion de la facture. En effet, outre l'accès au téléphone, l'abonnement donne droit à des prestations techniques et à des services divers (identification de l'appelant, renvoi d'appels, entretien de la ligne, etc.). Il convient donc de s'assurer que ce qui est géré actuellement par un contrat bilatéral entre France Télécom et le titulaire de l'abonnement, le sera dans les mêmes conditions à travers un contrat entre l'opérateur concurrent de France Télécom et le client final. Pour cela, les deux opérateurs doivent conclure un contrat prévoyant que les prestations initiales continuent à être fournies comme par le passé. La situation se complique avec le dégroupage partiel qui fait intervenir d'autres acteurs, notamment un FAI.

 

Aujourd'hui, dans le cadre actuel, rien n'interdit à France Télécom de signer un tel contrat avec un ou tous ses concurrents. A l'inverse, si France Télécom le refuse, l'ART n'a pas le pouvoir de le lui imposer. Le nouveau cadre ainsi que les évolutions constatées dans d'autres pays pourraient donner à terme une capacité d'intervention à l'ART qui s'y prépare depuis plusieurs mois en s'appuyant sur un groupe de travail associant l'ensemble des opérateurs et France Télécom. Son but est d'approfondir les enjeux et les modalités éventuelles de cette prestation. Ceci étant, il ne faut pas réduire les enjeux de la concurrence sur l'accès dans le domaine de la téléphonie fixe au seul sujet de la revente de l'abonnement. Il ne faut pas oublier que le dégroupage total, très peu développé aujourd'hui en France, entraîne une unicité d'interlocuteur pour le client final et offre des possibilités de différenciation commerciale et technique.

 

La transposition des directives en définissant plus finement les marchés pertinents fera apparaître des situations dans lesquelles certains opérateurs pourront être considérés comme puissants alors qu'ils ne le sont pas aujourd'hui, comme par exemple pour la terminaison d'appels que j'ai déjà citée. Sur certains marchés, les obligations imposées aux opérateurs puissants pourront et devront être mieux ajustées et donc dans certains cas allégées par rapport à ce qu'impliquait le précédent cadre. Au total, il ne s'agit pas pour le régulateur d'intervenir davantage, mais d'intervenir mieux grâce à des instruments plus adaptés. Dans les prochaines années, l'ART pourra renoncer à certaines interventions s'il s'avère que la concurrence est bien établie. Rappelons que déjà, les communications internationales sont sorties du catalogue d'interconnexion, la concurrence étant une réalité sur ce marché. Par ailleurs, sur le marché de gros de l'Internet bas débit, l'ART a estimé qu'il y avait suffisamment d'opérateurs de transport pour ne pas réguler les offres de collecte à destination des FAI.

 

Je souhaite que les acteurs du marché se familiarisent avec ces nouvelles règles et se persuadent de l'intérêt qu'il y a pour eux à bien connaître les raisonnements et les mécanismes associés à celles-ci. En effet, une bonne connaissance partagée du nouveau cadre juridique et de sa logique économique devrait apporter plus de sécurité et plus de prévisibilité quant à l'environnement concurrentiel. Les acteurs du marché y gagneront en capacité de prospective et donc de développement.

 

Dans l'attente de la mise en application du nouveau cadre, nous sommes en train de préparer, avec le ministère chargé des télécommunications, des informations susceptibles d'être rendues publiques le mois prochain sur les dispositions applicables à compter du 25 juillet pour donner plus de visibilité au marché pendant la période de transition.

Je vous remercie de votre attention.