Prise de parole - Interview

"Vers la sortie du tunnel dans les télécoms" : une interview de Dominique Roux, membre du Collège de l'ART, publiée dans le Figaro Economie le 26 novembre 2003

 

LE FIGARO Economie- Les fonds d'investissements recommencent à s'intéresser aux télécoms. La crise est-elle finie?DOMINIQUE ROUX- On s'oriente vers la sortie du tunnel. Dès la fin de l'année et au plus tard au début de l'année 2004, ce secteur dont le poids ne cesse d'augmenter dans le PIB devrait retrouver la vitalité qu'on lui a connue ces dernières années et qui l'a fait considérer comme un facteur de croissance. Après la croissance stupéfiante de la téléphonie mobile au cours des 5 ou 6 dernières années, le relais est pris par deux nouveautés technologiques : l'Internet haut débit via l'ADSL ou le câble, et le lancement de nouvelles générations de mobile (GPRS, EDGE et UMTS) accompagnées d'une grande variété de services grâce à des débits beaucoup plus élevés.

Les dix millions d'abonnés haut débit évoqués par le Premier Ministre pour 2007 seront-ils atteints?Certainement et sans doute dépassés. Avec l'Internet haut débit, on retrouve dans les chiffres publiés depuis plusieurs mois des taux de croissance qui rappellent ceux que l'on a connus avec les mobiles il y a quelques années. En effet, si seulement 500.000 personnes étaient abonnées à l'Internet haut débit début 2002, ils sont à présent plus de 2 millions et au rythme de 200.000 abonnés supplémentaires chaque mois les trois millions seront atteints à la fin de l'année via le câble ou l'ADSL.

La France a pourtant la réputation d'être à la traîne.La France est en train de rattraper le peloton de tête grâce à des tarifs de détail particulièrement bas, parmi les moins élevés d'Europe. En juillet 2002, l'ART a pris plusieurs décisions tarifaires majeures qui ont fortement contribué à stimuler ce marché. Grâce à ces diminutions de prix tant sur l'accès que sur la collecte de trafic, les tarifs de détail sont inférieurs en moyenne à 30 euros, moins élevés qu'en Allemagne et au Royaume Uni par exemple !

Le développement du haut débit ne serait-il pas stimulé s'il existait davantage de concurrence? Au 1er octobre 2003, plus de 130.000 lignes étaient dégroupées, ce qui signifie que de plus en plus de français utilisent un concurrent de France Télécom pour acheminer de bout en bout leur trafic de données et/ou de voix, et le rythme s'accélère puisqu'on atteint actuellement les 12.000 dégroupages par semaine contre 2.700 au début de l'année. Le dégroupage devrait dès la fin de l'année représenter entre 3 et 6 % du marché du haut débit soit environ 250.000 abonnés. Dans le même temps de nouveaux opérateurs arrivent sur ce marché comme par exemple Telecom Italia et différentes nouvelles technologies comme le WiFi, les satellites ou les CPL (courant porteur en ligne) se mettent en place et viennent encore renforcer le développement du haut débit.

Pourtant la concurrence est loin d'être totale dans l'Internet haut débit. En ce qui concerne les fournisseurs d'accès, la France est le marché le plus ouvert et au sein duquel la filiale de l'opérateur historique ne domine pas outrageusement comme c'est souvent le cas dans les pays voisins. Wanadoo, ne possède que 60 % du marché haut débit via l'ADSL, alors qu'en Allemagne T.Online frise les 90 %, en Espagne Téléfonica/Terra en détient 83 % et en Belgique l'opérateur historique Belgacom a 77 % du marché. En revanche, dans le domaine des réseaux de transport, même si le câble représente 3 ou 400.000 abonnés, France Télécom a toujours une position fortement monopolistique dans l'ADSL.

Le câble a-t-il encore un avenir face à la montée en puissance de l'ADSL?Les réseaux câblés conservent une grande importance car ils représentent un élément essentiel de la concurrence dans l'Internet haut débit. L'amendement récent du Sénat qui lève la contrainte d'un marché limité à 8 millions d'abonnés va dans le bon sens car cette décision devrait permettre des regroupements indispensables chez les câblo-opérateurs, cette première avancée constitue une condition certes nécessaire mais pas suffisante. Il faut aller plus loin et faire en sorte que France Télécom qui est présente dans les trois principaux réseaux câblés, se retire pour permettre aux entreprises de ce secteur de mener une véritable politique autonome. Le câble ne l'oublions pas est dans certains pays comme les Etats Unis, le support numéro un loin devant l'ADSL de l'Internet haut débit.

Quels sont les autres relais de croissance pour le secteur?Il ne faut pas oublier le développement des mobiles. En ce qui concerne la 2ème génération, le marché continue à se développer sous une triple influence. D'une part, le renouvellement très rapide des terminaux, les abonnés les changent en moyenne tous les deux ans ce qui représente un marché annuel de l'ordre de 2 milliards d'euros. D'autre part, des services nouveaux autres que la voix comme les SMS (plus de 7 milliards d'unités en 2003) font croître le revenu moyen de chaque abonné qui atteint à présent 33,9 euros chaque mois. Enfin, on commence à entrer dans le monde du multi-équipement puisque par exemple dans l'Ile de France comme en Corse, le taux de pénétration des mobiles dépassent les 90 % contre 65 % pour la moyenne du pays.

Mais au-delà des systèmes actuels, quid de l'UMTS?De nouveaux investissements qui portent sur des centaines de millions d'euros, sont en cours pour accroître le débit des réseaux avec le GPRS, l'EDGE et bien sûr la 3ème génération qui sera ouverte commercialement c'est à présent une certitude dans moins d'un an. La 3ème génération va ne l'oublions pas susciter des investissements très élevés tant commercialement que pour les infrastructures, partout en Europe qui devraient représenter dans les 5 ans un montant de près de 100 milliards d'euros.

Quelles décisions réglementaires l'ART peut-elle prendre pour encourager cette reprise?Le régulateur doit se prononcer sur la revente de l'abonnement qui reste un des derniers éléments forts du monopole dans la téléphonie fixe. Le régulateur doit aussi s'assurer que des décisions antérieures sont effectivement appliquées comme par exemple celles qui concernent la portabilité des numéros mobiles, c'est à dire la possibilité de conserver son numéro quand on change d'opérateurs. Enfin, comme toujours dans ce secteur les innovations se succèdent à un rythme élevé, ainsi par exemples de nouveaux services vont bientôt être proposés comme la TV sur l'ADSL qui concerne de nombreux acteurs du secteur au sens large, les câblo-opérateurs, les diffuseurs, la future TNT etc.

Propos recueillis par le Figaro