Prise de parole - Interview

Une interview de Paul Champsaur, président de l'ART, publiée dans La Tribune - le 10 juin 2004

Le gouvernement a exigé des opérateurs une baisse du prix des mini-messages SMS. Que peux faire l’ART ?

Cela fait un certain temps que nous réfléchissons à ce dossier. Mais il est difficile d’en parler sans évoquer le marché de la téléphonie mobile dans son ensemble. Rappelons tout d’abord que les textes européens ne prévoient pas d’intervention du régulateur sectoriel sur ce marché de détail, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés. L’ART n’a donc pas vocation à intervenir sur le prix de détail des SMS.

La logique des nouvelles directives est de privilégier l’intervention sur les marchés de gros. Le marché de la terminaison d’appel – par lequel nous avons commencé nos analyses de marché – ne mentionne que la voix, car les 18 " marchés pertinents " ont été définis il y a déjà quelque temps. En ce qui concerne le marché des SMS, nous en avons discuté avec les autres régulateurs européens et la Commission et nous devrions être les premiers à lancer l’analyse de ce marché. Nous avons en effet décidé de lancer le processus pouvant conduire à la définition d’un nouveau marché pertinent : celui de la terminaison d’appel SMS. Comme elle l’a fait pour les appels fixes vers mobiles, l’ART consultera les acteurs puis le Conseil de la concurrence, dont le point de vue sera primordial. Enfin, la Commission européenne aura un droit de veto sur notre analyse, puisqu’il s’agit de définir un marché nouveau. Si nous arrivons à la conclusion qu’une régulation est nécessaire, nous pourrons imposer au premier trimestre 2005 une baisse des tarifs de gros des SMS pour qu'ils reflètent mieux les coûts.

Le coût d’un SMS est-il de 6 à 8 centimes comme l’assurent les opérateurs ?

Je ne suis pas en mesure de le dire. Nous demanderons les informations comptables aux opérateurs.

Les minimessages MMS (texte, sons et images) pourraient-ils également être régulés ?

Pas à ce stade. Ce sont clairement des marchés émergents. Il y a unanimité pour ne pas les réguler. L’UMTS génère suffisamment d’incertitudes pour qu’on garantisse aux opérateurs une grande lisibilité en la matière.

Que répondez-vous à ceux qui jugent insuffisante la concurrence dans la téléphonie mobile en France ?

Si l’on fait une photographie du marché français, la situation n’est pas très différente des autres pays européens. Le taux de pénétration est moindre, mais le taux de multi-équipement en cartes SIM est aussi sensiblement plus faible. La France est également plus rurale. Son service de téléphonie fixe est d’excellente qualité et accessible à tous, par exemple grâce aux tarifs sociaux du service universel. En revanche, si les prix sont plutôt en dessous de la moyenne européenne pour les utilisateurs moyens ou assidus, ce n’est pas le cas pour les petits clients ou les utilisateurs occasionnels. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec l’absence d’opérateur mobile virtuel (MVNO, opérateur sans réseau propre Ndlr).

Par ailleurs, la dynamique concurrentielle donne depuis deux ou trois ans le sentiment de s’essouffler. Il y a moins d’innovations marketing, la baisse des prix se ralentit et la perspective de l’arrivée d’un nouvel entrant avec la quatrième licence UMTS s’éloigne…

Dès lors, vous plaidez pour l’entrée d’opérateurs mobiles virtuels sur le marché français…

Nous sommes favorables à la conclusion d’accords de ce type entre les opérateurs en place et d’autres acteurs, dès lors que ceux-ci proposeront des offres raisonnables qui ne déséquilibreront pas le marché.

Qu’entendez-vous par offres raisonnables ?

Les accords devront permettre aux MVNO d’avoir la pleine propriété de leurs cartes SIM, de leur base de clientèle et une totale liberté commerciale. Pour autant, nous n’avons pas l’intention de dicter aux acteurs les accords de MVNO, et nous ne souhaitons pas fixer a priori les tarifs qui seront proposés. Des accords conclus avec des distributeurs, sur le modèle de Virgin Mobile en Grande-Bretagne, sont souhaitables ou encore des accords entre opérateurs fixes et opérateurs mobiles, comme l’ont fait BT et Vodafone. Il n’est pas exclu que ce dernier type d’alliance ait du succès en Europe et il ne serait pas normal que le marché français reste à l’écart.

Le taux de marge élevé des opérateurs mobiles est-il un critère du manque de concurrence?

Non. Ce seul critère n’est pas suffisant car les télécoms sont un secteur où l’intensité capitalistique est très forte, ce qui génère nécessairement à terme des taux de marge élevés. Il faut donc tenir compte des capitaux engagés. En revanche, certains analystes financiers nous promettent pour les prochaines années des retours sur investissements faramineux… Le régulateur ne peut y rester indifférent. Mais il faut éviter de spolier celui qui a pris le risque d’investir ! Toute la difficulté de la régulation est là.

Que va changer l’émergence de la voix transportée par le réseau Internet (ou voix sur IP) ?

La voix sur IP peut contribuer au rééquilibrage entre les marchés du fixe et du mobile en modifiant les usages comme nous le voyons sur les forfaits ADSL qui incluent la voix, l’Internet haut débit et la télévision. Par le biais de la tarification des terminaisons d’appel, les usagers du fixe ont subventionné le mobile, ce qui n’a plus de justification aujourd’hui. La voix sur IP va permettre des baisses de coûts tout en offrant des fonctionnalités nouvelles, équivalentes à celles du mobile. Nous n’avons pas a priori l’intention d’intervenir sur la tarification de détail de ces services. La régulation n’en devra pas moins définir des règles et des frontières. Pour les appels de PC à PC, il n’y a pas de souci. Pour les appels vers le réseau téléphonique, les règles sont en-cours de définition au plan européen et les opérateurs doivent respecter des obligations. Par exemple, les abonnés doivent pouvoir être localisés, notamment pour les appels d’urgence. La généralisation des offres de voix sur les accès ADSL, notamment grâce au dégroupage, va banaliser la voix sur IP et changer l’économie de la téléphonie fixe. C’est la fin annoncée de la tarification à la distance et à la durée.

Parlons en justement … Les opérateurs alternatifs viennent de lancer des offres permettant aux particuliers de s’affranchir de France Télécom, y compris pour l’abonnement, grâce au dégroupage total. Y aura-t-il une baisse des prix comme ce fut le cas pour le dégroupage partiel ?

Nous sommes très fiers de ce qui s’est passé en France sur le dégroupage partiel. Des opérateurs alternatifs ont pu entrer sur le marché de l’Internet haut débit, y investir, ce qui a suscité des baisses de prix très importantes. La concurrence sur le fixe a maintenant de nouvelles perspectives alors que ce marché était en déclin.

Il est naturel que ces opérateurs basculent maintenant vers le dégroupage total. France Télécom ne récuse d’ailleurs pas cette évolution. Nous ne considérons pas que le prix soit aujourd’hui l’obstacle essentiel à ce développement. Le plus urgent est d’améliorer les conditions opérationnelles afin d’industrialiser le processus. Aujourd’hui, les délais et la qualité de service ne sont pas satisfaisants. De même, la portabilité du numéro de téléphonie fixe est un processus lent et bureaucratique. Il faut aussi que les opérateurs alternatifs concernés apportent aux consommateurs des garanties de service. Nous souhaitons que le dégroupage total connaisse en 2005 le développement que le dégroupage partiel a connu en 2003, et nous agirons en ce sens.

L’ART a pu sembler trop discrète et son action a été critiquée…

Il est des animaux à sang froid qui sont fragiles lorsqu’ils opèrent leur mue. Un régulateur, entre deux trains législatifs, c’est pareil… Le paquet télécoms n’étant pas encore transposé, nous avons été contraints à une certaine réserve. Il y a des initiatives qu’on ne pouvait prendre que sur la base de textes adoptés. Le propre de la régulation, c’est de reposer le plus possible sur des données objectives. Et pour cela, il faut avoir un minimum de recul. Mais, le paquet télécoms vient enfin d’être adopté, de manière conforme aux directives et nous nous en félicitons car la loi nous donne une meilleure capacité d’intervention en nous permettant de graduer nos interventions.

Propos recueillis par Sophie Sanchez, Olivier Nicolas et Jean-Baptiste Jacquin