En 1999, le téléphone local sera ouvert à la concurrence
L'ART attribuera de nouvelles licences
L'ouverture totale à la concurrence du téléphone en France n'est effective que depuis le 1er janvier, mais le processus connaît ses premiers accrocs. Le Conseil d'Etat a gelé l'attribution de préfixes téléphoniques à un seul chiffre à Tele2 et Esprit Telecom, en attendant la décision définitive, qui doit intervenir avant l'été. Saisi par AXS Telecom, à qui un tel préfixe avait été refusé, le Conseil d'Etat doit aussi examiner une nouvelle demande, celle d'Esprit Telecom, qui réclame l'annulation des attributions précédentes à Bouygues, Cegetel, Omnicom et Siris.
Dans ce dossier, ce sont les conditions et les critères, ainsi que le principe même de l'attribution d'un préfixe à un chiffre, qui sont mis en cause. Donc le rôle de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), qui instruit les demandes. Notant qu'il s'agit " du premier contentieux devant le Conseil d'Etat " depuis la création de l'ART, en janvier 1997, après " plus de 700 décisions ou avis ", Jean-Michel Hubert, son président, ne trouve rien à redire à l'existence de ce contrôle. " Il est normal que les décisions d'une autorité administrative puissent être contestées devant le juge ".
M. Hubert se déclare " confiant dans la décision qui sera prise " par le Conseil d'Etat. " Nous allons transmettre les éléments pour expliquer les décisions contestées ", dit-il, faisant valoir que la définition du système est antérieure à la création de l'ART et trouve son origine dans le plan de numérotation à dix chiffres. " Il permet aux abonnés de choisir simplement leur transporteur longue distance, tout en assurant une concurrence équitable entre France Télécom et ses principaux concurrents ".
L'ART, elle, a mis en place " les méthodes et critères d'attribution de ces préfixes " en juillet 1997. " Après avoir recueilli publiquement l'avis de tous les opérateurs et des associations de consommateurs ", fait remarquer M. Hubert.
Certains observateurs jugent que la source du problème se situe dans l'attribution à Omnicom d'un préfixe à un chiffre (dont le nombre total est limité à sept). Cette société loue des infrastructures et revend des communications, alors que l'une des conditions d'attribution est de justifier d'investissements conséquents sur le plan national. " Les fibres optiques louées à long terme donnent bien lieu à un investissement et l'opérateur doit aussi investir en équipements pour faire fonctionner son réseau ", rétorque M. Hubert.
Malgré cette affaire, M. Hubert tire un premier bilan positif de ces trois mois de concurrence. Il se félicite que " le marché innove " et que les tarifs aient d'ores et déjà baissé. " Il y a là un bénéfice pour le plus grand nombre ", indique-t-il, appréciant la réactivité de France Télécom, mais soulignant que " le régulateur exercera la vigilance qui convient pour que ses offres laissent place à la concurrence ".
M. Hubert met également en avant l'impact pour l'économie française en matière d'investissements et d'emplois. " Pour les autorisations signées à ce jour et sur les cinq prochaines années, les investissements prévus sont supérieurs à 11 milliards de francs et les créations d'emplois se situent à environ 7 000. Avec les autorisations en cours d'examen, on dépasse 20 milliards de francs et 10 000 emplois. A cela s'ajoutent les investissements et emplois pour la téléphonie mobile ".
Le champ de la concurrence étant aujourd'hui essentiellement centré sur le téléphone longue distance (appels nationaux et internationaux), M. Hubert promet des initiatives en vue de son élargissement au téléphone local (c'est-à-dire offrir la possibilité de se raccorder physiquement à un autre opérateur que France Télécom).
L'ART va attribuer " d'ici à quelques semaines, à titre provisoire et expérimental, des fréquences aux opérateurs qui souhaitent, sur une zone déterminée, tester " des dispositifs de raccordement des abonnés par voie radio. " A l'issue de cette phase, qui pourra durer jusqu'au début 1999, il sera possible d'attribuer des licences à quelques opérateurs, après appel public à candidatures ".
Reste que certaines dispositions de la loi encadrant l'ouverture à la concurrence ne sont pas encore appliquées. C'est le cas des tarifs sociaux (tarifs spécifiques pour les RMIstes par exemple), l'une des composantes du service universel, dont le coût pour 1998, a été évalué par l'ART à 921 millions de francs. " Il était prévu un choix des bénéficiaires par les départements. A la suite des observations des conseils généraux, le gouvernement étudie de nouvelles dispositions ", explique M. Hubert, qui souhaite leur mise en œuvre " dans les meilleurs délais en 1998 ". L'ART " vient d'être saisie pour avis d'un nouveau projet de décret ".
M. Hubert ajoute que l'ART est " prête à participer aux réflexions " du gouvernement sur la mise en place d'un annuaire universel. La loi prévoit de créer une entité indépendante chargée de sa constitution et de sa gestion. " La définition de cette entité mérite des précisions sur ses relations économiques avec les opérateurs ".
Face aux critiques qui ont pu être formulées sur l'absence de vision stratégique de l'ART, M. Hubert rappelle qu'elle " veille d'abord à appliquer scrupuleusement les dispositions législatives ", qui ont fixé les objectifs et défini les compétences de l'Autorité. Pour lui, la mission de l'ART est notamment " d'établir la visibilité ", dont ont besoin les opérateurs " pour faire leurs choix d'investissements ". " Il n'est pas question d'imposer ces choix tant aux opérateurs qu'aux consommateurs ". M. Hubert assure que son objectif est que le marché se développe. " Sa croissance sera favorable aux opérateurs, aux consommateurs et à l'ensemble de l'économie française ".
Propos recueillis par Philippe Le Coeur