Prise de parole - Interview

Une interview de Jean-Michel Hubert, le 11 juin 1998, au journal Le Figaro

Le Figaro Economie : Comment jugez-vous les cinq premiers mois de concurrence ? Craignez-vous la création d'un duopole France Télécom Cegetel ?

Jean-Michel Hubert : Nul ne peut être surpris que la concurrence s'installe progressivement car elle nécessite des investissements importants. Le marché s'est ouvert sur les communications longue distance, il faut poursuivre en l'étendant rapidement aux communications locales. Cela fait seulement cinq mois que le marché est ouvert, et il existe déjà un deuxième opérateur fixe présent sur tout le territoire. Le ministre a délivré 17 autorisations, l'ART a depuis lors instruit un nombre égal de dossiers et une quinzaine de demandes sont encore à l'étude dans nos services; cela montre que nous sommes déjà largement au-delà du duopole. Les consommateurs peuvent déjà bénéficier de la baisse de certains tarifs ; leur attente favorisera assurément le développement toujours plus intense du marché, donc de la concurrence.

- La concurrence ne profite-t-elle pas surtout aux entreprises pour le moment ?

- La loi organise la concurrence au bénéfice du consommateur, tant des entreprises, grandes ou petites, que des particuliers. Nous y sommes très attentifs. Le développement du haut débit, la concurrence sur les communications nationales et internationales, l'ampleur croissante de la transmission de données peuvent laisser croire que les entreprises en sont la cible privilégiée. Et bien nous rappelons aux opérateurs, et nous y veillerons, que l'amélioration de la qualité des services sur l 'ensemble du territoire, la baisse des tarifs, le renforcement de la couverture du territoire, doivent peu à peu être au service des consommateurs, quels qu'ils soient. Certains opérateurs s'adressent en priorité aux entreprises dont les besoins quantitatifs et qualitatifs sont mieux définis et recensés ; les particuliers, pour une bonne part, sont d'abord sensibles au maintien de la simplicité. Et c'est pourquoi nous mettrons en place un observatoire des marchés, d'ici la fin de l'année, afin de suivre cette évolution.

- La concurrence ne s'applique pas, pour le moment, sur les communications locales. Les expérimentations de boucle locale radio, que vous êtes entrain de mettre en place, permettront-elles de changer cet état de fait ?

- Il est essentiel que la concurrence s'installe également sur la boucle locale parce que c'est la clef de la relation la plus directe de l'opérateur avec le consommateur. Dans le fonctionnement d'un marché, il est important que celui qui établit une offre soit en mesure d'en assurer la mise en œuvre de bout en bout. La boucle locale radio, qui substitue au traditionnel fil de cuivre un dispositif radio, est une solution intéressante notamment parce qu'elle nécessite un investissement plus limité.

Nous avons engagé une phase expérimentale. Il y a en effet plusieurs technologies disponibles et nous avons constaté auprès d'autres pays plus en avance qu'on n'était pas encore passé au stade industriel. Durant un an des expériences vont être conduites sur des sites d'une dizaine de kilomètres, hors Paris et sa première couronne. Nous avons déjà attribué des fréquences à Sagem. Un deuxième dossier est en cours d'examen, et nous avons reçu des marques explicites d'intention de la part d'une quinzaine d'autres candidats.

- Suite aux recours déposés par deux opérateurs (AXS et Esprit Telecom) devant le Conseil d'Etat, le système des préfixes à un chiffre est menacé d'implosion. L'ART n'aurait-elle pas pu le prévoir et l'éviter ? L'ART a-t-elle sous-estimé le nombre de nouveaux entrants ?

- La question des préfixes est en cours d'examen au Conseil d'Etat. Une décision devrait être rendue avant l'été. Je n'ai pas à faire de commentaires à ce sujet. Je rappellerai seulement que la notion de préfixe est antérieure à la naissance de l'ART, puisqu'elle a été envisagée au moment de la mise en place du nouveau plan de numérotation dès 1994. Il nous appartenait naturellement de la mettre en œuvre. J'ajoute que le système du préfixe à un chiffre n'a pas été conçu pour renforcer telle ou telle discrimination, mais au contraire pour réduire les différences possibles entre France Télécom , opérateur historique, et les nouveaux entrants.

Pouvait-on prévoir le nombre de demandes potentielles ? A l'évidence non. Il se trouve qu'un opérateur a formé un recours, c'est son droit. Tous les opérateurs ont naturellement la possibilité d'ouvrir un recours contre les décisions de l'Autorité. Les jugements rendus dans ces circonstances sont susceptibles d'apporter un éclairage utile par la création d'une jurisprudence dans l'interprétation d'un droit nouveau et complexe.

- Vous vous êtes prononcé contre l'offre tarifaire de France Télécom concernant le raccordement des écoles à Internet. Le gouvernement a passé outre votre avis. Mais le Conseil de la Concurrence vient de vous donner raison en demandant à France Télécom de suspendre son offre qui pourrait constituer un " abus de position dominante ". Sortez-vous renforcé de cette décision ?

- Le raccordement des écoles à Internet s'inscrit dans un programme gouvernemental d'intérêt national essentiel pour la modernisation à long terme de notre économie. L'Autorité a fait sien ce programme. Si nous avons émis, en mars dernier, un avis défavorable sur l'offre de France Télécom, c'est parce que elle ne respectait pas les règles de la concurrence que nous avons mission d'organiser et de contrôler, avec le Conseil de la Concurrence.

Pour sortir de cette situation nous avions proposé le dégroupage des différents éléments de l'offre de France Télécom et la mise en place de tarifs d'interconnexion spécifiques, permettant dans ce cas particulier des écoles, la proposition d'offres concurrentes. Nous souhaitons en tout état de cause qu'une solution puisse rapidement être trouvée à cette question.

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