Prise de parole - Interview

Une interview de Jean-Michel Hubert et Roger Chinaud publiée dans Maires de France à la fin décembre 1997

Q : Au 1er janvier prochain, la libéralisation totale du secteur des télécommunications entrera en vigueur. Quel est et sera le rôle de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) dans ce nouveau paysage ? Jean-Michel Hubert L'Autorité a pour mission de rendre possible et équitable le jeu ouvert de la concurrence au bénéfice des consommateurs, qu'il s'agisse des entreprises, des collectivités locales ou des particuliers. Concrètement, elle est chargée d'instruire les demandes de licences déposées par les opérateurs, d'allouer les ressources en matière de fréquences et de numéros, d'autoriser les projets d'interconnexion et de création de réseaux indépendants. Elle établit aussi des avis sur les tarifs du service universel, confié à France Télécom, et propose le montant des contributions des autres opérateurs au financement de ce service. Elle veille également à l'égalité de traitement des opérateurs autorisés à fournir des services internationaux. Enfin, elle instruit les litiges concurrentiels et règle ceux qui peuvent intervenir dans le domaine de l'interconnexion et du partage des infrastructures. Par ailleurs, elle donne des avis sur les projets de loi et de règlements et, sur demande du ministre de tutelle, elle participe aux négociations internationales et communautaires dans le secteur des télécommunications. Je voudrais ajouter que, pour l'ART, quatre mots contenus dans la loi sont fondamentaux : concurrence, interconnexion, mais aussi service universel et emploi. De ce fait, je crois pouvoir dire que ses préoccupations rejoignent celles des collectivités locales, notamment en ce qui concerne l'aménagement du territoire et la prise en compte de l'intérêt des consommateurs dans l'accès aux services et aux équipements.

 

Q : L'ouverture à la concurrence est-elle vraiment compatible avec le principe d'égalité d'accès au service public ? Jean-Michel Hubert Oui, car la loi garantit ce principe républicain et met en place les dispositions nécessaires à cette fin. Il s'agit essentiellement de ce qu'on appelle le service universel que France Télécom a, comme je l'ai dit, pour charge d'assurer. Cette entreprise doit, dans ce cadre, fournir à tous les citoyens, à quelque endroit du territoire qu'ils se trouvent, " un service de qualité à un prix abordable ". Cela entraîne pour elle des obligations précises : d'abord la péréquation tarifaire, ce qui signifie qu'aucune discrimination fondée sur la localisation géographique ne peut être admise en ce qui concerne les tarifs de raccordement, d'abonnement et de communications ; ensuite la publiphonie : chaque commune doit disposer d'au moins une cabine publique et, pour les communes de 1 000 à 10 000 habitants d'une cabine par tranche de 1 500 habitants au-dessus du premier millier ; enfin les tarifs sociaux : des conditions spécifiques doivent être faites aux personnes en difficulté en raison d'un faible revenu ou d'un handicap. Enfin, France Télécom doit aussi éditer un annuaire universel et fournir un service de renseignements correspondant. L'Autorité est chargée d'évaluer le coût de ces obligations pour France Télécom et de le répartir ensuite entre tous les opérateurs en fonction de leur part de marché.

 

Q :Jean-Michel Hubert La loi a prévu un dispositif de contrôle des tarifs qui entrent dans le champ du service universel ou dans des domaines où il n'y a pas de concurrence. A ce titre, l'Autorité émet des avis publics sur les tarifs de France Télécom avant qu'ils ne soient approuvés par le ministre. Pour ce qui concerne les opérateurs agissant sur autorisation dans ce champ, ils sont tenus de respecter certaines obligations, notamment en terme de qualité de service. Si l'Autorité constate des manquements de leur part, elle est en droit d'appliquer une sanction qui peut atteindre 5% de leur chiffre d'affaires annuel. Quel droit de regard avez-vous concrètement sur la bonne exécution du service universel ?

 

Q : Roger Chinaud Dés lors qu'il y a un marché, les opérateurs viendront. Mais il est vrai que, dans le nouveau contexte, les élus devront savoir jouer pleinement leur rôle. ils auront désormais face à eux plusieurs opérateurs, tous experts dans leur métier. C'est par le dialogue, la persuasion, la négociation qu'ils devront obtenir d'eux ce qu'ils souhaitent. L'ouverture à la concurrence doit avoir pour effets positifs de moderniser et développer les réseaux ainsi que d'abaisser les coûts, notamment pour les collectivités locales elles-mêmes. N'y-a-t-il pas un risque de service à deux vitesses pour les collectivités locales. Là où l'équipement paraîtra facile et rentable, les opérateurs ne viendront-ils pas plus rapidement qu'ailleurs ?

 

Q :Jean-Michel Hubert Ces réseaux se fondent sur la notion de groupe fermé d'utilisateurs ; ils visent à permettre l'échange de communications internes - j'insiste sur ce mot - au sein d'un ou plusieurs groupes préexistants et ils se créent sans autorisations, sauf exceptions. Par un tel réseau, une collectivité locale peut, par exemple, relier la mairie, les écoles, les bibliothèques, les services techniques, les équipements de sport. En revanche, elle ne peut y raccorder librement d'autres utilisateurs car le réseau entrerait, dans ce cas, dans le régime de ceux qui sont ouverts au public et qui nécessitent une autorisation du ministre délivrée après instruction par l'ART. Si une collectivité locale franchissait ce pas, son réseau devrait alors être "requalifié" et, en conséquence, il se placerait sur le marché concurrentiel des services de télécommunications au public. Les maires doivent bien comprendre qu'à ce niveau les coûts sont sans commune mesure avec ceux d'un réseau fermé. Du reste, je ne pense pas que ce soit le rôle des collectivités locales que de se transformer en entreprises et d'essayer de recréer de mini monopoles publics. La loi a également prévu que des réseaux indépendants puissent être créés. Cette faculté intéresse les collectivités locales, mais que recouvre-t-elle précisément ?

 

Q : Sans aller jusqu'au service au public, ne peut-il pas paraître pertinent à un élu soucieux de bonne gestion de vouloir établir une liaison à coût réduit avec les services administratifs contactés quotidiennement ? Jean-Michel Hubert Oui, mais l'extension illimitée d'un réseau indépendant crée un risque de dérive. L'ART n'y est pas favorable

 

Roger Chinaud Les élus doivent bien comprendre qu'à partir de janvier 1998 on sort du monopole pour entrer dans un contexte de marché sur lequel interviendront des opérateurs dont c'est le métier. Il faut noter, du reste que le bilan de ce monopole n'est nullement négatif. En termes de qualité de service, d'équipement et de technologie, le niveau de la France est l'un des meilleurs du monde. Je le répète donc, les opérateurs vont concourir, faire des offres, se battre. Que les élus, par conséquent, tirent le meilleur parti de cette situation, qu'ils négocient au mieux, qu'ils veillent à passer des contrats qui ne les lient pas pour trop longtemps, car les évolutions technologiques sont très rapides.

Q : Comment un maire doit-il faire lorsqu'il y a litige entre les opérateurs sur le partage des installations ? Roger Chinaud La loi prévoit, en effet, que le maire puisse, en ce qui concerne l'accès au domaine public routier, prendre des dispositions pour inciter à ce partage. C'est une bonne chose. En cas de litige, l'Autorité peut être saisie par les parties. Elle a trois mois à compter de sa saisine pour se prononcer :; elle peut prolonger ce délai jusqu'à six mois si elle juge nécessaire d'effectuer des investigations. A ce jour, aucun cas ne nous a été soumis.

 

Q : Les dispositions de la loi étant encore mal connues, ne peut-on pas craindre que des permissions de voirie soient parfois indûment accordées par les maires aux opérateurs ? Jean-Michel Hubert Cette permission n'a aucune raison d'être refusée. Les opérateurs titulaires d'une autorisation d'établissement de réseau ouvert au public bénéficient, en effet, d'un droit de passage sur le domaine public routier mais ils doivent, pour cela, déposer auprès du maire une demande de permission de voirie comprenant l'ensemble des informations requises. Si, dans les deux mois, le maire n'a donné aucune réponse explicite, la permission est réputée accordée selon les termes de la demande.

 

Q : N'a-t-on pas vu dans le passé que le respect du patrimoine ou le confort des habitants n'étaient pas toujours bien compris ? Jean-Michel Hubert Il est vrai que rien n'est pire que d'avoir des trottoirs défoncés. Mais un élu peut utilement nouer des contacts avec les différents opérateurs pour assurer une coordination technique et veiller au partage des infrastructures. dans la permission de voirie, il peut préciser cela, de même qu'il peut imposer les prescriptions d'implantation et d'exploitation qui lui paraissent nécessaires.

 

propos recueillis par Marie-Thérèse Poitevin