Jérôme Coutant, membre du collège de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), fait le point pour Localtis sur le déploiement de la fibre optique et notamment sur les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique des collectivités à l'occasion de la sixième Fête du très haut débit, organisée par Acome, ce 30 juin à Mortain (50).
Localtis : Plan gouvernemental du très haut débit, cadre réglementaire de l'Arcep, lignes directrices européennes, tout cela peut sembler compliqué pour la mise en oeuvre des projets de déploiement de fibre optique. Quels sont les fondamentaux qui devraient guider l'action des collectivités ?
Jérôme Coutant : Le cadre réglementaire vient de s'achever tout récemment. Le plan gouvernemental a été annoncé, quant à lui, il y a un an. L'objectif, pour l'un, est de clarifier le droit, et pour l'autre, d'organiser le déploiement du très haut débit sur tout le territoire en soutenant notamment les opérateurs et les collectivités. Le plus important, c'est que les collectivités peuvent désormais finaliser leurs schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN) sur la base des manifestations d'intention d'investissement des opérateurs et donc ainsi préparer plus finement leurs plans d'affaires hors zones d'investissement privé. Le gouvernement et le régulateur finalisent deux éléments pour les y aider : premièrement, les règles précises de financement dès cet été et, deuxièmement, des recommandations pour les montages financiers et juridiques en vue de faciliter le travail.
Les SDTAN apparaissent comme le point de passage obligé. Sont-ils mis en oeuvre de la même façon dans les 70 à 80 collectivités qui s'y sont engagées ?
Ce que la loi Pintat de lutte contre la fracture numérique a appelé SDTAN se limite à une démarche de planification stratégique qui faisait auparavant partie de ce qui était appelé une étude de faisabilité. Celle-ci allait bien au-delà, jusqu'aux modèles économiques détaillés dont la collectivité déduisait le montage juridique optimal du projet. De cette pratique héritée du déploiement du haut débit, la loi n'a conservé que le volet stratégique avec le mapping des réseaux existants et à créer. Ce qui manque au SDTAN dans la loi, c'est d'en faire un outil opérationnel d'aide à la décision des élus ou des investisseurs, comprenant en particulier les éléments de montage financier et juridique. C'est bien sur cette base que la collectivité va pouvoir agir. Il y a donc nécessité de préciser dans la loi ce qui est entendu par schéma directeur ou alors l'Etat ne peut pas conditionner son aide sur la base de documents incomplets et très hétérogènes en fonction des territoires. La méthode complète des schémas directeurs était parfaitement détaillée en annexe de la circulaire Fillon du 29 juillet 2009, il est dommage que cela n'ait pas été pris en compte.
Comment les SDTAN s'articulent-ils avec les stratégies de cohérence régionale sur l'aménagement numérique (SCoRAN) ?
La même circulaire avait également introduit la notion de stratégie de cohérence régionale qui, elle, n'avait pas vocation à entrer dans ces détails. Au final, dans la loi Pintat, les SDTAN apparaissent comme des équivalents des SCoRAN. L'objectif, lors de la préparation de la circulaire, était de structurer la maîtrise d'ouvrage publique avec une première étape de planification stratégique au niveau régional, comme le demandait la Commission européenne. Je suis heureux que le ministre de l'Industrie ait récemment réactivé cette démarche de planification stratégique régionale en demandant aux préfets de mettre tous les acteurs autour de la table pour examiner notamment l'articulation entre les annonces des opérateurs et les projets publics.
Dans le cadre d'un SDTAN, comment les nouvelles mesures de co-investissement avec les opérateurs peuvent-elles être prises en compte ?
En fait, les réseaux d'initiative publique (RIP) vont continuer à faire des réseaux de collecte télécoms, complétés par de la desserte. Or, sur plus de la moitié des départements français, il n'y a pas aujourd'hui de réseau de collecte neutre et ouvert. Cette collecte peut d'ailleurs aller désormais jusqu'au sous-répartiteur avec les possibilités de financement de la technologie de montée en débit. Ce qui est nouveau, c'est la possibilité offerte – et ce n'est pas une obligation- d'une location de très longue durée pour les opérateurs qui souhaiteraient co-investir aux côtés de la collectivité. Mais il faudra de toute façon continuer à proposer de la location de fibre passive ou de fibre activée.
Quels sont donc les modèles économiques possibles dans ce nouveau cadre ?
Bien sûr, c'est aux collectivités et à leurs conseils de les élaborer dans le cadre des SDTAN. Cependant, l'Arcep travaille actuellement à donner des pistes, des directions. C'est le sujet de la première étude que nous avons lancée sur les modalités financières et juridiques du co-investissement dans le cadre des projets d'initiative publique. Une autre étude en cours porte sur le chiffrage de la fibre à l'abonné sur l'ensemble du territoire. C'est un outil extrêmement précis de modélisation, fondé sur les données géographiques et techniques réelles – autrement dit sur le réseaux de France Télécom - qui va permettre aux collectivités et au gouvernement d'évaluer le niveau d'investissement nécessaire et le besoin de financement public, en l'état actuel des modèles économiques, pour n'importe quel projet. Ce sera en quelque sorte la première pierre d'un schéma directeur national qui va consolider les schémas directeurs territoriaux. Ces travaux montrent déjà que l'investissement global nécessaire tourne autour de 25 milliards d'euros, voire un peu en dessous, pour déployer la fibre sur toutes les lignes téléphoniques actuelles.
Propos recueillis par Luc Derriano / EVS