Les sujets de régulation sont multiples : collectivités territoriales, fibre optique, WIMAX, téléphonie mobile, consommateur,… Autant de problématiques sur lesquelles revient Gabrielle Gauthey, membre du collège de l’ARCEP.
Peut-on faire un bilan des apports des collectivités territoriales dans le développement du haut débit en France ?
Gabrielle Gauthey .- Les collectivités locales ont eu un impact dont on ne peut pas minimiser l’ampleur dans le développement du haut débit. Le bilan est significatif dans plusieurs domaines : l’extension et l’accompagnement du dégroupage, le fibrage des zones d’activité, la desserte en Wimax et l’apparition d’opérateurs locaux. Ainsi, en matière de dégroupage, la moitié des répartiteurs a été dégroupée -représentant 33% des lignes dégroupables- grâce aux investissements réalisés par les collectivités territoriales dans les réseaux de collecte. Elles ont su démontrer, dans un contexte difficile, qu’elles étaient responsables et qu’elles pouvaient avoir un rôle structurant, notamment par la maitrise de leur sous-sol, dans la mise à disposition d’infrastructures ouvertes. Elles se sont professionnalisées et ont réussi à trouver la juste place d’une action publique locale dans un contexte de concurrence.
Comment peuvent se positionner les collectivités locales dans le débat sur la fibre optique et le FTTH en particulier ?
Gabrielle Gauthey .- Il est frappant de constater que ce sont les collectivités qui disposent déjà d’un réseau de fibre en collecte, en amont des répartiteurs, qui sont les premières à réfléchir au rôle qu’elles peuvent jouer en matière de FTTH. L’équipement de notre pays en fibre dans le réseau d’accès suppose des investissements très importants ; les dernières estimations sont de l’ordre de 13 milliards d’euros pour couvrir 60 % de la population française. Aucun opérateur n’aura les capacités de tout fibrer, et personne ne nie aujourd’hui que la fibre aura les caractéristiques d’une infrastructure essentielle au moins dans sa partie terminale. Les collectivités peuvent avoir un rôle décisif et gradué suivant leur plus ou moins grande implication. Par la maîtrise de leur sous-sol, elles peuvent tout d’abord faciliter l’accès des opérateurs au génie civil et aux fourreaux, en ayant le réflexe – par exemple lors de travaux de voirie - de poser des fourreaux vides. Elles peuvent également avoir un effet de levier sur l’investissement privé en évitant la duplication inutile des réseaux privés parallèles et en facilitant l’adoption par les opérateurs de topographies communes de boucle locale optique.. Enfin, certaines vont même jusqu’à poser de la fibre passive qu’elles mettent à disposition des opérateurs en leur facilitant l’accès aux immeubles et en assurant l’ouverture de cette nouvelle boucle locale.
Y a-t-il de la bonne foi de la part des différents acteurs pour éviter les dérapages auxquels on assiste dans la fibre ?
Gabrielle Gauthey .- Aujourd’hui non, c’est un peu le " far west ". Certains opérateurs s’essoufflent dans leurs investissements et bloquent devant certains freins, tels l’accès aux fourreaux et l’accès aux immeubles. Les collectivités peuvent, comme certaines ont prévu de le faire, faciliter l’accès aux logements sociaux, informer et rassurer les syndics de copropriété, car ces derniers sont très méfiants. Nous avons plusieurs consultations publiques en cours : une sur les fourreaux dont il sortira des recommandations à l’attention des collectivités territoriales et une sur la mutualisation de la partie terminale de la fibre qui concerne les offres de gros. que feront les opérateurs. Aujourd’hui, on assiste à une atomisation des offres, avec la création de petits monopoles locaux. Certaines collectivités locales pensent à pré-fibrer en passif les bâtiments et proposer des IRU aux opérateurs. Il est indéniable que la France est en avance, au niveau européen, sur le rôle des collectivités dans la fibre. Elles ont donc un rôle de facilitateur et comme elles l’ont fait dans l’extension du haut-débit, devront aider au développement harmonieux de la concurrence dans le très haut débit.
Existe-t-il un risque de " sur fracture " numérique avec la fibre optique ?
Gabrielle Gauthey .- Chaque nouvelle technologie engendre ses zones d’ombre et il est naturel que les zones denses soient les premières couvertes. L’action des collectivités est néanmoins déterminante sur ce point ; car les collectivités doivent prendre en charge le territoire dans son ensemble, en pensant aux zones denses comme aux moins denses. Elles peuvent ainsi contribuer à lisser les investissements sur une partie plus large de leur territoire en évitant leur duplication sur des zones durablement réduites. C’est le type de discussions que nous avons avec elles au sein du CRIP (Comité des Réseaux d’Initiatives Publiques)
Que pensez-vous de la recommandation de la Commission européenne sur l’accès aux fourreaux des opérateurs puissants ? Peut-on y inclure le câble ?
Gabrielle Gauthey .- Nous sommes très heureux de cette position que la France a appuyé depuis longtemps. Les vrais goulots d’étranglement résident dans les infrastructures essentielles et les fourreaux en sont une. Les fourreaux du câble pourront aussi être mobilisables : ainsi, à l’occasion de leur discussion avec le câblo-opérateur pour la mise en conformité des contrats dits " nouvelle donne ", les collectivités pourront lui demander d’ouvrir ses fourreaux aux autres opérateurs.
Le contenu va être un enjeu dans la fibre, or le dialogue opérateurs et éditeurs de contenus ne semble pas au beau fixe, est-ce que l’ARCEP a un rôle à jouer dans ce dialogue ?
Gabrielle Gauthey .- Nous nous sommes prononcés lors d’un avis au Conseil de la concurrence sur la fusion TPS et Canal Sat. Par ailleurs, nous attirons l’attention sur le fait que le financement coûteux de ces investissements, implique un meilleur partage de la chaîne de la valeur entre contenus et contenants.
Le WIMAX prend son temps pour le déploiement, en attendant peut-être l’ouverture à la mobilité de la norme 802.16 e, qu’en est-il pour le régulateur ?
Gabrielle Gauthey .-Les équipements capables de gérer la mobilité en 802.16 e ne sont pour l’instant pas prêts. En tout état de cause, leurs licences n’autorisent pas aujourd’hui les opérateurs Wimax à faire du mobile mais du nomadisme. Les bandes de fréquences sont au niveau européen aujourd’hui réservées à des usages fixes. On peut s’interroger aussi sur l’intérêt de faire du " full mobility " dans les bandes de fréquences 3,4 et 3,6 GHz. Ce sont des bandes hautes et il est établi que les fréquences plus basses sont plus adaptées à la couverture économique du territoire et à la pénétration dans les immeubles. Les besoins de fréquences pour la mobilité sont croissants, c’est un enjeu de société et d’aménagement du territoire. Un débat est engagé sur le dégagement d’un dividende numérique harmonisé en Europe.
Sur les terminaisons d’appels mobiles, l’été a été riche en événements, nouveau price cap, euro tarif. Pour un marché non régulé, les opérateurs mobiles se plaignent d’une sur régulation, qu’en pensez-vous ?
Gabrielle Gauthey .-Les terminaisons d’appels sont régulées dans tous les pays du monde qu’elles soient fixe ou mobile. Il n’y a donc pas extension du champ de la régulation. Quand nous avons débuté nos efforts sur les terminaisons d’appel, le niveau était très élevé et nous avons réussi à les baisser progressivement. Toutefois la situation actuelle a favorisé certains comportements qui peuvent être dommageables, à la fois sur le marché du mobile avec le développement des offres d’abondance on-net qui renforcent artificiellement la part de marché des opérateurs leaders mais qui également engendrent une distorsion entre le fixe et le mobile dans un contexte de convergence, et donc de concurrence, accrue. Nous sommes heureux que la Commission européenne soutienne notre démarche visant à renforcer l’harmonisation au niveau européen de la régulation des terminaisons d’appel vocal mobile.
Lors d’une réunion du GRE (Groupe des Régulateurs Européens), elle a même envisagé d’émettre une recommandation sur l’application du principe d’orientation vers les coûts en matière de terminaison d’appel mobile.
Des mouvements capitalistiques se déroulent sur les MVNO par l’acquisition de certains acteurs par leur opérateur hôte (Ten par Orange), existe-t-il un espace économique suffisant pour les MVNO ? Et est-ce que la régulation doit intervenir ?
Gabrielle Gauthey .-Sur la question des MVNO, nous sommes dans un calendrier un peu particulier. Nous avions produit une analyse de marché, dans laquelle nous démontrions une dominance collective conjointe des opérateurs et, au final, une certaine faiblesse de la concurrence du marché de la téléphonie mobile dans notre pays. La Commission européenne nous a demandé de suspendre cette analyse, car plusieurs MVNO sont apparus sur la scène. L’analyse suspendue, aurait dû être reprise plus tôt, mais un fait nouveau est intervenu, le lancement de la procédure pour l’attribution de la quatrième licence. En fonction des résultats, les conséquences sur la concurrence sur le marché seront différentes, y compris en terme d’offre de gros pour les MVNO. Nous reprendrons cette analyse de marché et sans préjuger des discussions futures, nous ne souhaitons pas réguler lourdement. Il ne s’agira jamais de dégrouper la boucle locale radio. Sur le plan économique, nous constatons qu’il y a eu des évolutions sur les offres de gros, même si des éléments importants de ces offres sont encore à améliorer.
Que pensez-vous de l’idée d’un régulateur européen ?
Gabrielle Gauthey .-Il n’est pas inconcevable qu’un organisme centralisé s’occupe des questions touchant à l’attribution de licences paneuropéennes ou du plan de numérotation européen. Ce qu’il ne faudrait pas, c’est que cet organisme soit " un machin " de plus entre le groupe des régulateurs et la Commission. Celle-ci a un rôle d’harmonisation indéniable à jouer et ne doit pas s’en départir. Par ailleurs, le groupe des régulateurs qui est un lieu de rassemblement de compétences unique en matière de régulation et il doit se donner les moyens d’être encore plus efficace.
Propos recueillis par Jacques Cheminat et Ariel Gomez