Prise de parole - Interview

Un entretien avec Dominique ROUX, Membre du Collège de l'Autorité, publié dans Stratégies Télécoms & Multimédia du 8 juillet 1998

L'autorité s'attaque au dossier du câble

STM - Il y a un an, l'ART a rendu une première décision concernant le câble et, de plus en plus, on a l'impression que l'Autorité souhaite prendre en considération l'existence des réseaux câblés. Est-ce parce que vous jugez qu'il faut utiliser au mieux les réseaux câblés existants, afin, en quelque sorte, de " limiter les dégâts " ou, au contraire, pensez-vous que le câble est une vraie alternative qu'il faut encourager ? Est-ce alors le début d'une nouvelle ère pour la câble ?

Dominique Roux - L'économie du câble est en train de changer profondément. Les deux décisions que nous avons prises à propos d'Internet et du téléphone témoignent de cette nouvelle approche qui est multiservice et qui donne une signification différente au câble. Les opérateurs ne considèrent plus ce type de réseau tout à fait de la même façon. Nous constatons aussi que certaines villes s'intéressent aujourd'hui au câble, non plus pour la télédistribution, mais pour Internet et les services de télécommunications qu'il peut leur permettre d'offrir sur leur territoire, les rendant attractives pour les entreprises. Internet sur le câble présente en effet de très gros avantages pour les utilisateurs, et donc une opportunité pour les opérateurs, d'autant que l'on s'attend à une croissance très forte. Enfin, la téléphonie est un troisième service qui permet d'améliorer la rentabilité des réseaux. Je pense donc qu'il s'agit bien d'une nouvelle ère pour le câble. Le rachat récent de TCI par AT&T est d'ailleurs significatif de ce bouleversement.

STM - Certaines tentatives de rapprochement de ce type ont pourtant échoué dans le passé.

DR - En télécommunications, il y a des retournements de situation spectaculaires. Ce qui était vrai il y a quelques années ne l'est plus forcément aujourd'hui et inversement. Entre les rapprochements actuels et les tentatives du passé, il y a eu l'arrivée d'Internet.

STM - Pourra-t-on trouver un équilibre qui permette l'existence simultanée de ces différents opérateurs ?

  • Un observatoire de l'Internet

STM - Vous pensez donc que le développement d'Internet sera déterminant à plusieurs niveaux ?

DR - Internet va se développer de façon très importante. Mais il existe de nombreuses prévisions dont certaines ne sont pas toujours réalistes. C'est pourquoi nous souhaiterions à l'ART mettre en place un observatoire de l'Internet, à l'image de ce que l'on fait pour les mobiles, afin de proposer des informations le plus fiables possibles.

 

  • La concurrence au profit du consommateur

STM - Vous avez commandé en début d'année une étude sur l'économie des réseaux câblés. Etait-ce lié à la décision rendue la semaine dernière à propos du téléphone sur le câble ?

DR - Nous avons été saisi en avril 1997 par les câblo-opérateurs à propos d'Internet sur le câble. Pour arbitrer ce conflit, nous avons été obligés de nous informer le plus largement possible sur ce secteur qui ne faisait à l'époque pas partie de nos préoccupations immédiates.

STM - Comment avez-vous calculé la valorisation de 1.700 F par prise pour l'évaluation du réseau câblé ?

Ce chiffre a été calculé à partir d'une méthode qui est exposée dans notre décisions du 10 juillet 1997 publiée au Journal officiel du 7 septembre 1997 (NB : la décision peut également être consultée sur le web).

STM - Comment réagissez-vous aux réactions de Lyonnaise Câble et de France Telecom après votre décision relative au téléphone sur le câble ?

DR - Nous ne réagissons pas aux réactions ! Nous sommes une autorité de régulation et nous pensons avoir arbitré le conflit en question de manière équitable. Notre mission est de faire démarrer la concurrence qui doit d'une part être équitable et de l'autre s'exercer au profit du consommateur, notamment au travers d'une baisse des tarifs, car sinon, elle ne servirait à rien. C'est en fonction de ces principes que nous prenons nos décisions. C'est ce que nous avons fait pour Internet et pour le téléphonie sur le câble.

STM - Lyonnaise Câble a indiqué à cette occasion avoir déposé un nouveau recours auprès de l'ART à propos d'Internet sur le câble. L'opérateur reproche à France Telecom de ne pas respecter votre décision et souhaite visiblement que, comme pour le téléphone, celle-ci soit encadré, i.e. mentionné des délais, détermine des responsabilités. Peut-on attendre une décision de l'ART dans ce sens ?

  • Sanctions pécuniaires

STM - Que se passe-t-il si un opérateur ne respecte pas les décisions de l'ART ? Peut-il par exemple être condamné à verser des dommages et intérêts, à une astreinte ? Qui est compétent pour en décider ?

DR - Il doit être clair que nous avons l'intention de faire respecter nos décisions et nous compte le cas échéant utiliser les pouvoirs que la loi nous a attribué y compris la possibilité d'infliger des pénalités et des amendes.

STM - Il s'agit pour vous d'affirmer votre autorité et donc votre légitimité ?

DR - Une jurisprudence importante est en train de se mettre en place avec notamment les décisions rendues par trois juridictions différentes dans des recours liés à des décisions de l'ART. La cour d'appel de Paris après notre décision de juillet dernier relative à Internet sur le câble, le Conseil d'Etat au sujet des préfixes que nous avons attribués aux opérateurs privés de télécoms. Ces décisions confirment nos positions et affirment notre légitimité. La régulation entre ainsi qu'aujourd'hui dans une nouvelle phase. La libéralisation des télécommunications appelle une autorité de régulation forte. Ce qui, je crois, est le cas.

STM - Le câble est aujourd'hui la seule alternative et dons la seule possibilité de concurrencer France Telecom sur la boucle locale. Faut-il favoriser ce développement de services de télécommunications sur le câble ?

DR - Oui, mais je souligne que le câble est une alternative qui ne concerne potentiellement que 7 millions de ménages. C'est pourquoi, nous souhaitons encourager d'autres solutions comme la boucle locale radio qui, à la différence du câble qui touche essentiellement les grandes villes, permet de desservir des zones où l'habitat est moins dense. Des expérimentations sont en cours et se poursuivront jusqu'en mars 1999. La boucle locale radio pourra alors être lancée.

STM - Comment s'articule alors votre rôle avec celui du CSA qui autorise le réseau câblé, généralement pour la distribution d'un service TV ?

  • Le pouvoir de convaincre

STM - Lés réseaux du Plan Câble restent lourds" à gérer et la dichotomie actuelle ne favorise guère une attitude hardie de la part des opérateurs commerciaux. Vous vous êtes déclarés favorable à l'unicité de la propriété et de l'exploitation commerciale des réseaux. Avez-vous un quelconque pouvoir pour faire avancer les choses dans cette direction ?

DR - Sur cette question, nous avons formulé un voeu. Nous n'avons pas le pouvoir de contraindre, seulement celui de convaincre.

STM - Des rumeurs ont circulé il y a quelques temps, prétendant que France Telecom serait obligé de vendre l'exploitation de ses réseaux câblés afin d'être en conformité avec une directive européenne en préparation ? Qu'en est-il exactement ? Avez-vous sur ce type de question un rôle à jouer ?

DR - Cette décision vise essentiellement l'Allemagne où Deutsche Telekom, en plus du réseau téléphonique, est propriétaire et opérateur commercial de la quasi-totalité des réseaux câblés. La France n'est pas vraiment concerné à court terme.

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