Mesdames et Messieurs les parlementaires et élus locaux,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je suis toujours très heureux de participer à ce rendez-vous annuel des Assises du très haut débit et je vous remercie de m'y avoir à nouveau invité.
En préparant mon intervention de ce matin, je me suis rappelé les propos tenus lors de la précédente édition de ces Assises, il y a un an. Mon premier sentiment est que, même si des débats subsistent, et comment en serait-il autrement sur un tel sujet, même si beaucoup reste à faire, sur le plan du pilotage stratégique et bien sûr de la mise en œuvre opérationnelle, un immense chemin a été parcouru en l'espace d'une seule année. Tout est allé très vite.
Rappelez-vous qu'il y a un an, les fréquences 4G, nécessaires au très haut débit mobile, n'étaient pas encore attribuées : un an plus tard, les opérateurs testent déjà leurs premiers réseaux mobiles à très haut débit. Ils en démontrent tout le potentiel et annoncent les premières ouvertures commerciales. Il y a un an, le cadre de la régulation du très haut débit fixe devait encore être parachevé : il l'est désormais et les opérateurs, publics et privés, se le sont pleinement approprié et l'appliquent. J'y reviendrai. Il y a un an, deux autres points importants - qui ne relèvent pas des décisions de l'ARCEP - l'articulation entre interventions privées et publiques et entre investissement des opérateurs et financement public était encore peu approfondie. 12 mois plus tard, même si, sur ces deux points les débats se poursuivent, les problématiques sont assez clairement posées ainsi que celle, cruciale, de la nécessité d'un pilotage national de ce très grand chantier qui consiste à créer rien de moins que le réseau de communication du XXIème siècle.
Il ne faut évidemment pas faire preuve d'un optimisme excessif, mais il ne faut pas non plus nier que le rythme des réalisations s'est largement accéléré au cours de ces 12 derniers mois, d'autant que ce chantier s'inscrit dans le long terme. Une chose est claire, et nous n'avons cessé de le dire à l'ARCEP depuis deux ans : la couverture de notre pays par le très haut débit fixe ne se fera pas par la seule force des acteurs de marché, elle se réalisera par l'association de plusieurs actions.
- En premier lieu, sur le plan stratégique : le Parlement est intervenu en fixant les principes et les objectifs désormais inscrits dans le CPCE, issus notamment de la loi LME et de la loi de décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique ; puis, en application de la loi, le Gouvernement a pris les textes réglementaires et le régulateur, par ses deux décisions de décembre 2009 et décembre 2010, a déterminé le cadre de la régulation ; enfin, les collectivités territoriales, le plus souvent les départements, achèvent l'élaboration de la planification territoriale des réseaux, au travers des schémas directeurs ; les collectivités territoriales sont ainsi devenues, au même titre que les différents organes de l'Etat, des stratèges et des planificateurs ;
- En second lieu, sur le plan opérationnel, il s'agit, bien sûr et avant tout, des initiatives des opérateurs privés et des collectivités territoriales, cette fois-ci en tant qu'opérateur de RIP, mais aussi du soutien financier public apporté, au plan national, par l'Etat dans le cadre du grand emprunt et demain par le FANT.
Tous ces éléments du puzzle sont en place. Il s'agit maintenant d'en assurer un pilotage d'ensemble ce qui relève, pour l'essentiel, du Gouvernement. J'entends et je comprends l'impatience de certains, mais il s'agit bien de renouveler entièrement notre infrastructure de télécommunications. La rapidité ne doit pas conduire à la précipitation. Il faut prendre la bonne direction, avec le bon véhicule et au bon rythme. Il ne s'agit pas d'un sprint mais d'une course de fond qui va durer 15 ans.
I. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
1. Rappel des principales données chiffrées
Beaucoup a déjà été dit ce matin sur l'état des déploiements en France. Il me paraît néanmoins utile de rappeler quelques chiffres. Le marché de l'accès à internet continue de croitre rapidement : 23 millions d'abonnements au premier trimestre 2012, soit une croissance de 6 % sur un an. Elle est portée par le haut débit et ses 21 millions d'accès DSL dont la dynamique ne faiblit pas malgré un taux de pénétration parmi les plus élevés du monde (qui se rapproche de 75 % des ménages). Le cap symbolique des 10 millions d'accès dégroupés a également été franchi, ce qui représente un accroissement d'un million de lignes (soit + 10 %) sur un an, preuve que ce marché est encore très dynamique et que les opérateurs alternatifs poursuivent leurs investissements sur l'ensemble du territoire. Ils atteignent aujourd'hui des répartiteurs qu'il aurait été inenvisageable de dégrouper il y a seulement deux ans et l'ARCEP poursuit ses efforts pour faciliter l'accès aux très petits NRA.
Cette dynamique sur le marché de gros du haut débit se constate aussi sur le très haut débit. En prenant en compte l'ensemble des technologies disponibles, comme le font la plupart des pays de l'Union et la Commission européenne, ce sont environ 5,4 millions de logements, soit 20% des foyers français, qui sont éligibles à des offres à très haut débit, alors que les déploiements hors des zones très denses débutent à peine.
A cet égard, selon l'IDATE, la France se place, certes derrière la Corée, le Japon ou les Etats-Unis, mais au premier rang des pays européens, y compris les pays scandinaves, pour le nombre de logements éligibles au FttH/FttB. Le retard ne porte donc pas sur le pourcentage de foyers éligibles au très haut débit, qu'il faut bien sûr continuer à augmenter, mais sur celui des abonnements effectifs : 10 % seulement environ des foyers éligibles s'abonnent. On connait la raison : la très bonne qualité de l'ADSL et la faible promotion des offres très haut débit par les opérateurs jusqu'en 2011. Les premières campagnes n'ont commencé qu'en 2012. Mais ayons en tête que le Japon a mis 10 ans pour atteindre 50% de foyers abonnés.
D'autres indicateurs avancés montrent que les opérateurs font désormais pleinement usage des moyens mis à leur disposition par le cadre de la régulation: les alternatifs ont déployé plus de 6 500 kms de fibre dans les fourreaux de France Télécom, soit un doublement sur un an, mais, surtout, ils ont désormais massivement recours à la mutualisation en zone très dense : le nombre des logements éligibles via la mutualisation a triplé en 2011 permettant l'accès aux offres de plusieurs opérateurs dans déjà près de la moitié des logements éligibles. Ce pourcentage devrait se rapprocher assez vite des 100 % Ces données sont importantes : elles montrent que les acteurs se sont approprié les règles du jeu. Ils consolident aussi leurs positions en zone très dense, après y avoir investi près de 2 milliards d'euros. A partir de là, il y a toute raison de penser que les initiatives commerciales sur le marché de détail vont se multiplier. Elles dépendent des opérateurs.
Un mot également sur le très haut débit mobile. Après l'attribution des fréquences dites " 4G " et notamment celles du dividende numérique, les opérateurs ont fait état de leur souhait de pouvoir déployer et ouvrir rapidement leurs services. Des expériences sont en cours qui démontrent le saut qualitatif permis par le recours au LTE. Sur ce point, nous avons les moyens de rattraper progressivement le léger retard pris, comme ailleurs en Europe, sur les Etats-Unis et l'Asie.
2. Où en est la dynamique du déploiement en dehors des zones très denses
Au cours de l'année écoulée, de nombreux jalons ont été posés : l'ensemble des opérateurs privés ont conclu des accords de coinvestissement en zone moins dense, certains ont précisé leurs enveloppes et leur calendrier d'investissement sur les années à venir ; les collectivités territoriales se sont, dans leur très large majorité, inscrites dans le mouvement de planification stratégique conduisant à l'élaboration des schémas directeurs, qu'il faut généraliser et renforcer, et ont engagé avec les opérateurs privés une démarche de conventionnement. Les premiers RIP à très haut débit ont été présentés, par exemple en Auvergne, en Bretagne, dans la Manche ou à Laval, avec là encore des enveloppes financières et des calendriers précis. Chaque mois ou presque, il y a l'annonce de nouveaux projets ; ils sont en effet très nombreux à être en préparation. Par ailleurs, Numericable a annoncé l'accélération de ses investissements pour amener progressivement le très haut débit aux 9 millions de foyers éligibles aujourd'hui au haut débit via le câble.
Au total, et c'est une question évidemment très importante, l'ARCEP et la FFT estiment que le besoin d'investissement, à la fois pour maintenir et mettre à niveau les réseaux existants et pour réaliser les nouveaux réseaux fixes et mobiles, peut être estimé à environ 6 milliards d'euros par an pendant 15 ans. Or, il s'agit de la tendance précisément constatée sur les 5 dernières années. Mais le secteur a dû, en plus, dépenser environ 5 milliards d'euros en 3 ans pour des achats de fréquences, ce qui ne devrait plus arriver d'ici la fin de la décennie. Il existe donc une marge de manœuvre d'environ 1,7 milliard d'euros par an pour absorber l'éventuelle baisse des marges liées à l'arrivée de Free Mobile.
En dernier lieu, la régulation qui repose, je le rappelle, sur le recours à un très large degré de mutualisation et sur l'incitation au coinvestissement, a montré, me semble-t-il, à la fois sa flexibilité et sa capacité à fournir les bonnes incitations d'investissement aux acteurs. Ca n'est pas une surprise car ce cadre est cohérent avec une spécificité française que soulignait, avec un vif intérêt, Neelie Kroes, lors de notre rencontre du 28 juin dernier : la volonté d'opérateurs privés, qu'ils soient historique, alternatifs ou opérateur du câble, et d'opérateurs publics, d'investir sur ce nouveau marché.
A ce propos, je souhaite apporter une clarification : le débat sur le soutien public au financement des déploiements doit être bien distingué de celui relatif au cadre de la régulation. En effet, ce cadre est neutre à plus d'un titre : il s'applique identiquement à des acteurs privés comme publics, à des opérateurs autonomes comme à un consortium ; il ne préjuge en rien des financements employés, question qui relève de choix politiques et qui n'entrent pas dans le champ de compétence de l'Autorité. La confusion est encore trop souvent faite et complique inutilement le débat. D'ailleurs, aucune proposition précise n'a jamais été faite concernant la modification des décisions de l'ARCEP de décembre 2009 et décembre 2010. Leur très grande neutralité et leur très grande souplesse leur permettent de rester applicables quels que soient les choix politiques qui seront faits à la fois sur l'équilibre public-privé, dans l'investissement et dans les financements, comme sur le caractère plus ou moins centralisé des déploiements.
Je voudrais aussi rappeler que, pour la mise en œuvre concrète des déploiements, les multiples technologies d'accès au haut et très haut débit, y compris les solutions hertziennes et satellitaires, doivent être mises en œuvre de façon complémentaire. Cette complémentarité permettra de répondre aux besoins immédiats des territoires ruraux comme des territoires enclavés, sans remettre en cause l'objectif de long terme d'un accès au très haut débit pour tous. C'est notamment le cas de la montée en débit dont, à terme, une part des investissements pourra être réutilisée pour le passage au FttH. Pour que cette complémentarité puisse jouer à plein, une planification locale est nécessaire. Elle seule sera en mesure de recenser finement les besoins locaux, de déterminer les priorités et les meilleurs moyens d'y répondre. Les schémas directeurs sont, là encore, le meilleur outil de cette planification.
Comme je vous le disais en introduction, de nombreuses étapes ont été franchies en un an. Les outils essentiels sont désormais en place. Il faut maintenant leur donner le temps d'être mis en œuvre et si, à l'usage, des ajustements sont nécessaires, ils seront évidemment faits.
II. Tout autre est le débat, très idéologique, qui a été lancé en 2011, sur le rôle et l'importance de la régulation pratiquée en Europe
Tout, et son contraire, a été dit, et, parfois, par les mêmes personnes. Pour sortir de cette confusion, il est nécessaire de se replacer au point de départ de l'histoire : celui des monopoles publics des télécommunications.
L'ouverture des marchés, en Europe, dans les années 90, a conduit, conformément au cadre communautaire, à créer des autorités de régulation sectorielle, en particulier dans les pays où l'Etat conservait la propriété totale ou partielle de l'opérateur historique. Leur rôle a été notamment de veiller à ce qu'un niveau suffisant de concurrence existe pour permettre à d'autres acteurs que l'opérateur historique d'entrer sur ces marchés. En France, ni SFR, ni Bouygues Telecom, ni Free, ni aucun des autres opérateurs ou FAI n'existeraient aujourd'hui si cette animation concurrentielle effectuée par le régulateur n'avait pas existé. Dès lors, quand on entend certains commentateurs affirmer que " la régulation menée en Europe depuis 20 ans a été un échec ", on croit rêver. En 15 ans d'ouverture du marché, celui-ci a doublé en volume. Le PIB national n'a progressé, dans le même temps, que de 20 %. Et, au cours de ces 15 ans, l'emploi dans les TIC devenus l'économie numérique (dont les télécoms et internet sont le nerf de la guerre), est passé d'environ 300 000 à près d'un million de personnes en France ! Quel autre secteur a connu un tel succès ?
On entend dire aussi, sans aucun chiffre à l'appui, selon une approche préscientifique qui procède par affirmation péremptoire, que l'existence en Europe d'un grand nombre d'opérateurs, en comparaison, par exemple, avec la situation qui prévaut aux Etats-Unis, conduirait à une baisse des marges et de l'emploi. Poursuivons, cette fois-ci, si on le veut bien, de façon rationnelle, selon une méthode qui a fait ses preuves depuis 3 siècles : l'observation expérimentale. Quelle est la situation aux Etats-Unis ? Il y a, effectivement, moins de concurrence, et un mouvement de concentration des opérateurs a eu lieu. Quel est le résultat ? En 10 ans, la destruction de 400 000 emplois, soit 30% des effectifs du secteur. Ça n'est pas une surprise. Les rapprochements d'opérateurs se font généralement pour réaliser des économies. Et, cerise sur le gâteau, les prix de détail sont deux fois supérieurs à ce qu'ils sont en Europe. Ainsi, ni les salariés, ni les consommateurs n'y ont, en définitive, trouvé leur compte. On a donc du mal à voir là un modèle à suivre. Je ne suis pas marxiste, mais cet économiste (Marx, disons-le) avait prédit que le capitalisme risquerait de conduire à la constitution de grands monopoles privés, fondés sur la rente. Mais il n'avait pas prévu que trois très grands présidents américains, Taft, Wilson et Roosevelt combattraient cette évolution en mettant en place des outils de régulation de l'économie… et que leurs lointains successeurs, Ronald Reagan et George Bush, les affaibliraient, voire les détruiraient. Faut-il imiter ce modèle américain ?
La morale de cette histoire est que l'économie de marché régulée est surement le pire des systèmes économiques, à l'exception de tous les autres et notamment de l'économie administrée ou du libre jeu total du marché. On ne peut pas non plus accuser les régulateurs européens des télécommunications d'être obsédés par la concurrence. Depuis l'origine et de façon croissante, ils ont, au contraire, contrebalancé l'objectif concurrentiel par d'autres objectifs d'intérêt général (l'innovation, l'investissement, l'emploi, l'aménagement du territoire), s'inscrivant ainsi dans une action complémentaire aux politiques gouvernementales, qu'elle soit industrielle ou fiscale, ou qu'elle facilite, dans différents domaines, une meilleure diffusion des usages et, par la même, une augmentation de la demande adressée aux opérateurs.
En définissant et en sécurisant le cadre juridique des déploiements, les régulateurs des télécoms ont facilité l'investissement dans les réseaux, notamment dans les nouveaux réseaux, qui sont pourvoyeurs d'un nombre considérable d'emplois, puisque 75% des dépenses sont constituées par de la main-d'œuvre et que celle-ci est localisée sur le territoire. L'ARCEP s'est particulièrement illustrée en ce domaine : on est progressivement passé d'une concurrence par les infrastructures, qui était nécessaire, au début, pour permettre aux opérateurs de se différencier le plus possible, à une concurrence par les services et par la mutualisation d'une part importante de l'infrastructure. Pour la fibre optique, le cadre réglementaire prévoit une mutualisation de 90% des investissements. Et pour la 4G mobile, pour la première fois en Europe, un régulateur a non seulement autorisé mais a incité les acteurs à mutualiser leurs réseaux sur plus de 60% du territoire.
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Il est temps, me semble-t-il, d'arrêter ces débats non pas politiques, car ceux-là sont respectables et nécessaires, mais idéologiques et schématiques, fondés sur des contrevérités ou des erreurs de raisonnements grossières, qui risqueraient, si nous y prêtions trop attention, tels des navigateurs face aux chants délétères des sirènes, précisément, de prendre beaucoup de retard. Il est grand temps de se concentrer sur un travail concret et pragmatique qui associe les acteurs publics nationaux et locaux et l'initiative privée. Beaucoup d'entre vous y participent au quotidien et je les en félicite. L'ARCEP a ce seul objectif et n'en déviera pas.
Je vous remercie.