Prise de parole - Interview

"Télécoms, la consolidation n'est pas nécessaire" : Sébastien Soriano, président de l'Arcep, répond aux questions du journal Le Figaro (édition du 31 mars 2017)

Six ans après l'arrivée de Free Mobile, le marché des télécoms français se stabilise, comme le révèle la dernière enquête de l'Autorité des télécoms (Arcep). Les prix ne baissent plus, les investissements repartent… Mais les opérateurs n'ont pas encore complètement enterré leur rêve d'un retour à trois. Sébastien Soriano, président de l'Arcep, soulève les risques d'une consolidation pour le secteur et insiste sur les grands défis que doivent encore relever les opérateurs français.

Le Figaro. - Après plusieurs années difficiles, les télécoms français renouent-ils avec la croissance ?

Sébastien Soriano. - Le revenu global des services mobiles croît de 1,8 % sur un an, après six ans de baisse. Le secteur s'achemine vers une stabilisation, même si la courbe risque de connaître encore quelques à-coups, notamment du fait de la disparition du roaming (les appels passés depuis un autre pays européen, NDLR). En dépit de la guerre des promotions, les prix moyens sont stabilisés. La quantité de données en 4G inclues dans un forfait devient un nouvel élément concurrentiel, le prix n'est plus le seul critère. La 4G en illimité est un horizon naturel du marché, elle est amenée à se généraliser, permettant une montée en gamme des forfaits.

Les opérateurs se sont-ils remis à investir ?

Clairement, la machine à investissement est en train de repartir. Après une bonne année 2015, l'année 2016 s'annonce meilleure encore, grâce à un très net réveil de SFR et une mobilisation toujours forte chez Orange. L'Arcep a sa part dans cette dynamique positive, elle pousse à l'investissement dans les réseaux fixe et mobile et assure une concurrence loyale. Elle s'est aussi montrée pragmatique en permettant la mutualisation des coûts avec le partage de réseau (entre Bouygues Telecom et SFR). Le secteur doit pouvoir investir davantage, mais tous ces signes sont déjà des marqueurs forts vers la reprise du marché. Les opérateurs ont fait de gros efforts et sont aujourd'hui en situation d'affronter le marché à quatre. On peut dire que le secteur referme le cycle déclenché par l'arrivée de Free.

Mais le bilan social reste lourd ?

D'après les économistes, l'arrivée de Free a eu un impact différencié sur l'emploi. Ses trois concurrents et leurs sous-traitants ont supprimé des postes et Free a embauché. De plus, il y a eu un effet indirect sur l'économie avec une augmentation du pouvoir d'achat des Français grâce aux prix bas.

Dans un tel contexte, que pensez-vous d'une fusion entre opérateurs?

La consolidation n'est ni nécessaire, ni souhaitable. Une fenêtre se referme. Il y a deux acteurs forts qui investissent beaucoup: Orange va bien, SFR tend à se renforcer. La situation est un peu différente pour Bouygues Telecom et Free. Le premier est entré tardivement dans le fixe, et le second, dans le mobile. Lorsque sur un marché à quatre, deux avaient un handicap, la consolidation pouvait avoir du sens. Mais la part de marché de Bouygues Telecom a dépassé les 10 % dans le fixe et Free Mobile affirme avoir atteint ses objectifs de déploiement de la 3G avec un an d'avance et poursuit ses efforts dans la 4G. Alors que le marché trouve enfin sa dynamique à quatre, j'ai du mal à comprendre ce que les Français auraient à gagner d'une consolidation. Le seul intérêt des actionnaires n'est pas suffisant. Et un tel cas de figure pourrait être très dangereux pour l'investissement. Un nouveau cycle de négociations entre opérateurs ferait à nouveau perdre deux ans au secteur. Or c'est le moment d'investir dans la fibre. Si des négociations devaient reprendre, l'Arcep serait très vigilante et exigeante.

Mais vous ne pouvez pas interdire aux opérateurs de fusionner.

Non, ce n'est pas le rôle de l'Arcep, mais celui de l'Autorité de la concurrence. En revanche, dans le cadre de la loi pour une république numérique, les opérateurs peuvent désormais prendre des engagements contraignants en termes d'investissement, pour assurer la couverture des zones peu denses du territoire. J'insiste, ces engagements sont juridiquement contraignants, pris après avis de l'Arcep et réalisés sous contrôle.

La convergence entre les télécoms et les médias est-elle une réponse?

Je ne veux pas condamner toute forme de convergence, mais j'alerte sur les dérives possibles. Le risque d'un sous-investissement à la fois dans les réseaux et les contenus culturels qu'elle induit, notamment au profit des droits sportifs, est réel. De même pour le fonctionnement du marché, avec des exclusivités qui deviendraient une contrainte inacceptable pour les consommateurs. Les exclusivités doivent rester très limitées et les contenus doivent être revendus à des prix acceptables. La convergence porte aussi en elle le risque d'une duopolisation du marché, avec une nette frontière entre les deux gros opérateurs, qui ont les moyens de jouer cette carte, et les deux qui le peuvent plus difficilement. Il faut rester très vigilant sur ce sujet.

L'État a-t-il vocation à rester au capital d'Orange?

La question peut se poser. C'est surtout un enjeu politique et d'État actionnaire, qui ne relève pas de l'Arcep. Mais attention aux amalgames: l'évolution éventuelle de l'actionnariat d'Orange ne doit pas être synonyme de consolidation. Ce sont deux enjeux bien distincts.


Propos receuillis par Elsa Bembaron et Enguérand Renault

> L'article du journal Le Figaro