Prise de parole - Interview

Sébastien SORIANO, président de l'ARCEP, répond aux questions du journal Le Figaro (21 février 2015)

Sébastien Soriano, à la tête de l'Autorité de régulation des télécoms (ARCEP) depuis un peu plus d'un mois, détaille ses priorités. Le contrat d'itinérance qui permet à Free de faire transiter une partie des communications de ses clients par le réseau d'Orange, jusque fin 2017, sera réexaminé. Tout comme l'accord de partage de réseaux passé par Bouygues Telecom et Numericable-SFR. De quoi bouleverser les équilibres du secteur.

LE FIGARO. - La loi Macron va donner de nouveaux pouvoirs à l’ARCEP. Quelles sont les principaux points ?
Sébastien SORIANO. - Plusieurs dispositions concernent l’ARCEP. Parmi elles, figurent de nouveaux pouvoirs sur le partage des réseaux mobiles entre opérateurs. Le modèle fondamental de l’ARCEP est d’attribuer des fréquences aux opérateurs et d’y associer des obligations de déploiement. On a ajouté à ce dispositif un « patch » indispensable à l’arrivée du quatrième opérateur, Free : l’itinérance. Mais si l’itinérance se transforme en drogue de substitution, ce n’est pas bon. Il faut organiser le sevrage. Pour aller vers un modèle où, en zone dense, chacun a son réseau et en zone moins dense, les réseaux sont mutualisés. Dès que le texte de loi aura été examiné par le Sénat, nous commencerons le dialogue avec les acteurs (NLDR : Orange et Free) pour organiser la fin de l’itinérance. Nous n’avons pas d’a priori sur le calendrier : il sera exigeant mais cohérent avec la faisabilité sur le terrain. Bouygues Telecom et Numericable-SFR partagent quant eux leurs réseaux, à travers un accord de mutualisation. Pour certains, cela va trop loin. Le texte de loi ne demande pas à l’ARCEP de réglementer a priori, mais elle peut poser des limites aux différents accords !

La consolidation du secteur des télécoms est un autre sujet brûlant.
Je vais répondre à côté de la question : l’ARCEP a un droit de veto sur les cessions de fréquences. Dans le cadre d’une éventuelle consolidation du secteur, je déconseille aux opérateurs de faire des plans sur la comète. Néanmoins, le sujet de la consolidation est d’abord entre les mains de l’Autorité de la concurrence. L’ARCEP est favorable aux bonnes consolidations, celles qui créent des capacités d’investissement, qui permettent des synergies entre le fixe et le mobile.
Comme Bruno Lasserre (NDRL : le président de l’autorité de la concurrence) je pense qu’il n’y a pas de chiffre magique à trois ou quatre opérateurs. Mais il y a un chiffre maudit, c’est deux ! Un duopole est difficile à réguler, tous les exemples à travers le monde montrent que c’est la pire situation pour l’investissement et les prix.

Quelles seront les modalités d’attributions des fréquences 700 MHz ?
Nous sommes dans la phase d’élaboration du dispositif. Je souhaite que le Parlement et le gouvernement s’expriment en amont et donnent leurs attentes concernant les enjeux financiers, la couverture du territoire… L’ARCEP doit être à l’écoute des priorités du gouvernement.
En outre, l’attribution des fréquences 700 MHz est historique, il n’y a plus de fréquences à libérer pour les télécoms dans des délais visibles. Cette attribution est la voie royale pour permettre aux opérateurs d’avoir les fréquences nécessaires au développement de leur activité.

Le développement de l’internet des objets va aussi peser sur les réseaux ?
L’ARCEP doit aussi préparer l’avenir et les grands enjeux technologiques des réseaux de demain. Je pense notamment à la révolution des objets connectés qui vont envahir notre quotidien (capteurs, domotique, ville intelligente, etc.). Je souhaite lancer des travaux pour mobiliser l’ensemble des acteurs et des pouvoirs publics sur cette question.

Le rythme de déploiement de la fibre est-il satisfaisant ?
C’est un sujet sur lequel le gouvernement est en première ligne, avec le plan France très haut débit. Il lui revient d’abord de gérer l’après fusion Numericable-SFR. L’ARCEP pose un cadre et incite les acteurs à investir. Un de nos sujets de préoccupation est de nous assurer que le quatrième entrant dans le fixe, Bouygues Telecom, a bien les moyens de se développer. Nous avons notamment adopté de nouvelles dispositions pour la portabilité du numéro fixe, comparables à ce qui existe dans le mobile. Nous voulons faciliter le changement d’opérateur dans le fixe, en mettant en place un « relevé d’identité d’opérateur fixe ». Je pense que cela peut dynamiser le marché et l’investissement.

L’ARCEP dispose-t-elle des moyens nécessaires pour assumer ces nouvelles fonctions ?
Les moyens budgétaires et humains dont nous disposons aujourd’hui ont été programmés par l’ancien ministre de l’économie (NDLR : Arnaud Montebourg). Je crains que cette programmation n'ait été pensée pour asphyxier l’ARCEP. L’ancien ministre faisait une double critique à l’ARCEP : non seulement d’agir en contradiction avec l’objectif de redressement industriel du gouvernement ; mais au-delà il remettait en cause la légitimité de l’institution.
J’estime avoir fait la moitié du chemin en étant à l’écoute des priorités de la Nation. Le régulateur n’a pas à opposer l’industrie aux consommateurs ni à donner la priorité à l’un plutôt qu’à l’autre. Je demande maintenant au gouvernement de faire l’autre moitié du chemin, en cohérence avec les choix du Parlement. Il faut des moyens suffisants pour préserver les compétences qui sont les nôtres et assumer les nouvelles tâches qui nous incombent, non seulement celles qui nous sont confiées par la loi mais aussi les nouvelles attributions de fréquences, comme la 4G dans les DOM. Sinon, faute de moyens, nous risquons de fragiliser des dossiers ou de prendre six mois de retard. Certes, tout le monde doit faire des efforts, mais de manière juste.

Propos recueillis par Elsa Bembaron