Je suis particulièrement heureux d'introduire cette rencontre entre le monde des télécommunications et celui des investisseurs. Il me semble qu'une telle démarche participe pleinement de l'esprit d'ouverture qui doit animer notre action en faveur du développement des télécommunications. Pour que l'introduction de la concurrence soit un succès, il faut que l'information passe auprès de tous les acteurs économiques; et l'on ne soulignera jamais assez l'importance des enjeux financiers qui sont au coeur de ce processus d'ouverture. C'est pourquoi je souhaite qu'un dialogue ouvert s'engage aujourd'hui.
Les perspectives qui s'ouvrent au secteur des télécommunications sont considérables. A peine le régime de concurrence vient-il d'être introduit qu'on nous parle déjà de l'avènement très prochain de la société de l'information. Mon premier souci, en m'adressant à vous, est de clarifier les enjeux immédiats et futurs attachés au secteur des télécommunications. Je vous propose donc de dresser un rapide bilan résumant les épisodes précédents, qui nous permettra, dans un second temps, d'envisager l'avenir de manière plus précise.
Le cadre juridique et institutionnel
Les grandes étapes européennes
Replaçons les évolutions récentes du secteur dans le contexte plus large du processus européen. Il aura fallu onze ans, depuis la parution du premier livre vert de la Commission, pour que la déréglementation complète devienne une réalité. Onze années au cours desquelles le secteur a connu des évolutions technologiques et économiques majeures : modernisation des équipement, multiplication des services, développement des mobiles etc. Instruite par les expériences précédentes, et notamment celle des Etats Unis et du Royaume Uni, l'Union européenne a choisi de procéder par étapes pour mener à bien cette entreprise inédite. Elle a ainsi libéralisé par des directives successives les équipement terminaux, les services autres que le service téléphonique, les communications par satellites et les mobiles. Parallèlement, les directives dites d'harmonisation ont posé les conditions à respecter par les Etats membres pour la mise en oeuvre de la concurrence. Les exigences que nous appliquons aujourd'hui en matière d'interconnexion entre les réseaux ou de service public ont donc été définies en partie à l'échelon européen. J'insiste sur le fait que les dispositions européennes ne sont que des conditions minimales. Dans les faits, les différents pays européens ont progressé à des rythmes différents dans l'introduction de la concurrence. Par exemple, la France a introduit la concurrence sur les mobiles en 1987, bien avant que la directive de libéralisation ne vienne s'appliquer. La transcription des principes européens en droit national a également tenu compte des spécificités de chaque pays. La France a ainsi introduit dans la définition du service universel des exigences plus larges que celles définies au niveau européen. Mais au moment de l'ouverture complète, le dispositif européen est en place, même si quelques ajustements demeurent encore nécessaires.
La loi du 26 juillet 1996 pose trois principes
Au plan national, c'est la loi du 26 juillet 1996 qui a transposé les conditions d'ouverture du marché à la concurrence, à compter du 1er janvier 1998. Quels en sont les grands principes ? La loi pose trois principes fondamentaux qui détermineront largement la physionomie du marché des télécommunications dans les années à venir :
- Premier principe : les activités de télécommunications s'exercent librement. L'apparente simplicité de cette affirmation cache mal la complexité de son application. Car, chacun s'en doute, il ne suffit pas de décréter que la liberté existe pour qu'elle devienne immédiatement une réalité. Dans un secteur où la plupart des pays du monde connaissent ou ont connu une situation de monopole, l'introduction de la concurrence suppose des mesures protectrices pour le marché émergent. Le montant et la durée des investissements à fournir par un opérateur pour construire son propre réseau rendent par ailleurs indispensable le partage des infrastructures existantes. De nombreuses difficultés peuvent naître d'une telle situation, comme des exemples récents nous l'ont montré chez nos proches voisins. On mesure donc ici la nécessité d'une régulation du secteur.
- Second principe : la loi réaffirme l'existence d'un service public des télécommunications, dont la principale composante est le service universel, qui reprend les principaux éléments du service public tel qu'il était assuré jusqu'ici; il comprend :
la fourniture d'un service téléphonique de qualité, à prix abordable
Les tarifs sociaux
l'acheminement gratuit des appels d'urgence
la fourniture d'un service de renseignements et d'un annuaire, sous forme imprimée et électronique
la desserte du territoire national en cabines téléphoniques Le régulateur organise et contrôleles modalités d'application de ce service universel.
- Troisième et dernier principe : la fonction de régulation est indépendante de la fonction d'exploitation. C'est ce principe qui justifie l'indépendance du régulateur à l'égard de l'ensemble des opérateurs de télécommunications et en particulier de l'opérateur historique. Comme la majeure partie des pays européens, la loi française s'est résolument engagée dans l'application de ce principe, en instituant une instance de régulation indépendante à l'égard des opérateurs et des pouvoirs publics : l'Autorité de régulation des télécommunications.
L'ART est créée le 5 janvier 1997
Cette dernière a été créée le 5 janvier 1997, un an avant l'ouverture du marché à la concurrence. Elle tire en particulier son indépendance des modalités de désignation de ses membres. L'ART est composée d'un collège de 5 membres irrévocables, nommés pour 3 d'entre eux par le chef de l'Etat et pour les autres par les présidents des deux assemblées, pour une durée de 6 ans.
Le collège s'appuie, pour préparer ses décisions, sur des compétences techniques de haut niveau, dont une bonne moitié est issue de l'ancien ministère. L'effectif des services de l'ART est d'environ 130 personnes. L'équipe en place représente une capacité d'expertise et d'action reconnue, au service du développement du marché.
La loi du 26 juillet 1996 a enfin opéré un partage des compétences entre l'Autorité, le Gouvernement et l'Agence nationale des fréquences, qu'elle a également instituée. Si le pouvoir réglementaire demeure, comme il se doit, de la compétence gouvernementale, l'Autorité acquiert ainsi un large éventail de missions et de compétences, qui s'expriment par des avis, des propositions et des décisions , dans tous les domaines qui intéressent la régulation des télécommunications : l'instruction des licences, la numérotation, l'interconnexion, le service universel et les tarifs. Elle est également compétente en matière de règlement des litiges et de sanction.
Les objectifs de la régulation
Les objectifs qui doivent guider l'action de l'Autorité et du Gouvernement, dans le cadre de leur mission de régulation, sont clairement établis par la loi. En particulier, deux objectifs généraux permettent de mieux comprendre l'action du régulateur et méritent pour cette raison d'être cités :
- L'Autorité doit favoriser l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale, et j'ajoute durable. Ce principe est fondamental; il signifie que la concurrence n'est pas une fin en soi; l'établissement d'une concurrence loyale n'est qu'un moyen au service des intérêts des consommateurs.
- L'Autorité doit en outre veiller au développement de l'emploi, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des télécommunications. L'exercice de la concurrence est subordonné à une finalité économique; la concurrence ne vaut que si elle est un facteur de croissance du marché.
L'ART adapte ses missions aux exigences du marché
Venons en à présent aux activités proprement dites de l'ART. Je voudrais vous montrer, à partir d'exemples précis, combien les principales décisions que l'Autorité a prises au cours de l'année écoulée ont des incidences économiques fortes, et intéressent à ce titre les acteurs économiques et les investisseurs. Les missions exercées par l'Autorité peuvent être regroupées en 6 thèmes :
Les avis sur des projets de lois ou de règlements
En premier lieu, l'Autorité rend des avis sur les projets de lois et de règlements proposés par le Gouvernement dans le domaine des télécommunications. Cette fonction est essentielle, car elle permet au régulateur de préciser certains points cruciaux pour l'exercice d'une concurrence effective et équitable entre les opérateurs. Ainsi, sur les deux principaux décrets d'application de la loi de 1996, relatifs à l'interconnexion et au service universel, l'ART a pu apporter des compléments qui ont été suivis par le Gouvernement, en particulier pour ce qui concerne les méthodes d'évaluation respectives des tarifs d'interconnexion et du coût du service universel. Ces éléments ne sont pas purement techniques mais également financiers, au regard des charges des opérateurs. En ce sens ils sont déterminants dans l'établissement de la concurrence.
Le régime des licences
L'Autorité est également chargée d'instruire les demandes de licences des opérateurs qui souhaitent s'installer sur le marché. La loi prévoit en effet un régime d'autorisation pour toute entreprise qui désire exploiter un réseau de télécommunications ou fournir le service téléphonique. Les services autres que le service téléphonique font par ailleurs l'objet d'une simple déclaration à l'ART.
Il faut distinguer deux principales catégories de licences :
- Les licences d'opérateurs de réseau ouvert au public et de fournisseurs de service téléphonique au public, qui sont instruites par l'ART. Celle-ci transmet les dossiers instruits au ministre, qui prend la décision formelle d'attribution. Parmi ces licences, on peut encore distinguer trois catégories :
Les licences expérimentales, instituées par la loi du 10 avril 1996, permettent des expérimentation innovantes d'une durée et d'une ampleur géographique limitées dans le cadre du développement des autoroutes de l'information. 8 licences ont été attribuées depuis 1996. Par exemple Lyonnaise câble à Annecy.
Les licences d'infrastructures alternatives, qui autorisent un opérateur à exploiter un réseau et à fournir des services autres que le service téléphonique sur une zone géographique propre. Ces autorisations ont notamment pour objet d'ouvrir une concurrence susceptible de faire baisser les tarifs des liaisons louées, au profit des entreprises, des opérateurs de réseaux et des prestataires de services. 7 licences ont été délivrées à ce jour. Par exemple Eurotunnel.
Les licences " complètes " d'opérateurs, en vue de la fourniture du service téléphonique au public. Délivrées pour une durée de quinze ans, ces licences ont une importance déterminante, car elle concrétisent l'entrée en vigueur de la concurrence. A ce jour, 7 licences ont été instruite par l'ART et transmises au ministre. Il s'agit d'Omnicom, Télécom Développement (Cégétel), Netco (Bouygues), Siris, Esprit Télécom, Colt et Infotel. Une dizaine d'autres, dont celle de France Télécom, sont en cours d'instruction.
- Les autorisations de réseaux indépendants, qui sont délivrées directement par l'ART, sont réservées à des groupes fermés d'utilisateurs, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent en aucun cas permettre la fourniture du service téléphonique au public. L'Autorité a autorisé plus de 100 réseaux indépendants en 1997.
Je précise que les motifs pour refuser une licence sont précisément encadrés par la loi. Le refus ne se justifie que dans trois cas :
- pour des motifs liés à la sauvegarde de l'ordre public ou aux besoins de la défense ou de la sécurité publique.
- en raison des contraintes techniques inhérentes à la disponibilité des fréquences.
- lorsque le demandeur n'a pas la capacité technique ou financière de faire face durablement à ses obligations ou s'il a fait l'objet de sanctions liées à ses activités dans les télécommunications.
La numérotation et les fréquences
Parallèlement à l'octroi des licences, l'Autorité est chargée de gérer le plan de numérotation national et d'attribuer les fréquences. Pour vous donner un ordre de grandeur, elle doit gérer 600 millions de numéros. Dans ce cadre, elle a du instituer les mécanismes techniques nécessaires à l'introduction de la concurrence. Je veux parler en particulier de la sélection du transporteur longue distance et de la portabilité des numéros.
Dans un premier temps, en effet, la concurrence ne sera effective que pour les communications longues distance. La construction d'un réseau qui permette d'atteindre directement tous les abonnés étant une entreprise longue et coûteuse, les opérateurs doivent se connecter sur le réseau local de France Télécom pour acheminer les communications jusqu'à l'utilisateur. Mais pour que chaque utilisateur puisse choisir le réseau longue distance qu'il souhaite emprunter, il fallait mettre en place un mécanisme de sélection du transporteur longue distance. C'est ce qu'à fait l'ART en optant pour l'octroi à chaque opérateur national d'un chiffre qui remplacera le zéro lors de la composition des numéros par l'abonné. Des tirages au sort ont permis d'attribuer le 2 à Siris, le 5 à Omnicom, le 7 à Cégétel, le 8 à France Télécom et le 9 à Bouygues. Le chiffre de sélection du transporteur est considéré comme une ressource rare, puisqu'il ne peut prendre que 7 valeurs. Une fois toutes ces valeurs octroyées, les autres opérateurs se verront attribuer un préfixe à quatre chiffre à composer par l'utilisateur avant le numéro demandé. Ce préfixe, qui commencera obligatoirement par le nombre 16, suivi de deux de deux autres chiffres, offre un plus grand nombre de possibilités puisqu'il peut prendre 93 valeurs.
Le mécanisme de portabilité des numéros permet à l'utilisateur de conserver son numéro lorsqu'il change d'opérateur, sans changer de localisation. Cette possibilité est ouverte depuis le 1er janvier 1998. Au 1er janvier 2001, l'utilisateur pourra également, grâce à un numéro spécial, changer de zone géographique tout en gardant son numéro.
S'agissant maintenant de la gestion des fréquences, c'est l'Agence nationale des fréquences qui est chargée de coordonner la gestion des fréquences entre différentes administrations sur le territoire national. Elle attribue des bandes de fréquences à l'ART, au CSA, aux forces armées etc., à charge pour ces organismes de les redistribuer. C'est dans ce cadre que l'ART attribue des fréquences aux différents réseaux qui sont sous sa responsabilité, et en particuliers aux réseaux mobiles, en veillant à ce que la disponibilité des fréquences ne soit pas un frein au développement du marché.
L'interconnexion
L'interconnexion est l'un des dossiers les plus importants dont l'Autorité a la charge. En effet, l'établissement d'une concurrence effective et loyale passe par des conditions techniques et tarifaires d'interconnexion équitables. L'ensemble de ces conditions figurent dans le catalogue d'interconnexion des opérateurs puissants, c'est-à-dire des opérateurs dont la part de marché est supérieure à 25%. Aujourd'hui, seul France Télécom est dans cette situation, qui l'oblige à publier un catalogue d'interconnexion.
L'ART a approuvé ce catalogue les 9 avril et 31 juillet 1997. Elle est également chargée de définir une méthode équitable d'évaluation des tarifs d'interconnexion. Pour 1998, l'évaluation s'est faite sur la base des coûts historiques de France Télécom, en l'absence d'autres méthodes. Ces tarifs, qui placent la France en position dynamique en Europe, ont été objectivement établis pour permettre la naissance de la concurrence et cependant tenir compte de la meilleure réalité des coûts de l'opérateur historique.
Pour l'avenir, l'Autorité s'attache à mettre en place une méthode qui permettra de tenir compte des évolutions technologiques et économiques dans le secteur : la méthode des coûts moyens incrémentaux de long terme. Ces travaux seront conduits, naturellement avec l'ensemble des opérateurs. Leurs résultats et le moment de leur application sont aujourd'hui encore incertains, mais l'Autorité s'y est engagée avec détermination.
J'indique par ailleurs que l'ART était chargée de définir la zone locale de tri, c'est-à-dire la zone géographique qui constitue la limite des communications locales et longue distance, et fixe par conséquent le lieu de l'interconnexion. Par souci de simplicité et de lisibilité, elle a choisi le département.
Le service universel
Avec l'interconnexion, le service universel est l'un des éléments-clés du régime de concurrence qui s'installe dans notre pays. C'est notamment la question de son financement qui a été au coeur des préoccupations de l'ART en 1997. La France a décidé que le service universel serait financé par l'ensemble des opérateurs, au moyen d'un fonds spécial dont la gestion est confiée à la Caisse des dépôts et Consignations.
Le financement du service universel comporte cinq composantes :
- La prise en compte du déséquilibre des tarifs de l'opérateur qui en est chargé. En raison de sa situation de monopole passée, France Télécom connaît une structure tarifaire déséquilibrée. Le rééquilibrage de ces tarifs a un coût qui entre dans le financement du service universel pour une période transitoire.
- Le coût de la péréquation géographique. C'est le coût induit par la desserte de l'ensemble du territoire permettant à tous les abonnés de payer le même prix.
- Le coût des tarifs sociaux. Certaines personnes bénéficient de tarifs privilégiés en raison de leur niveau de revenu ou de leur handicap.
- La couverture du territoire en cabines téléphoniques.
- L'annuaire universel et les services de renseignements qui s'y rapportent.
L'Autorité a joué un rôle dans la définition précise du contenu et des modes de calcul de ces composantes, en concertation avec les différents acteurs. Elle est surtout chargée par la loi de proposer au Gouvernement l'évaluation du coût du service universel et la répartition de son financement entre opérateurs.
Dans l'évaluation qu'elle a proposé pour 1997 et 1998, l'ART s'est attachée à définir une méthode transparente et équitable, qui ne fasse pas peser une charge dissuasive sur les nouveaux opérateurs. Ainsi, en 1998, la charge qui incombe aux nouveaux opérateurs est de 95 millions de francs sur un total de 6,043 milliards.
J'ajoute que l'Autorité est chargée de rendre des avis sur les tarifs de France Télécom relatifs au service universel et aux services qui demeurent encore sous monopole de fait. Ce faisant, elle s'assure que l'opérateur dominant pratique une politique tarifaire compatible avec la concurrence. Cette mission représente, avec l'approbation du catalogue d'interconnexion et la répartition du financement du service universel, l'un des principaux éléments de ce que l'on appelle la régulation asymétrique, car elle ne s'applique pas dans les mêmes termes à l'opérateur historique et aux autres opérateurs.
Le règlement des litiges, la conciliation et les sanctions
L'ART est également une instance de règlement des litiges et de conciliation, qui bénéficie par ailleurs d'un pouvoir de sanction administrative et financière. Chargée du règlement des litiges dans les domaines de l'interconnexion et du partage des infrastructures, l'Autorité a rendu, le 10 juillet 1997, deux décisions sur des différends opposant France Télécom à des câblo-opérateurs. Il s'agissait de permettre à ces derniers d'avoir accès dans des conditions équitables à Internet sur leurs réseaux, dont le propriétaire est France Télécom du fait du plan câble. Ces décisions ont fait l'objet d'un recours de France Télécom devant la cour d'appel de Paris. L'Autorité vient par ailleurs d'être saisie de deux autres demandes de règlement, de la part de câblo-opérateurs, qui souhaitent pouvoir utiliser leurs réseaux pour proposer le service téléphonique.
Le pouvoir de conciliation de l'Autorité peut s'exercer dans tous les autres cas de litiges entre opérateurs. Quant à son pouvoir de sanction, il s'exerce à l'égard de tout manquement aux règles de la concurrence et peut se traduire notamment par des amendes allant jusqu'à 3% du chiffre d'affaires.
Vous le voyez, tout au long de sa courte existence, l'ART s'est attachée à mettre en oeuvre les conditions juridiques, techniques et financières du nouveau régime de concurrence. En une année, elle a pris quelque 469 décisions et avis. Elle s'est efforcée de le faire dans la transparence, en se fondant sur la concertation avec les acteurs du secteur. Elle a également fait preuve du pragmatisme indispensable dans un secteur qui évolue rapidement. Son souci premier a été de permettre l'établissement d'une concurrence qui profite avant tout aux consommateurs. Il lui appartient à présent d'opérer la transition entre la mise en place du cadre et l'application au quotidien des ajustements nécessaires à une concurrence effective.
Je voudrais tracer quelques perpectives afin de vous permettre d'appréhender au mieux les enjeux qui déterminent les priorités de la régulation des télécommunications pour les années à venir.
Les perspectives pour les années à venir
Sur un marché en constante évolution, la première vertu du régulateur est de savoir concilier le cadre réglementaire avec les changements technologiques et économiques. Des questions nouvelles émergent régulièrement et demandent une réponse rapide et adaptée. Pour l'ART, les priorités s'expriment notamment en fonction de ces perspectives d'évolution. En ce début d'année, j'ai inscrit au moins quatre priorités au programme de l'Autorité :
Je souhaite en premier lieu que l'Autorité s'attache à favoriser l'installation d'une concurrence effective et durable. Cela passera par l'introduction de la concurrence sur ce que nous appelons la boucle locale, c'est-à-dire les communications locales, qui connaissent aujourd'hui, comme je l'ai déjà précisé, une situation de monopole de fait. Or il apparaît que l'ouverture des communications locales à de nouveaux opérateurs peut être favorisée par le progrès technique. On peut en effet envisager de substituer aux fils de cuivre qui équipent aujourd'hui les réseaux une technologie radio qui offre l'avantage de la souplesse et d'une certaine mobilité. L'introduction de la " boucle locale radio ", comme l'appellent les techniciens, représente donc un enjeu considérable quand on connaît l'importance, pour les opérateurs, du contrôle de la boucle locale, qui permet notamment l'accès direct à l'abonné. C'est pourquoi l'Autorité a engagé dès 1997 une réflexion sur le sujet. Elle a d'ores et déjà fait des propositions en vue de l'octroi de licences et de l'attribution de fréquences. En attendant que soient réunies les conditions d'un appel à candidatures, elle compte favoriser dans l'immédiat les expérimentations dans ce domaines.
Le câble est une autre alternative prometteuse pour équiper la boucle locale. Par ses deux décisions du 10 juillet relatives aux conditions d'accès à Internet sur le câble, l'ART a ouvert la voie à la fourniture de services de télécommunications autres que le service téléphonique sur les réseaux câblés. Analogue dans son principe, la question du téléphone sur le câble est d'une tout autre ampleur économique. Elle conduit à s'interroger sur la viabilité, à terme, de la situation héritée du plan câble, au regard de l'imbrication des rôles et des responsabilités entre le propriétaire et l'exploitant d'un réseau câblé. La clarification et la simplification des responsabilités constituent dans ce domaine un enjeu décisif.
Dans la décision qu'elle rendra en règlement des deux litiges dont elle a été saisie sur le sujet, l'Autorité s'efforcera donc de clarifier ces questions.
Deuxième objectif pour le régulateur : savoir accompagner le développement technologique et économique du marché, et en particulier les évolutions très rapides du marché des mobiles, dont les tendances se précisent sous nos yeux.
Selon les études de l'IDATE, le marché français des services de télécommunications représentait, en 1996, 15% du marché ouest-européen, pour un montant total de 167 milliards de francs et une croissance annuelle de l'ordre de 5%. Depuis deux ans, cette croissance est tirée par le développement des mobiles. En effet, avec un taux de pénétration de 10% fin 1997 et un doublement du nombre d'abonné chaque année depuis trois ans, le marché français des mobiles a connu récemment un développement spectaculaire, tout à fait représentatif de la croissance européenne et mondiale du secteur. Selon toute probabilité cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir. Ce cas est tout à fait exemplaire du rôle d'accompagnement du marché que doit jouer le régulateur. Il appartient à l'Autorité de préparer l'avenir des télécommunications mobiles en anticipant trois évolutions complémentaires :
- la poursuite du développement du marché, qui suppose la mise à disposition des fréquences nécessaires. Des discussions ont été engagées par l'ART pour la libération des ressources par les forces armées.
- l'avènement d'une nouvelle génération de communications mobiles qui se prépare à l'échelon européen dans le cadre de ce que l'on appelle l'UMTS (système de télécommunications mobiles universelles) et à l'échelon international dans le cadre d'IMT 2000.
- Le contexte plus général d'une convergence des technologies et des réseaux fixes et mobiles, qui offre des perspectives nouvelles dans lesquelles doivent être replacées les deux questions précédentes.
Inscrire son action dans le cadre européen et international
Comme le montrent par exemple les perspectives du marché des mobiles, la dimension internationale est, pour le régulateur, une autre priorité. D'autres questions essentielles au développement du marché français ont également des prolongements européens et internationaux : l'interconnexion transfrontières et l'émergence des constellations de satellites qui viendront compléter les réseaux cellulaires terrestres en sont les exemples les plus éclairants. Il est donc capital de développer la coopération qui s'est déjà engagée entre les régulateurs européens et d'approfondir les relations que l'Autorité entretient avec la Commission. C'est une des conditions d'un développement harmonieux du marché européen des télécommunications.
S'agissant des négociations internationales, un accord a été conclu dans le cadre de l'OMC le 15 février dernier. Soixante cinq pays ont ainsi adhéré aux principes qui ont présidé au processus de déréglementation européen. Le rôle du régulateur sera à cet égard de veiller à la bonne application de cet accord par l'ensemble des pays signataires.
Anticiper les effets de la convergence
Depuis plusieurs années, les observateurs pronostiquent l'avènement prochain de la société de l'information, fondé sur les progrès technologiques qui permettent de réunir sur un seul support la transmission des différentes catégories d'information : le son, l'image, les données informatiques peuvent déjà circuler sur les mêmes réseaux et être traités par un seul terminal. C'est ce processus de rapprochement des supports que l'on désigne sous le terme de convergence. La commission européenne a depuis longtemps repris ce thème, pour tenter d'en prévoir les effets économiques et réglementaires. C'est l'objet du livre vert qu'elle vient de publier à ce sujet.
Or, si la convergence technologique est en train de devenir une réalité tangible, la plupart des acteurs soulignent les incertitudes qui pèsent sur ses prolongements économiques et commerciaux. Sans s'exonérer d'une réflexion de fond sur la société de l'information, le régulateur devra s'attacher en priorité à apporter des réponses aux problèmes concrets qui se posent déjà à lui. Ainsi, la question du téléphone sur Internet, qui est appelé à se développer rapidement, est essentielle en ce qu'elle constitue le point de rencontre entre un monde régulé et un monde non régulé. Ses conséquences sur la réglementation et sur les prix du téléphone doivent être appréhendés dès aujourd'hui.
Les enjeux économiques et financiers
Pour conclure cette intervention, je ferai simplement quelques remarques générales sur les enjeux économiques et financiers liés au développement des télécommunications.
Je voudrais d'abord souligner le rôle moteur de la technologie dans le secteur des télécommunications. Nous avons ici l'exemple concret d'un secteur où c'est la technologie qui détermine les évolutions économiques. Avec l'accélération du progrès technique, les évolutions économiques sont elles-mêmes très rapides. Si bien que les choix technologiques faits par les entreprises sont déterminants pour leur avenir. Bien souvent, pour ne pas dire toujours, l'erreur technologique n'est pas permise. Cette donnée est capitale dans un secteur où les investissements sont très lourds.
D'où ma seconde remarque: On assiste aujourd'hui à de nombreux regroupements et alliances dans un secteur où le volume des investissements est particulièrement élevé. Après tout, c'est bien dans le secteur des télécommunications qu'à eu lieu la plus grosse OPA jamais réalisée, celle de Worldcom sur MCI. A l'échelon national, j'indique également que sur les cinq prochaines années, le montant global des investissements prévus dans les licences accordées ou en cours d'instruction est supérieur à 13 milliards de francs et que le nombre d'emplois directement créé sera de l'ordre de 7000. Nous sommes donc dans un secteur où les enjeux financiers sont capitaux et ont des effets positifs sur l'emploi.
Mes trois dernières remarques se rapportent davantage aux objectifs du régulateur, mais elles ne doivent pas être négligées par les entreprises ni par les investisseurs :
- Je suis convaincu que la croissance du marché ne passe pas uniquement par les investissements de grands groupes de télécommunications européens et internationaux dans le secteur. Elle suppose également l'arrivée de jeunes sociétés innovantes, capables d'apporter leur dynamisme aux télécommunications. C'est à mes yeux l'une des conditions à l'établissement d'une concurrence effective; c'est aussi, me semble-t-il, une opportunité pour développer des modes de financements également innovants, dans l'esprit du capital risque.
- En tant que régulateur, j'insiste toujours sur le bénéfice que le consommateur doit retirer de l'ouverture à la concurrence. Je sais que les opérateurs sont également conscients de cette dimension : c'est la qualité de service, la diversité de l'offre et la baisse des tarifs qui permettront d'évaluer le succès de la déréglementation. Il faut que chacun en prenne la juste mesure.
- Enfin, je souhaite rappeler que l'ART tient compte en permanence des aspects financiers de la déréglementation dans le cadre de son action. Favoriser l'établissement d'une concurrence effective et durable, cela suppose des entreprises financièrement solides, capables d'assumer leurs investissements. C'est donc dans ce sens que l'Autorité instruit les demandes de licences qui lui sont soumises. Plus généralement, elle veille, dans l'ensemble de ses activités, à apporter aux acteurs économiques une visibilité et une stabilité propres à favoriser la confiance des investisseurs dans le développement du marché. A cet égard, le succès de ouverture du capital de France Télécom témoigne de la confiance que lui accordent les marchés financiers européens et américain. C'est à mon sens un facteur de visibilité et de stabilité pour le marché français.
A l'issue de cette rapide présentation, je voudrais vous assurer à nouveau que l'Autorité est pleinement consciente de sa responsabilité au regard de l'importance des enjeux financiers dans le secteur des télécommunications. La poursuite du dialogue entre le monde des télécommunications et le monde financier me semble donc une nécessité. Soyez assurés que, pour ma part, je m'y emploierai activement.
Je vous remercie de votre attention.