Prise de parole - Interview

" Réguler pour favoriser la concurrence au bénéfice des consommateurs " : un éditorial de Paul Champsaur, président de l'ART, publié dans Les Echos le 22 décembre 2003

En mars 2002, l’Union européenne a adopté de nouvelles directives destinées principalement à favoriser, au bénéfice des consommateurs, la progression de la concurrence sur les différents marchés du secteur : téléphone fixe, mobile, Internet à haut débit...

L’esprit des nouvelles directives, dont nous attendons avec impatience la transposition, n’est pas de réguler moins ou plus, mais de réguler mieux. A terme, l’objectif est bien de substituer à la régulation sectorielle a priori, une régulation a posteriori par le droit de la concurrence, dès lors qu’un marché devient concurrentiel.

Cette convergence progressive se fera au moyen d’une régulation essentiellement économique, fondée sur les concepts et les méthodes du droit de la concurrence, qui imprègnent déjà le droit sectoriel des télécommunications. A ce titre, la régulation sectorielle et le droit de la concurrence sont complémentaires. Ce processus est pleinement compatible avec une entreprise France Télécom prospère, dynamique et innovante, sous l’aiguillon de la concurrence.

Où en est-on aujourd’hui ? Malgré les progrès réalisés depuis 7 ans, le secteur n’a pas encore atteint des conditions de marché qui justifient la suppression de toute régulation sectorielle a priori. Si la concurrence s’est effectivement développée, elle est encore fragile, malgré des investissements importants, notamment en termes d’infrastructures alternatives.

C’est la régulation qui a permis d’introduire de la concurrence sur la plupart des services de télécommunications ; en tant qu’utilisateurs, nous lui devons la diversification des services, le choix des offres et une baisse, parfois spectaculaire, du prix de ces services.

Pour autant, France Télécom reste très largement dominant. Sur le téléphone fixe, l’opérateur historique détient encore entre 60% et 80% du marché en volume, selon le type de communications, et 90% en valeur, compte tenu des reversements qu’il reçoit de ses concurrents au titre de l’interconnexion ; ses filiales directes détiennent environ 50% du marché des mobiles et de l’Internet à haut débit. Rares sont donc les marchés pleinement concurrentiels.

Dans ces conditions, et dans la mesure où l’opérateur qui dispose d’une telle position dominante est la plupart du temps en situation de pouvoir éliminer ses concurrents, la disparition de la régulation sectorielle n’est pas à l’ordre du jour ; cela conduirait à un retour du monopole sur la plupart des marchés, c’est-à-dire prix élevés, moindre innovation et absence de choix pour le consommateur.

Au titre des nouvelles directives, il appartiendra au régulateur sectoriel d’évaluer la situation de concurrence sur chacun des marchés du secteur et d’appliquer les remèdes appropriés dans les cas où la concurrence n’est pas effective, sous le contrôle de la Commission européenne.

Parmi les remèdes qui peuvent être prescrits, il faut distinguer ceux qui s’appliquent aux marchés de gros et ceux qui s’appliquent aux marchés de détail. Les premiers ont pour objet de permettre aux opérateurs alternatifs d’accéder, dans des conditions raisonnables, au réseau de l’opérateur dominant, afin de pouvoir fournir leurs services ; les seconds consistent notamment à vérifier qu’un opérateur dominant ne profite pas de sa position pour pratiquer des tarifs anticoncurrentiels.

Ainsi, la logique des directives est bien de privilégier une action de régulation sur les marchés de gros, dès lors que celle-ci est suffisante pour permettre l’exercice de la concurrence. Le contrôle des prix de détail a vocation à n’intervenir qu’en deuxième instance. Cela ne signifie pas qu’il va disparaître du jour au lendemain, mais il devra être allégé à mesure que la concurrence progresse sur les marchés du secteur. Dans l’intervalle, il devra continuer à s’appliquer là où il se justifie, avec souplesse et efficacité ; cela suppose en particulier que le régulateur en ait les moyens, notamment qu’il ait accès aux informations nécessaires à ses analyses. La régulation des tarifs de détail n’est ni un archaïsme ni une spécificité de la régulation française ; elle existe partout en Europe.

Transposer ces dispositions, c’est donc aller vers une concurrence effective et pérenne, au bénéfice des consommateurs, et non introduire une rupture brutale dans un dispositif de régulation qui a fait ses preuves, au risque de décourager la concurrence et la croissance d’un secteur clé.

Paul CHAMPSAUR