Jean-Ludovic Silicani va quitter la présidence de l'autorité des télécoms. Ses 5 années de présidence ont été notamment marquées par l'arrivée de Free mobile.
Comment les télécoms ont-ils changé durant vos cinq ans de présidence ?
Jean-Ludovic Silicani. Tout a changé ! Nous avons achevé la construction d'un marché concurrentiel et efficace, et en passant de cinq à quatre opérateurs, tous convergents. Les prix du mobile étaient supérieurs de 25% au reste des pays européens, ils ont chuté de 40%. Cette baisse des prix a bénéficié aux consommateurs mais aussi aux entreprises. Ces dernières ont économisé 2 milliards d'euros sur trois ans, autant qu'avec le CICE.
Le lancement et l'industrialisation du très haut débit fixe et mobile ont été réussis. Plus de 80% de la population est couverte en 4G et 45% des foyers sont éligibles au très haut débit fixe, notamment à la fibre.
Aujourd'hui, ce n'est pas le financement qui manque, mais des soudeurs ou des entreprises pour réaliser des tranchées.
Aucun regret sur les conditions d'arrivée de Free mobile, qui a soulevé beaucoup de débats ?
A l'été 2009, il y avait plusieurs candidats potentiels : Bolloré, Roux de Bézieux, TDF… Mais il n'y a eu qu'un dossier au final, ce qui prouve que les conditions ne devaient pas être si intéressantes que cela…
Et dire que l'ARCEP aurait dû réaliser une étude d'impact, c'est méconnaître le fait que ce genre de choix revient au gouvernement de manière régalienne.
Certains craignent une baisse de la capacité des opérateurs à investir, pas vous ?
L'investissement s'est maintenu à un très haut niveau. Il pourra être financé grâce à la baisse des coûts, bien engagée, et à la hausse des revenus, avec la montée en gamme sur la 4G.
La fusion CSA-ARCEP, régulièrement évoquée, n'est-elle pas une bonne idée pour réaliser des économies dans un contexte de restriction de la dépense publique ?
La fusion n'est pas forcément la façon la meilleure de faire des économies. Les coûts de gestion sont entropiques : les petites structures ont de faibles coûts de gestion. D'ailleurs, la méga fusion décidée par Tony Blair entre les autorités équivalentes en Grande-Bretagne a abouti à un surcoût de 100 millions de livres, notamment du fait de l'alignement par le haut des salaires les plus élevés. Une fusion mal conçue peut être pire. Et avec le CSA, nous ne faisons pas du tout le même métier.
Peut-être vaut-il mieux imaginer une ARCEP européenne ?
Cela signifierait surtout créer un régulateur lointain, éloigné des pouvoirs publics nationaux, moins en prise avec la réalité, et plus sensible aux pressions des lobbys…
Faut-il donc renoncer à une Europe des télécoms ?
Dans une économie de marché, les regroupements entre opérateurs sont décidés par les opérateurs eux-mêmes… Orange vient de d'ailleurs de décider de vendre sa filiale britannique EE. Et la constitution de méga groupes n'est pas forcément la panacée : aux Etats-Unis, le passage de dix à quatre opérateurs a entraîné la disparition de 600 000 emplois.
Mais l'Europe doit évoluer. La DG Concurrence devrait en particulier avoir une vision plus souple des conditions des rapprochements dans les télécoms, comme elle semble le faire avec les acteurs de l'internet.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Diebold