La Tribune. A l'aune de ce qui se passe depuis quelques mois, diriez-vous encore, comme il y un an, que les "fondamentaux de l'économie des télécommunications sont largement positifs " ?
Jean-Michel Hubert. Ces fondamentaux restent positifs, si l'on se tient au périmètre qu'ils recouvraient. Sur l'année 2001, la croissance du marché a atteint 10,6%, ce qui reste un peu supérieur à la moyenne européenne, sachant que cette croissance a été particulièrement soutenue dans la téléphonie mobile (+25%) et dans l'Internet (le trafic ayant plus que doublé). N’oublions-pas aussi cet autre " fondamental " : la baisse des tarifs intermédiaires ou de détail, naturellement favorable au consommateur, donc à la croissance du trafic et de l’ensemble du marché.
Mais je relève deux sujets de préoccupation : l'endettement d'un certain nombre d'opérateurs, et la réduction des investissements qui en a résulté. Une remise à niveau est un problème crucial pour l'activité des équipementiers, et l'équilibre général du marché. C’est aussi un enjeu majeur pour le développement du haut débit et le maintien de la qualité des réseaux.
La situation d'endettement de France Télécom a-t-elle rendu votre action plus délicate ?
Jean-Michel Hubert : Le régulateur se doit d’être attentif à la situation de toutes les entreprises : France Télécom et aussi les autres. L'endettement de l'opérateur historique, par sa nature et son niveau, appelle des réponses qui ne sauraient venir d'une simple inflexion au niveau de l'exploitation. Je ne pense pas qu'une modification des choix essentiels de la régulation serait la réponse adéquate tant pour France Télécom que pour le marché.
Comment expliquer qu'aucun poids lourd n'ait réussi à émerger face à France Télécom alors que l'ouverture à la concurrence est effective depuis quatre ans ?
Jean-Michel Hubert : Ce n'est pas une situation spécifique à la France. Début 1998, l'on a assisté à l'apparition d'une multiplicité de nouveaux opérateurs. Cette dispersion a trouvé ses limites. Il y a eu une prise de conscience que, pour s'engager sur ce secteur, il est nécessaire d'avoir une forte compétence technologique et de consentir des investissements importants. Il y a eu aussi le retournement du marché financier. Dés lors, partout en Europe, on sort de ce foisonnement pour rentrer dans un processus de consolidation.
En France, SFR et Bouygues Télécom détiennent un peu plus de la moitié du marché mobile et certains opérateurs, notamment les groupes Cegetel et LDCom, conduisent une politique de restructuration et de renforcement.
N'aurait-il pas fallu en 1996 scinder France Télécom afin de séparer le réseau de l'exploitation et permettre un meilleur développement de la concurrence ?
Jean-Michel Hubert : Séparer les activités "réseau" des activités "services" est une solution qui a notamment été retenue dans les chemins de fer, mais dont on ne peut pas encore mesurer l’efficacité. Elle a été évoquée pour ce qui est des télécoms en 1995 mais n'a pas été retenue. On ne saurait dire que la séparation établie entre le propriétaire et l'exploitant du réseau dans le secteur du câble soit un exemple probant.
Engager une rupture industrielle entre les deux niveaux du réseau et des services serait un processus long et complexe, alors que l'objectif poursuivi - consolider une concurrence effective et loyale – est une préoccupation aussi immédiate que permanente du régulateur
Serait ce seulement réalisable ?
Jean-Michel Hubert : La pérennité des conditions d’une concurrence non discriminatoire dépend davantage d’un contrôle ex ante s’appuyant sur une séparation comptable adaptée, que de la structure d’activités de l’opérateur historique. Et d’ailleurs, un tel dispositif ne conduirait-il pas à la reconstitution d'un quasi-monopole sur le réseau, fragilisant les initiatives concurrentielles alternatives ?
Qu'apporteront les nouvelles directives européennes une fois transposées en droit français ?
Jean-Michel Hubert : Les nouvelles directives sont porteuses d’un enjeu considérable. Elles confirment la volonté de construire un grand marché européen, selon des règles harmonisées et simplifiées. L’UMTS est lourd d’enseignements et de conséquences ; il faut en tirer les leçons. Voilà pourquoi certaines dispositions nouvelles précisent les sujets sur lesquels la Commission européenne aura un droit de regard, la définition des marchés pertinents notamment. C’est aussi pour cela que les autorités nationales de régulation verront leur rôle renforcé. A cet égard, le groupe des régulateurs indépendants, dont j’ai présidé la récente réunion à Paris, a réaffirmé sa volonté de contribuer à une coordination encore plus étroite dans la mise en œuvre des directives.
Un autre élément fort est la transformation du système d'autorisation spécifique en un système d'autorisation générale, même si des décisions particulières demeurent en ce qui concerne l'attribution de ressources rares.
Le changement le plus significatif est la traduction dans les textes de la convergence entre tous les réseaux. Autrement dit, l'harmonisation des réglementations et des régulations pour l'ensemble des réseaux acheminant les communications électroniques – qu’elles débouchent sur des services de télécommunications ou audiovisuels.
Quelles vont être les conséquences juridiques et économiques de cette transposition, qui doit avoir lieu d'ici la fin juillet 2003 ?
Jean-Michel Hubert : Ces directives vont appeler une adaptation de la loi de réglementation des télécommunications de 1996, ce qui permettra de tenir compte de l’expérience des dernières années et des situations nouvelles apparues depuis lors : le mot Internet ne figure pas dans la loi de 1996 ! Mais la transposition concernera sans doute également certaines dispositions de la loi de 1986 sur l’audiovisuel.
A cet égard, il me paraît nécessaire que des ressources qui, de plus en plus, sont susceptibles de distribuer les mêmes services, soient régies par les mêmes principes. Ceci devrait par exemple conduire à harmoniser les régimes de redevances applicables aux fréquences utilisées pour les télécommunications et pour l'audiovisuel : tout service a un coût et tout coût doit être honoré par un prix.
Propos recueillis par Sophie Sanchez et Olivier Nicolas