Gabrielle Gauthey, membre du collège de l'Autorité de Régulation des Télécommunications, fait le point sur les questions qui agitent les collectivités.
La Lettre - Quand l’instabilité juridique du secteur des télécoms sera-t-elle réglée ?
Gabrielle Gauthey - On ne peut pas à proprement parler d' " instabilité juridique " . Il est vrai que les directives européennes auraient du être transposées le 25 juillet dernier. La ministre de l'Industrie a publié le 17 juillet des lignes directrices concernant le régime juridique applicable en attendant la loi de transposition, dite loi sur les " communications électroniques " ; en particulier, l'attribution formelle de licences aux opérateurs disparaît au profit d'une simple déclaration. Dans les mois prochains, plusieurs lois concernant le secteur des télécommunications seront discutées : outre la loi sur les communications électronique qui introduira un nouveau mode de régulation et modifiera un peu le périmètre actuel de la régulation, notamment en y incluant les activités de diffusion audiovisuelle, le Parlement prépare l'adoption de la loi sur l'économie numérique (LEN) qui redéfinit le rôle des collectivités ainsi que la loi sur le service public qui va statuer sur le service universel et le statut des fonctionnaires de France Télécom.
Que pensez-vous des apports sénatoriaux sur l'article L 1425-1 ?
Certaines modifications sont positives comme la transmission des projets des collectivités à l'ART pour information et non plus pour avis : cette rédaction était gênante pour l'Autorité qui se serait retrouvée en situation de juge et partie. Autre amélioration, la prise en compte des projets lancés sous l'article L 1511-6 qui resteront valables dans le cadre de la nouvelle rédaction du L 1425-1. Les collectivités évitent de perdre une année pour leurs projets. D'autres modifications semblent cependant plus équivoques...La version du Sénat encadre un peu trop l'activité d'opérateur d'opérateurs en réintroduisant la notion de constat de carence, source d'insécurité juridique et de contentieux ultérieurs. L'ART est favorable à ce que les collectivités puissent intervenir, notamment dans les territoires les plus fragiles, et exploiter techniquement des réseaux de télécommunications, de préférence en déléguant cette activité à un opérateur dont c'est le métier, en vue de fournir des services de gros à des opérateurs privés chargés de fournir des prestations directes aux entreprises et aux particuliers. En outre, un texte trop contraignant qui pousserait à la dichotomie établissement-exploitation conduirait les collectivités à dissocier ces deux activités et présenterait le risque d'avoir une approche trop "génie civil" des projets d'infrastructures au détriment des fonctionnalités télécoms.
Quelle est la position de l'ART concernant le câble ?
L'ART ne peut être que favorable à davantage de concurrence dans la boucle locale. Dans certains pays, notamment aux USA et en Grande-Bretagne, la part de marché du câble dans l'accès au haut débit est très significative (elle peut atteindre 2/3). A cet égard, elle se félicite des dispositions de la future loi sur les communications électroniques qui, prenant acte de la convergence, allège les contraintes spécifiques du câble en supprimant la limitation supérieure de desserte de 8 millions d'habitants ainsi que la déclaration du plan de services commune par commune. Elle aurait toutefois souhaité que les obligations de " must-carry " des cablo-opérateurs soient les mêmes quels que soit les réseaux de diffusion. Nous ne pouvons que souhaiter que le câble puisse se restructurer soit régionalement, soit nationalement.
Existe-t-il un bon modèle d'intervention pour les collectivités ?
L'expérience des pays étrangers nous montre que l'action des collectivités peut être déterminante. Toutefois, leurs modalités d'intervention sont diverses, et plus ou moins favorables à l'instauration d'une concurrence durable. Ainsi, isoler la commande publique du besoin des entreprises peut " assécher " un territoire, acheter par appel d'offre sur performance des services de télécommunication destinés aux entreprises, est certes plus rapide et moins impliquant pour une collectivité; toutefois, outre le fait que la légalité d'une telle procédure est loin d'être établie, cela conduit souvent à subventionner des opérateurs sans leur imposer d'ouverture de leurs réseaux. Il y a alors un risque de monopole local. Aussi l'ART a pris la décision de publier une série de lignes directrices, nourries du dialogue qu'elle a avec les collectivités engagées dans des projets, pour leur donner quelques repères afin de concilier au mieux action publique et concurrence dans un domaine nouveau pour elles. Ces lignes directrices seront disponibles courant décembre.
Propos recueillis par Philippe Parmantier et Luc Derrian