Prise de parole - Interview

« Neuf sites pilotes pour la 5G en 2018-2019 » - Une interview de Sébastien Soriano, président de l'Arcep, pour l'Usine Nouvelle (18 janvier 2018)

Le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), Sébastien Soriano, lance un appel à candidatures, notamment auprès des industriels, pour expérimenter la 5G.

Les Etats-Unis mettent fin à la neutralité d'internet. Faut-il craindre une telle mesure en Europe ?

Non. Les autorités politiques européennes ont pris en 2015 une position forte en adoptant un règlement, c'est-à-dire une loi européenne, qui pose la neutralité du Net. Et suite à la décision de la FCC, le régulateur des télécoms aux Etats-Unis, ces mêmes autorités ont rappelé leur attachement à la neutralité du Net. Quoi qu'il arrive aux Etats-Unis, celle-ci reste protégée en Europe.

La Corée lance la 5G début février à l'occasion des JO d'hiver. A quand la 5G en France ?

Dès cette année ! Nous comptons lancer des pilotes grandeur nature, y compris sur les aspects de commercialisation. Nous avons identifié une dizaine de métropoles sur lesquelles nous avons immédiatement des fréquences disponibles dans la bande des 3,5 GHz. Nous nous adressons à tous les acteurs : les opérateur mobiles mais aussi les acteurs d'infrastructures d'énergie, routière, portuaire, ferroviaire… et tous les industriels. Ils peuvent tous candidater.

Pourquoi passer par des pilotes plutôt que d'aller directement vers la commercialisation ?

Nous pensons que la 5G va être rapidement mature sur le plan technologique. Mais qu'elle va chercher encore son marché et son modèle économique pendant un certain temps. La 5G n'est pas la simple prolongation de la 4G. Les télécoms sont aujourd'hui d'abord un marché BtoC. Avec la 5G, on entre dans un modèle d'internet industriel BtoB. Ce marché est encore incertain. Il mérite d'être testé pour savoir ce que les industriels pourront tirer de la plus-value technologique de la 5G. Outre l'augmentation des débits, la 5G offre des temps de latence 10 à 100 fois plus faibles que la 4G qui permettront des usages industriels inimaginables aujourd'hui en termes de réactivité. Ces usages vont nous projeter dans l'univers de la connectivité du 21e siècle. La 5G offre enfin la capacité de couvrir une variété d'objets sans commune mesure avec ce qui se fait aujourd'hui.

N'a-t-on pas de retour des expérimentations à l'étranger ?

La 5G est encore en cours de normalisation. Nous voulons que la France soit une terre pionnière pour tester le modèle économique. Il y a derrière cela des enjeux importants de compétitivité, un sujet sur lequel le gouvernement est fortement mobilisé à travers la French Fab. Nous voulons contribuer à la politique de compétitivité de notre pays en faisant de la France un site pionnier de pilotes sans se lancer de manière précipitée dans une grande enchère des fréquences.

Ce test va durer combien de temps et donnera-t-il la priorité d'attribution des licences commerciales aux consortiums qui les auront menés ?

Les pilotes ne préjugent de rien. Ils donnent le droit d'utilisation des fréquences allouées pendant 18 à 24 mois en 2018 et 2019. C'est une échelle de temps suffisante pour avoir un premier retour d'expérience sur les usages et les business modèles, avant d'envisager une généralisation à partir de 2020. Pour chaque site pilote, on parle de quelques dizaines de pylônes représentant un investissement modeste de quelques millions d'euros. C'est une échelle raisonnable qui permet de donner une idée de qui est prêt à payer pour la 5G. Nous voulons aussi savoir comment la 5G va rebattre les cartes dans les télécoms. Jusqu'ici, le mobile a favorisé l'émergence de quatre opérateurs télécoms. Avec la 5G, des acteurs d'infrastructures industrielles pourraient opérer eux-mêmes leurs réseaux. Comme le font aujourd'hui la RATP ou Air France dans la radio professionnelle. On leur donne des fréquences, ils installent leurs émetteurs et gèrent leurs propres réseaux.

Quelles sont les métropoles sélectionnées pour ces pilotes ?

Nous avons identifié neuf métropoles éligibles: Lyon, Bordeaux, Lille, Douai, Montpellier, Nantes, Le Havre, Saint Etienne et Grenoble. Elles disposent toutes de sites industriels, scientifiques, portuaires, aéroportuaires, etc. L'appel à manifestation est ouvert. Tout le monde peut candidater, de préférence en consortium. Le choix des villes est dicté, non pas par les usages à tester, mais par la disponibilité des fréquences.

Comment se positionnent des technologies alternatives d'Internet des objets comme LoRa et SigFox par rapport à ces pilotes ?

La vraie 5G va mettre un certain temps à arriver. Son déploiement massif en France n'est pas crédible avant 5 ans. Les acteurs industriels, qui voudraient une couverture étendue du territoire dans une optique de l'Internet des objets, ne devraient pas compter sur la 5G à court terme. Un espace existe pour les technologies alternatives de l'Internet des objets, celles des réseaux étendus à faible consommation dites LPWAN comme SigFox et LoRa. Elles sont intéressantes et présentent toutes les garanties de sécurité et d'intégrité. La France bénéficie d'un foisonnement technologique et d'un écosystème exceptionnels dans ce domaine. Notre message aux industriels : n'attendez pas l'arrivée de la 5G pour vous lancer dans l'Internet des objets, vous avez des technologies matures et efficaces pour le faire, la 5G viendra ensuite répondre à des besoins différents de capacité et de latence.

Avec SigFox, LoRa et bientôt la 5G, l'Internet des objets ne risque-t-il pas devenir un Far Ouest technologique ?

Sur l'IoT, nous avons pris une position claire en 2016, en concertation avec notamment la Cnil, l'Anssi, l'ANFR et la DGE. Notre conclusion : il ne faut pas chercher à faire une cathédrale mais accepter de vivre avec ce foisonnement. C'est à travers la couche applicative, au niveau de l'exploitation des données et des plateformes de cloud, que se gérera l'interopérabilité, et non au niveau de la couche physique des réseaux. C'est pourquoi nous disons aux industriels de faire confiance aux opérateurs et de se concentrer sur leurs applications. C'est le cœur du big data et de l'intelligence artificielle dans leurs métiers de demain.

La France et l'Europe ont perdu leur avance dans les mobiles. Comment la retrouver?

L'Europe est en avance sur les technos LPWAN. Ces technologies, portées par des acteurs français et européens, proviennent des écosystèmes télécoms de Lannion, Grenoble et ailleurs. Un des enjeux pour la France est de savoir comment les accompagner à l'international pour qu'elles se développent vite. Sur la 5G, il y a une volonté affichée de ne pas être en retard. D'où la consultation lancé par le gouvernement et d'où les pilotes que nous lançons. La question de la 5G est prise à bras le corps non seulement par la Commission européenne, mais aussi par le BEREC, l'organe des régulateurs européens des télécoms. Il fait de la 5G une priorité.

> L'interview sur le site de l'Usine Nouvelle