A l’occasion de la présentation, mercredi 6 juillet, du bilan annuel de l’ARCEP, Jean-Ludovic Silicani annonce la mise en place d’un indice mesurant l’évolution des prix des services mobiles en France. Entretien.
Dans six mois, l’Arcep fêtera ses 15 ans. Etes-vous satisfait du niveau de concurrence dans les télécoms aujourd’hui ?
Globalement, oui. Sur les services fixes, elle s’est imposée plus rapidement que dans sur les services mobiles, grâce au dégroupage qui a obligé France Télécom à ouvrir son réseau à ses concurrents ainsi que par l’arrivée de l’Internet à haut débit (ADSL). Aujourd’hui, la France bénéficie d’un des taux les plus élevés d’accès au haut débit et des offres triple play (Internet, télévision et téléphone) dont les tarifs sont les plus bas des pays développés. Elles sont par exemple trois fois moins chères qu’aux Etats-Unis. Dans les services mobiles, nous avons estimé, en 2009, que le niveau de la concurrence était insuffisant. Et qu’il était donc utile d’avoir un quatrième opérateur.
L’arrivée de Free début 2012 sur ce marché semble en effet inquiéter les opérateurs…
Je ne sais pas s’ils sont inquiets. En tout cas, l’annonce de l’arrivée d’un 4e opérateur a immédiatement animé le marché. Chaque semaine, de nouvelles offres sont lancées. Depuis plusieurs mois, l’Arcep souhaitait des offres sans engagement de durée et sans subvention du téléphone. C’est désormais choses faites. Et c’est une bonne chose pour les clients qui verront baisser leur facture. A ce titre, l’Arcep a décidé de lancer un indice annuel qui mesure les prix des services mobiles.
Quels en sont les premiers résultats ?
Entre 2006 et 2009, la facture des services mobiles a baissé en moyenne de 2,8% par an, avec des disparités. En effet, ce sont les gros utilisateurs de forfaits qui en ont le plus profité. Depuis 2006, leur facture a baissé chaque année de 9,1% en moyenne. Dans le même temps, les petits consommateurs détenteurs de forfaits ont vu les prix de leurs services mobiles diminuer de seulement 2,7%. Les moins bien lotis sont les consommateurs de cartes prépayées, souvent les moins aisés. Pour ceux-là, la facture a augmenté de 1%.
Les opérateurs de téléphonie mobile sont souvent critiqués au motif qu’ils sont assis sur une rente. Partagez-vous ce point de vue ?
Leurs marges brutes sont en effet considérables, de l’ordre de 35% du chiffre d’affaires. C’est le secteur où elles sont le plus élevées. Elles pourraient être donc considérées comme une rente si elles s’accumulaient et si elles étaient placées en obligation ! Ce n’est pas le cas. Les opérateurs la réinvestissent chaque année soit pour construire et entretenir leurs réseaux, soit pour se diversifier.
Les abonnements à la fibre optique ne décollent pas. N’est-ce pas un problème de déploiement ?
Pas du tout. En fait, le haut débit est de tellement bonne qualité et les prix sont tellement bas que les abonnés ne voient pas encore ce que la fibre optique pourrait leur apporter de plus. C’est ce qui explique pourquoi il n’y a que 150000 abonnés à la fibre optique sur un million de foyers "fibrés" et trois millions de foyers "adressables" (c’est-à-dire où la fibre optique arrive jusqu’au pied de l’immeuble), soit 60% des foyers des zones très denses. Les opérateurs attendent d’avoir couvert une zone de chalandise suffisante pour lancer des campagnes commerciales. Elles ont commencé. Il est vraisemblable que le nombre d’abonnés décolle en 2012.
Début 2011, l’Arcep a été fragilisée lorsque le gouvernement a souhaité nommé un commissaire chargé de donner son avis avant toute grande décision de l’autorité. Comment avez-vous vécu cette remise en cause de l’indépendance de cette institution ?
Cela n’était pas le principal problème… Dès le début, nous avons pointé, comme la Commission européenne, le fait qu’il y aurait un conflit d’intérêt majeur pour le gouvernement. Même s’il ne participait pas aux délibérations de l’Arcep, ce commissaire aurait assisté à nos séances et aurait eu accès à des informations confidentielles concernant les opérateurs. Or le gouvernement est actionnaire de France Télécom. En ne donnant pas suite à ce projet, le Parlement a protégé le Gouvernement.
Le trafic et l’usage de la vidéo sur Internet menacent les réseaux d’embouteillage. Faut-il remettre en question ce que l’on appelle la neutralité du net conduisant les opérateurs à privilégier la diffusion sur Internet de certains contenus ?
Nous avons été le premier régulateur en Europe à nous préoccuper de ce sujet, dès l’automne 2009. Aujourd’hui, c’est un sujet dont tout le monde parle et c’est tant mieux. En fait, il faut trouver un modèle "sociéto-économique" qui permette l’investissement et donc le développement d’internet tout en respectant un certain nombre de principes qui sont à la base de l’Internet: liberté et non discrimination. Les entreprises de télécom et du web, au nom de la liberté économique, et certains internautes, au nom de la liberté d’expression, ont longtemps estimé que les pouvoirs publics ne devaient pas s’occuper d’internet. Le débat que nous avons initié en France a permis de rapprocher les points de vue et de montrer que les pouvoirs publics ne pouvaient rester, aux niveaux national et mondial, de simples spectateurs de ce bien stratégique d’intérêt général qu’est internet.
Un nouvel ensemble de dispositions votées par le Parlement européen sera prochainement transposé par ordonnance. Qu’est-ce que cela va changer pour l’Arcep ?
Nous disposerons dès l’automne d’un nouveau pouvoir : celui de régler des différends non seulement entre opérateurs de télécommunications mais aussi entre ces opérateurs et opérateurs de services et de contenus. Exemple : France Télécom pourrait nous saisir parce qu’il n’arrive pas à s’entendre avec Yahoo! sur les conditions techniques et tarifaires de l’accès des contenus aux réseaux. Et réciproquement. A plus long terme, une meilleure connaissance du marché nous permettra de voir s’il fonctionne bien… Et s’il a, ou non, besoin d’être régulé, soit par nous, soit par l’Autorité de la concurrence.
Propos recueillis par Nathalie Brafmann et Guy Dutheil