Prise de parole - Interview

" L'UMTS existe, je l'ai rencontré à Tokyo ! " : une interview de Dominique Roux, membre du Collège de l'ART pour Le Figaro Economie - 6 juillet 2004

Vous rentrez du Japon. Ce pays a lancé la troisième génération de téléphone mobile bien avant l'Europe. Les consommateurs sont-ils enfin satisfaits ?

Je suis vraiment de retour de " Mobiland ". Cela n'a rien à voir avec ce que j'avais vu il y a trois ans, lors de mon précédent voyage. A l'époque, rien ne fonctionnait, les batteries chauffaient, les usines étaient vides... Aujourd'hui, la troisième génération existe vraiment. Je l'ai rencontrée dans les rues de Tokyo !
J'ai même vu la quatrième génération de mobile dans les laboratoires. Nul doute que, d'ici à trois ans, les Japonais l'utiliseront massivement. Sur 88 millions de clients dans l'archipel, 80 % sont abonnés à l'Internet mobile, 21 % possèdent un terminal de troisième génération et 60 % un portable avec appareil photo. Le Japon, qui sort d'une crise économique sans précédent, a le vent en poupe. Il a tiré les leçons de son échec sur le GSM le mobile actuel et prend sa revanche : " Japan is back " !

Les Japonais utilisent-ils vraiment l'UMTS ?

Les Japonais ont le choix entre deux normes concurrentes. D'une part, le W-CDMA, qui est d'inspiration européenne et ressemble à l'UMTS, il est commercialisé par NTT DoCoMo et Vodafone. D'autre part, le CDMA 2000, d'inspiration américaine et grand rival de l'UMTS, proposé par KDDI. Cet opérateur compte 14 millions de clients en troisième génération. NTT DoCoMo en comptait, lui, 1 million il y a dix mois, 4 millions actuellement et en annonce 10 millions d'ici à la fin de l'année. La croissance est considérable ! C'est plus difficile pour Vodafone, qui arrive juste sur le marché, et est en troisième position.

L'Europe a-t-elle perdu la bataille de la troisième génération ?

Le Japon a décidé de former avec la Chine et la Corée un axe " Asie du Nord ". Ils veulent garder leur avance et lancer la quatrième génération en 2007-2010. L'Europe est pour le moment exclue de ce plan. C'est pourtant elle qui avait gagné la bataille de la deuxième génération (le GSM). L'Europe doit donc se réveiller ! Sinon, les Asiatiques, qui prennent déjà d'assaut le marché des terminaux, s'imposeront aussi sur celui des services. NEC, Panasonic, Sharp, Toshiba, Sony arrivent en tête des ventes au Japon.
Il n'y a pas un seul européen dans cette liste... Les japonais se livrent à une vraie course à l'innovation. Au début de l'année prochaine, ils vont lancer une nouvelle technologie mobile sur l'UMTS le HSDPA , qui offre 2 à 3 mégabits de débit garantis et 14 mégabits théoriques. Il faut que les européens soient en mesure d'y répondre !

Comment reprendre l'initiative ?

Il faut supprimer tout prélèvement excessif. Et aussi favoriser l'innovation et la recherche, plutôt que la baisse des prix.
Sinon, dans quelques années, tous les terminaux et les services mobiles viendront d'Asie. Si l'on détruit de la valeur en laissant entrer sur le marché des opérateurs mobile virtuels (MVNO) dont le seul but est de casser les prix, les acteurs traditionnels du marché ne pourront pas réaliser les investissements nécessaires à la troisième génération. Et l'Europe sera définitivement à la traîne. Je rappelle qu'au Japon les licences de troisième génération n'ont rien coûté aux opérateurs, contre 120 milliards d'euros pour les entreprises européennes !

Quels sont les industriels européens qui tirent leur épingle du jeu ?

Deux européens s'en sortent bien : l'allemand Siemens, car il a noué un partenariat avec le géant NEC et, surtout, le français Alcatel qui s'est associé avec Fujitsu au sein de la société Evolium, puis a créé Shangai Bell. Certes, Ericsson s'est associé avec Sony, mais c'est un acteur de l'électronique grand public et de l'audiovisuel, pas des télécoms.

Concrètement, que font les Japonais avec la troisième génération ?

Les Japonais parlent rarement dans leur téléphone mobile en public. Avec la troisième génération, la voix devient presque accessoire. Le téléphone sert à prendre des photos ou des petits films et à les envoyer à ses proches. Quand c'est aussi simple et d'aussi bonne qualité, le consommateur devient vite " accro ". Les Japonais ne s'envoient jamais de SMS. Et pour cause : ils s'envoient directement des mails. Le téléphone mobile sert aussi à commander toutes les machines domestiques. Il permet d'ouvrir la porte du garage, de mettre en route le système de surveillance de la maison, etc.
Enfin, le portable devient une sorte de porte-monnaie électronique pour effectuer des micro-paiements. Bref, il tend à remplacer toutes les cartes que l'on transporte avec soi. Et la sécurité est totale : les multiples codes secrets à mémoriser sont remplacés par une simple empreinte digitale !

Existe-t-il encore des problèmes techniques ?

La troisième génération fonctionne mieux à l'extérieur que dans les habitations. Quand on est à l'intérieur, il vaut mieux ne pas trop s'écarter des fenêtres... Pour résoudre ce problème, l'opérateur DoCoMo a installé dans son immeuble un relais au sous-sol et une antenne à chaque étage.

En France, des associations de riverains se plaignent déjà de la multiplication des antennes sur les toits, alors, de là à en mettre à tous les étages...

Curieusement, il n'y pas la moindre protestation écologique au Japon à ce sujet. Leurs thèmes de préoccupation sont totalement différents des nôtres. Ils touchent moins à la santé qu'à l'éducation. Leur grand souci actuellement, c'est de conserver aux parents l'autorité sur leurs enfants devenus de plus en plus indépendants grâce au téléphone mobile...


propos recueillis par Marie-Cécile Renault