Le président de l'Arcep veut que les opérateurs télécoms investissent plus que les 8 milliards qu’ils dépensent déjà par an, dans leurs réseaux.
Dans un entretien aux « Echos », Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, le régulateur des télécoms, déplore le retard de la France dans la 4G et l'Internet fixe à très haut débit. Il appelle les opérateurs télécoms à investir plus qu'ils ne le font aujourd'hui dans leurs réseaux. Il se prononce par ailleurs pour une régulation d'Orange dans la fibre , où l'opérateur pèse 75 % de parts de marché.
Quels sont vos voeux pour 2017 ?
J'aimerais que cette année soit l'occasion d'un nouvel élan pour le secteur, plutôt que celle de la stagnation ou du surplace. Aujourd'hui, la nécessité absolue, c'est de renouer avec les investissements. J'ai bien conscience que les opérateurs font déjà beaucoup, mais on est en train de changer d'échelle. La connectivité est devenue essentielle. Or, en termes de couverture du territoire, on n'est pas au niveau : le classement de la France est désastreux dans le très haut débit et en 4G. Il faut mettre les bouchées doubles !
Les télécoms investissent déjà 8 milliard par an, il faudrait faire combien selon vous ?
En juin, j'ai fixé un objectif : que les opérateurs construisent 10.000 nouveaux sites 4G dans les trois ans. Aujourd'hui, on en a 65.000. Ce serait une première accélération. Est-ce que ce sera suffisant ? Il faut d'abord mieux savoir de quoi l'on parle. La publication par les opérateurs de leurs cartes de couverture mobile du territoire va offrir des données comparables et permettre de sortir du dialogue de sourds entre opérateurs d'un côté et élus et consommateurs, de l'autre. J'entends beaucoup d'opérateurs parler de convergence avec les médias, mais l'investissement dans les réseaux doit rester la priorité.
Donc quand Orange se montre potentiellement intéressé pour racheter Canal+, cela ne vous plaît pas ?
Je ne veux pas dicter leur stratégie aux opérateurs. Si Orange se développe dans la banque, et SFR dans les médias, c'est leur droit. Mais il ne faut pas se tromper de boussole. La 5G, par exemple, il faut la préparer dès aujourd'hui. Ma crainte, c'est que par effet de mode, les opérateurs télécoms soient moins focalisés sur les réseaux.
Si Orange et Bouygues Telecom avaient trouvé un accord pour fusionner en 2016, on serait passé de quatre à trois opérateurs et ils auraient eu plus de moyens pour investir...
Peut-être, mais ils auraient surtout eu bien moins d'incitation à le faire que dans un système à quatre ! La concurrence oblige aussi à investir. Aujourd'hui, le rôle du régulateur que nous sommes, c'est d'aider à relancer les investissements dans un monde à quatre opérateurs télécoms, en faisant que la concurrence ne se fasse pas que sur les prix.
C'est Orange qui investit le plus dans les réseaux. Or, les nouvelles obligations que vous lui imposez pourraient le décourager...
C'est tout le contraire : la concurrence est un puissant stimulant pour un opérateur historique. Il ne s'agit pas de mettre des bâtons dans les roues d'Orange, mais d'attaquer les derniers bastions de son monopole , que sont le marché entreprise et la boucle locale fixe. J'assume un renforcement ciblé de la régulation d'Orange qui est, il est vrai, plus important que ce que nous avions imaginé il y a quelques mois. Notre logique n'est pas toujours plus de régulation, mais de déplacer la régulation sur les sujets qui le méritent.
Réguler Orange dans la fibre n'est-ce pas donner raison à ses concurrents qui l'accusent de vouloir reconstruire un monopole ?
Aujourd'hui, Orange est en avance car il a déployé la fibre plus vite dans les zones denses. Inversement, sur le reste du territoire, il n'a pas forcément intérêt à faire migrer ses abonnés ADSL vers la fibre. Au total, il y a un risque qu'Orange n'impose son rythme . Or on ne peut pas se permettre qu'un opérateur décide pour l'ensemble du marché. L'Arcep prône une accélération car, au rythme actuel, il faudra vingt ans pour que tous les abonnés ADSL migrent vers la fibre ! Pour accélérer, il faut que tous les opérateurs montent à bord. C'est pourquoi dans les zones denses, là où les opérateurs se plaignent d'avoir du mal à rentrer dans les immeubles, Orange va avoir l'obligation de les aider à se raccorder.
Vous allez donc mettre à exécution votre projet contesté d'augmenter le prix du réseau de cuivre qu'Orange loue à ses concurrents afin d'accélérer la bascule vers la fibre ...
On continue à penser que cet instrument est intéressant, mais on a décidé de ne pas l'utiliser aujourd'hui. Bouygues Télécom, Free et SFR m'ont indiqué qu'ils allaient consacrer des investissements importants à la fibre. Si on a une accélération sans avoir à jouer sur le prix du cuivre, tant mieux. Je les invite à clarifier publiquement leurs intentions. Si les investissements ne sont pas au rendez-vous ou la migration ne se fait pas assez vite, nous pourrions passer à l'acte et mettre l'arme à exécution.
Et dans les zones moins denses, faut-il revenir aussi sur les accords passés de co-financement entre Orange et SFR ?
Les deux opérateurs se sont partagés la couverture du territoire lors d' un accord signé en 2011 . La répartition est environ de 80% pour Orange et de 20% pour SFR. À l'époque, SFR n'était pas spécialement motivé pour faire plus. Mais l'actionnaire, les ambitions et la stratégie de l'opérateur ont changé. Ils veulent aller plus vite. Ce serait kafkaïen de les bloquer ! J'invite les acteurs à aller vers un partage plus équilibré, en accord avec l'Autorité de la concurrence et le gouvernement, pour permettre une accélération du déploiement de la fibre.
Dans les zones peu denses, où le déploiement de la fibre est parfois compliqué, faut-il songer à d'autres initiatives ?
Le plan France Très haut débit permet de déployer efficacement la fibre dans ces territoires. Mais cela coûte parfois très cher et peut même se révéler impossible dans certaines zones au relief accidenté. On doit pouvoir proposer d'autres alternatives pour les collectivités locales que les seuls réseaux filaires. Il y a le satellite bien sûr. Mais on peut aussi utiliser la même technologie que la 4G pour faire du fixe. C'est pourquoi nous proposons de débloquer 40 MHZ de spectre dans la bande de fréquences des 3,5 GHz afin d'offrir du très haut débit avec la technologie LTE en zone rurale. Des tests concluants ont été menés l'an dernier avec certaines collectivités. Ces fréquences pourraient être accessibles dès l'été 2017.
Comment accélérer le déploiement du très haut débit dans les entreprises, moins bien loties que le grand public ?
Le marché entreprises est le maillon faible de la régulation. Nous devons donc nous y attaquer sérieusement. Car la connectivité des entreprises est cruciale pour leur numérisation et donc pour l'économie de la France. Il faut profiter du déploiement en cours des réseaux FTTH pour développer un marché de masse de la fibre pour les TPE et les PME. Aujourd'hui, il existe des offres d'infrastructures sur mesure, qui répondent bien aux besoins des grands groupes. Mais elles sont trop chères et parfois trop complexes. La plupart des entreprises n'ont pas besoin d'infrastructures dédiées, mais simplement d'un service de qualité et accessible. On doit pouvoir diviser par cinq par rapport au prix des offres actuelles. Les patrons de PME ont parfois l'impression d'être pris pour des imbéciles. Même si cela prendra du temps, il faut sortir de l'impasse.
Le déficit de concurrence sur ce marché n'est-il pas la source de ces problèmes ?
Les services aux entreprises pèsent environ un tiers du marché des télécoms en France. Il faut évidemment plus de concurrence. Aujourd'hui, Orange contrôle autour de 60% de ce marché. Il faut d'abord renforcer le numéro deux, SFR. Mais deux, ce n'est pas assez non plus, car il existe aussi une multitude de petits opérateurs spécialisés dans les télécoms pour entreprises qui peuvent apporter de l'innovation et de la créativité sur le marché. Il faut qu'ils puissent avoir davantage accès aux infrastructures des opérateurs de réseau. C'est pourquoi il faut favoriser l'émergence d'un troisième acteur d'infrastructure, qui ouvre son réseau. La stratégie de Kosc, qui vient d'arriver sur le marché, est par exemple intéressante. L'Arcep entend bien faire bouger les lignes sur ce marché essentiel.
Propos recueillis par Fabienne Schmitt et Romain Gueugneau
> L'article sur le site Les Echos
> Les orientations de l'Arcep pour inciter tous les acteurs à investir dans la fibre (communiqué de presse du 9 janvier 2017)