Prise de parole - Interview

“ Les opérateurs doivent être très clairs sur la qualité de l'expérience 5G offerte "

Laure de La Raudière, président de l'Arcep, répond aux questions du magazine online Les Numériques (16 février 2021)

Tout récemment intronisée à la tête de l'Arcep, souvent surnommée le “gendarme des télécoms”, Laure de la Raudière est revenue avec nous sur le déploiement français de la 5G. L'occasion d'établir un premier point d'étape avant sa démocratisation.

La 5G est l'un, voire le plus gros dossier qui occupera les têtes pensantes de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) en 2021. Sommes-nous dans les temps quant au déploiement des antennes ? Quels sont les premiers retours ? Que va apporter cette nouvelle génération de réseau ? Autant de questions qui taraudent l'esprit de nos concitoyens les plus technophiles et auxquelles le gendarme des télécoms aura à cœur de répondre.

Et c'est justement avec sa toute nouvelle présidente, Laure de la Raudière, que nous avons pris le temps de discuter autour de ce sujet. Nommée à la toute fin janvier 2021, l'ancienne députée a mis l'accent sur le rôle de médiateur de l'Arcep, tout en rappelant l'obligation de transparence des opérateurs quant à la qualité de leurs services.

Les Numériques – Où en est-on dans le déploiement des antennes 5G en France ?

Laure de la Raudière – On peut constater que ça avance bien. Il y a environ 1600 antennes en 3,5 GHz déjà déployées, tous opérateurs confondus, et au total plus de 10 000 sites équipés en 5G si on considère l’ensemble des fréquences utilisées en France (700 MHz, 2100 MHz, 3,5 GHz). On sent que les opérateurs sont très volontaires. Hormis dans quelques grandes villes, cela se passe bien et à une bonne allure.

Pourquoi cela prend-il autant de temps dans certaines villes, notamment les grandes métropoles ?

L’Arcep a toujours invité les opérateurs à dialoguer avec les élus locaux, et c’est ce qui se passe. Les opérateurs doivent s’insérer dans le calendrier du débat citoyen organisé par la collectivité. Il faut éviter de passer en force. Ce débat citoyen, il prend du temps : recueillir et analyser les réponses, se concerter avec les opérateurs, avec les autorités comme la nôtre qui travaillent sur les enjeux du déploiement de la 5G… Si on relativise, on voit d’ailleurs que ce temps n’est finalement pas si long. Les autorisations d’utilisation de fréquences ne datent que du 12 novembre 2020. Dans une ville comme Paris, dès que la mairie aura mis son cadre en place, cela ira très vite ensuite.

Où en est-on dans la capitale, d’ailleurs ? Le patron de Free, Xavier Niel, prophétisait il y a peu une arrivée de la 5G pour fin février…

À une ou deux semaines près, cela me semble en cohérence avec les objectifs de la mairie de Paris. Celle-ci travaille de longue date avec les opérateurs autour d’une charte de déploiement des antennes. C’est un bon moyen d’apaiser le dialogue entre les citoyens, les opérateurs et les élus. Pour ce qui est de la 5G, Paris a souhaité mettre en place un cycle de concertation avec les citoyens, les opérateurs attendent les conclusions du débat dans les prochaines semaines a priori. De là à affirmer que la 5G sera disponible dès la fin du mois, il faut poser la question à l’équipe municipale.

Sur la 5G, il faut éviter de passer en force.
Laure de la Raudière, présidente de l'Arcep

Ce temps de concertation est-il valable également dans les autres grandes villes ?

Pas forcément, il y a des grandes villes qui ne veulent pas de concertation, qui refusent catégoriquement. Il est regrettable que ces communes ne souhaitent pas s’inscrire dans une démarche plus constructive avec leurs citoyens. Dans ces cas de figure, les blocages sont peut-être davantage d'ordre politique.

Quels sont les premiers retours dans les municipalités comme Nice où les antennes 5G ont déjà été activées ?

Dans les premiers retours que nous avons via de premiers tests d’utilisateurs, on observe une amélioration des performances par rapport à la 4G. Mais cela dépend du téléphone utilisé, de la proximité avec les antennes, des fréquences utilisées sur ces antennes… L’Arcep a prévu une campagne de mesure de la qualité de service en 2021, les résultats arriveront au second semestre.

Quelle est la position de l'Arcep concernant la stratégie des différents opérateurs en matière de déploiement, notamment de Free et de ses antennes 4G 700 MHz reconverties ?

L’un des rôles de l’Arcep est de s’assurer que les quatre opérateurs font bien tous de la 5G là où ils disent en faire, que ce soit sur les bandes 700, 1800, 2100 ou 3500 MHz. Or c’est bel et bien le cas. Cela dit, les caractéristiques de chacune de ces bandes font que vous ne donnez pas au consommateur le même débit. Nous avons donc demandé aux opérateurs d’être très clairs dans leur communication sur la qualité de l’expérience 5G offerte, et de lever tout doute sur les cartes de couverture en distinguant les différents niveaux de service. Le consommateur doit être en mesure de savoir précisément de quelle performance il peut bénéficier grâce à son abonnement mobile et selon sa localisation géographique. L’Arcep sera très vigilante sur la transparence des opérateurs à ce sujet, et c’est d’ailleurs aussi une forte attente des associations de consommateurs.

Le consommateur doit être en mesure de savoir de quelle performance il peut bénéficier grâce à son abonnement mobile et selon sa localisation géographique.
Laure de La Raudière, présidente de l'Arcep

Comment comptez-vous forcer la main aux opérateurs ?

Nous avons par exemple des remontées de terrain qui nous disent que les cartes de couverture ne correspondent pas forcément à ce que ressentent les utilisateurs. Sur la 5G en particulier, nous travaillons actuellement sur des outils nous permettant de faire en sorte que la façon dont les données sont présentées par les opérateurs soit contraignante juridiquement.

Comment se place la France par rapport à ses voisins dans le déploiement de la 5G ?

Nous sommes dans la moyenne, légèrement au-dessus même. Nous n’avons pas été les premiers à attribuer les fréquences, mais le déploiement se déroule à bonne vitesse. Courant 2021, nous aurons tous les outils pour assurer une couverture dans de très bonnes conditions et être parmi les leaders européens d’ici la fin de l’année.

On sent une réticence plus ou moins forte dans l’opinion publique vis-à-vis de cette nouvelle technologie. Comment rassurer les gens à ce sujet ?

Il y a certes des questions posées par l’opinion publique, mais elles concernent plutôt le numérique dans sa globalité. La 5G a probablement relancé ce débat de plus belle. Mais au moment de l’attribution des fréquences, les réticences sont plutôt venues, selon moi, de certains partis politiques qui ont mis le pied sur le frein, pris une photo de notre société et déclaré : “On arrête les nouvelles technologies.”

Comment se positionne l’Arcep par rapport à ce genre de considération ?

Le débat de société, il existe, mais ce n’est pas à l’Arcep de le trancher. Nous sommes là pour y contribuer. C’est ce que nous avons fait, par exemple, sur les questions d’empreinte environnementale du numérique avec notre rapport fin 2020. Les choix sociétaux sont ensuite entre les mains du politique.

Ce n’est pas à l’Arcep de trancher le débat de société sur la 5G.
Laure de la Raudière, présidente de l'Arcep

Et que répondez-vous à ceux qui pointent le manque de pertinence de la 5G à l’égard du grand public ?

Il est vrai que lorsque la 5G a commencé à être évoquée, on a pu se demander : “Pourquoi se lancer dans une nouvelle génération alors que certains territoires n’ont toujours pas accès à la 4G ?” Et c’était un débat légitime. Mais on ne parle pas des mêmes enjeux. La 4G pour tous est un enjeu d’aménagement numérique du territoire. Le gouvernement et l’Arcep travaillent sur le sujet depuis 2018 dans le cadre du New Deal mobile notamment. Il y a encore des zones mal couvertes, mais ça avance. L’enjeu de la 5G, c’est de préparer les réseaux du futur avec ce que cela implique de nouvelles technologies et d’innovation. Tous les analystes vous disent qu’il y aura une explosion des objets connectés, et j’en suis persuadée également. On aura besoin des débits de la 5G, de sa faible latence et de technologies comme le slicing pour répondre à certains enjeux de société de demain auxquels la 4G ne pourrait pas faire face.


Propos recueillis par Bastien Lion

L'interview sur le site Les Numériques