- La concurrence et la barrière du local
La loi de 1996 consacrait l’ouverture du secteur des télécommunications à la concurrence. Sept années plus tard, le paysage de la concurrence en France n’est pas tout à fait celui qu’avaient imaginé les rédacteurs de la loi : le bilan n’est certes pas négatif, mais il est indéniable qu’un certain nombre de difficultés subsistent à l’instauration d’une concurrence équilibrée : les opérateurs entrants ne représentent globalement que 20% du chiffre d’affaires total des télécommunications en France, et les infrastructures alternatives, gages d’une concurrence pérenne, ne se sont véritablement développées que sur les " backbones ", la collecte intermédiaire et la boucle locale demeurant un monopole de fait de l’opérateur historique.
La concurrence se heurte aujourd’hui à la réalité technique et géographique des réseaux, peut-être sous-estimée jusqu’ici, mais également au déséquilibre numérique important entre les effectifs de France Telecom sur le territoire et ceux de ses concurrents.
L’arrivée du haut débit, en donnant avec les technologies DSL la perspective d’une nouvelle jeunesse à la paire de cuivre, recrée une barrière à l’entrée et vient aggraver le risque de déséquilibre de la concurrence, malgré les efforts de l’ART pour faciliter ce " parcours du combattant " qu’est le dégroupage. Face à cette situation, les nouveaux enjeux apparaissent désormais clairement liés à la maîtrise du local, à la fois du réseau au plus près du client, mais aussi de la relation commerciale de proximité (d’où l’acuité du débat sur la revente de l’abonnement).
Ces atouts de proximité sont ceux dont disposent, quand ils existent, les opérateurs locaux et de boucles locales.
- La situation singulière de la France.
La situation française est assez différente de celle des pays voisins.
Tout d’abord, l’histoire récente du secteur des télécoms a été marquée par les difficultés successives des boucles locales alternatives, que ce soit le câble ou la boucle locale radio. Aux USA, ou chez certains de nos voisins européens, deux tiers des accès haut débit se font par le câble. L’avenir nous dira si le Wifi, les courants porteurs en ligne ou le satellite pourront un jour constituer des alternatives sérieuses.
Par ailleurs, notre pays se caractérise globalement par une quasi absence d’opérateurs locaux ou régionaux : la concurrence y a été d’emblée envisagée comme devant être le fait d’opérateurs nationaux, voire internationaux. Il est d’ailleurs l’un des cinq pays d’Europe qui, de façon explicite, restreignent l’action locale dans ce domaine.
Il est frappant de voir qu’outre-atlantique, mais également dans la plupart des pays d’Europe (Allemagne, Suède, Italie, Espagne…) ont émergé des opérateurs régionaux au moins dans un premier temps, souvent sous l’impulsion des collectivités locales qui visaient à la fois un aménagement de leurs territoires, mais aussi clairement la structuration d’une concurrence face à l’opérateur historique.
Même si globalement le poids national de ces opérateurs locaux demeure, et si ces exemples sont loin d’être reproductibles tels quels, ils nous donnent à réfléchir :
- localement leur part de marché est loin d’être négligeable;
- ils ont souvent à cœur de développer des services et des applications innovants, à partir d’une infrastructure nouvelle ;
- ils ont souvent réussi à enclencher une dynamique vertueuse, à étendre leur emprise au delà de leur zone initiale et certains visent la rentabilité à court terme.
- Quel espoir pour la concurrence locale en France ?
Au moment où notre pays entre dans une phase d’évolutions législative et réglementaire importantes qui visent à laisser davantage de latitude aux acteurs publics locaux, on peut se demander si nous n’abordons pas une seconde étape de l’organisation de la concurrence.
En cette période difficile pour les opérateurs, il y a en général accord sur le bien-fondé d’une action publique locale du fait de la difficile appréhension des besoins globaux d’un territoire, du caractère structurant de la commande publique, et de l’importance d’une meilleure utilisation des fonds publics (nationaux mais également européens).
Il est souhaitable qu’elle se fasse en partenariat public-privé étroit avec des opérateurs de télécommunications, la complexité de ce métier ne devant pas être sous-estimée, dans le sens d’une stimulation de la concurrence et dans des conditions non discriminatoires d’emplois des fonds publics.
Toutefois, à l’heure où d’ores et déjà une trentaine de collectivités sont en phase de lancement de leur procédure publique, non pas pour être opératrices de services de détail mais bien pour faciliter un égal accès des opérateurs à leurs territoires, les modalités de mise en oeuvre de ces partenariats sont encore devant nous, et il est probable qu’elles modifieront la donne locale de la concurrence. Ainsi, ce ne sont pas moins de respectivement 105 mio d’euros en 2003 et 635 en 2004 qui sont prêts à être investis au profit du secteur dabs les projets locaux.
Allons-nous vers l’apparition de nouveaux gestionnaires d’infrastructures issus de consortiums regroupant entreprises de BTP, constructeurs, banques ? ou vers des partenariats locaux avec des opérateurs nationaux, les collectivités les contraignant à ouvrir un peu plus leurs réseaux afin de permettre une diversité d’offres de services ?
Il se peut aussi qu’à l’instar de ce qui existe chez nos voisins, nous assistions prochainement à l’apparition d’acteurs locaux, notamment d’offreurs de services au secteur professionnel et aux PME, agiles, capables de faire naître une concurrence fondée non pas uniquement sur la de nouveaux packages tarifaires mais davantage sur la promotion d’usages innovants.