Prise de parole - Interview

Le gendarme des télécoms presse les opérateurs d'investir - Sébastien Soriano, président de l'Arcep répond aux questions de l'agence de presse Reuters (30 juin 2016)

En voie de guérison, le marché français des télécoms doit désormais donner la priorité aux investissements et permettre à la France de combler son retard par rapport à ses principaux voisins européens, estime le président de l'Arcep qui en fait une priorité.
Dans le dernier tableau de bord du numérique établi par la Commission européenne (Digital Scoreboard), la France se distingue par ses prix bas mais pointe en revanche en queue de classement en matière de connectivité.

"Pendant longtemps notre focale a été de nous assurer que les Français bénéficient de prix attractifs. Maintenant c'est fait, les prix sont bons. Notre priorité, maintenant, c'est de nous assurer que notre pays est bien connecté", a expliqué Sébastien Soriano lors d'un entretien à Reuters.

"Le secteur des télécoms a passé un trou d'air, il y a une amélioration de la situation de marché. Donc les Français sont en droit de demander plus d'efforts d'investissements de la part des opérateurs", a-t-il ajouté.

Le président de l'Arcep trace un cap ambitieux pour les opérateurs à l'horizon des trois prochaines années.

Concernant le maillage du territoire en antennes mobiles, actuellement autour de 65.000, le régulateur aspire à l'installation de 10.000 sites supplémentaires et à la conversion de 25.000 antennes en 4G.

Les opérateurs atteindraient alors avec trois ans d'avance les obligations qui leur ont été imposées lors de l'octroi de leurs fréquences mobiles.

CONCURRENCE PAR LA QUALITÉ

Alors que six millions de foyers bénéficient aujourd'hui de l'internet ultra-rapide (FTTH), l'Arcep estime qu'ils pourraient être sept à huit millions de plus d'ici trois ans et qu'une majorité d'entre eux (80%) devraient pouvoir choisir entre au moins deux offres.

L'Arcep n'a cependant pas la faculté de contraindre des opérateurs qui sont toujours convalescents après l'irruption de Free (Iliad) dans le mobile et la dégringolade consécutive des prix depuis quatre ans.

Des dirigeants du secteur ont lancé une mise en garde sur les investissements après l'échec du projet de mariage entre Orange et Bouygues Telecom (Bouygues) qui aurait permis de ramener à trois le nombre d'acteurs en France.

Pour le président de l'Arcep, la concurrence ne s'oppose pas aux investissements à la condition qu'elle soit bien orientée.

"La clef de la relance des investissements c'est la capacité des opérateurs à monétiser la qualité et la couverture de leur réseau", estime Sébastien Soriano, alors que les opérateurs télécoms peinent pour l'instant à traduire dans leurs tarifs mobiles les bénéfices apportés par le déploiement de la "4G".

Pas d'objectif imposé pour les opérateurs mais une plus grande transparence pour les consommateurs qui servira d'aiguillon aux opérateurs pour investir, parie l'Arcep.

Le régulateur va ainsi proposer en accès libre des données de couverture et de cartographie récoltées auprès des opérateurs et s'associera à des acteurs capables d'exploiter ces données pour proposer des comparatifs.

L'Arcep prévoit aussi d'utiliser des armes plus traditionnelles, en obligeant notamment Free (Iliad) et Orange à détailler la feuille de route pour l'extinction de leur contrat d'itinérance qui implique le déploiement par le groupe de Xavier Niel de son propre réseau.

Soucieux de la longueur d'avance prise par Orange dans le déploiement de la fibre, le régulateur consulte également les acteurs du secteur pour identifier d'éventuels remèdes.

Le régulateur réfléchit aussi à une possible augmentation du coût de la location du vieux réseau de cuivre de l'ancien monopole Orange afin d'inciter au transfert vers de nouvelles infrastructures.

Propos receuillis par Gwénaëlle Barzic et Mathieu Rosemain