Prise de parole - Interview

"Le câble est un élément essentiel du dispositif de développement de la concurrence", une interview de Jean-Michel Hubert à Stratégies Télécoms et Multimédia / 22 février 2002

"Les réseaux câblés constituent, rappelle Jean-Michel Hubert, président de l’ART, une technologie d’accès alternative susceptible d’ouvrir la concurrence sur la boucle locale." C’est pourquoi, le régulateur des télécoms appelle l’attention des pouvoirs publics sur les conséquences possibles de l’introduction de la TNT sur l’économie des réseaux câblés. Des réseaux dont le régime juridique est appelé à être rapidement aligné sur celui des télécoms.

Afin d’alimenter sa réflexion, l’ART a d’ailleurs commandé une étude sur le câble.

Entretien avec Jean-Michel Hubert, président de l’ART, qui recevait STM en compagnie de Jacques Douffiagues, membre du Collège de l’Autorité.

Stratégies Télécoms & Multimédia – Avec 170 000 abonnés à Internet et 62 000 abonnés télécoms concentrés chez un seul opérateur (statistiques Aform au 30 septembre 2001), les réseaux câblés ne sont pas très avancés en matière de nouveaux services et n’opposent donc, bien qu’ils constituent le seul réseau alternatif à celui de l’opérateur historique, pas une concurrence féroce à celui-ci. Comment expliquer cela ? N’ont-ils pas assez investi assez tôt, ou bien la présence de France Télécom dans leur capital ou en tant qu’opérateur technique de leur réseau, d’un côté, en tant qu’interlocuteur incontournable de l’autre ont-ils retardé ces développements jusqu’à, dans certains cas les rendre inopportuns (téléphonie classique) ?

Le développement de services de télécommunications sur les réseaux câblés français, qui ont une longue histoire puisque qu’ils ont été conçus dans le cadre du Plan Câble de 1982, constitue un enjeu fondamental et une nécessité. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un ensemble de 8 millions de prises câblées et de 3 millions d’abonnés aux services audiovisuels. Le nombre d’abonnés disposant d’un accès Internet est maintenant de l’ordre de 200 000. C’est loin d’être négligeable. Mais il faut aller plus loin.

Rappelons que lorsque l’ART s’est installé en 1997, elle a été très rapidement saisie de deux demandes de règlement de différend émanant des opérateurs Lyonnaise Câble et CGV opposés à France Télécom alors propriétaire des réseaux qu’ils exploitaient. En effet, propriétaire et exploitant devenaient dès lors concurrents. L’ART a donc défini des conditions techniques et financières sur la mise en œuvre de l’offre des services Internet et téléphonique et elle a été amenée, l’année suivante, à prendre une deuxième décision pour en confirmer les modalités. Dans les considérants de cette décision, nous avons ajouté un commentaire indiquant que l’origine du différend résidait principalement dans la dualité propriétaire/exploitant et avons recommandé qu’il soit mis un terme à cette situation. Le message a été compris. Un accord a été trouvé pour Noos: il y a dans ce cas unicité de propriété et de gestion du réseau. Tel n’est pas encore le cas pour NC Numéricâble. L ‘évolution de l’offre de services de télécommunications amène à constater que le dispositif réglementaire qui entoure ces réseaux, demande à être clarifié et simplifié. En l’occurrence, il faut une harmonisation des régimes juridiques des réseaux câblés et des réseaux de télécoms.

STM - Cette dichotomie qui a entravé le développement du câble, explique-t-elle totalement les chiffres que nous venons d’évoquer ?

La complexité de la mise en œuvre technique, financière et commerciale des offres et l’importance de la mise à niveau des réseaux expliquent que ces nouveaux services n’aient pu être mis en place du jour au lendemain. Mais si l’on regarde aujourd’hui la situation de l’offre haut débit résidentiel en France, on constate une proportion de 2/3 en faveur de l’ADSL et de 1/3 en faveur du câble. Le câble a ainsi une place importante dans l’offre haut débit. C’est pourquoi, dans le cadre d’une nécessaire diversité des offres d’accès, il est important aujourd’hui d’affirmer à la fois notre volonté et notre conviction que la technologie du câble occupe une place pleine et entière dans le développement du haut débit. Cette technologie est un élément essentiel dans le dispositif de développement de la concurrence.

STM – Effectivement, lors de vos vœux, vous avez rappelé que les réseaux câblés avaient un rôle majeur à jouer dans la concurrence sur la boucle locale et indiqué que l’ART serait "attentive à toute perturbation qui viendrait fragiliser ce mouvement". A quoi faisiez-vous allusion ?

Je pensais, vous l’avez compris, à l’arrivée et à la mise en œuvre de la télévision numérique terrestre. Je voudrais dire très clairement que la TNT est un enjeu qui traduit les objectifs d’une politique publique, que celle-ci répond à des ambitions légitimes comme la mise en œuvre d’une offre de télévision élargie essentielle pour beaucoup de nos concitoyens. Mais, il m’apparaît que la mise en œuvre de ce projet peut ne pas être sans impact sur la poursuite d’autres objectifs de la politique publique comme l’essor de la société de l’information. Des objectifs qui peuvent trouver place dans la mission du régulateur des télécommunications. J’ai donc tenu à m’exprimer, pour que l’on préserve les chances de développement d’une technologie essentielle.

STM – En effet, selon les câblo-opérateurs, l’arrivée de la télévision numérique terrestre menace leur activité. En particulier, ils s’opposent fortement à la mise en place du "must carry". De fait, il semble qu’aujourd’hui encore la télévision représente l’essentiel de leurs ressources. Comment pouvez-vous intervenir sur cette question ?

Je rappelle tout d’abord que la compétence réglementaire est celle du Parlement et du gouvernement. L’ART peut , en cette matière, avoir un rôle d’avis, mais pas de décision. Dans le cas particulier, le fait d’augmenter la concurrence dans l’audiovisuel ne peut que paraître normal à celui qui prône le développement de la concurrence dans les télécoms! Cependant, il nous appartient d’appeler l’attention des pouvoirs publics sur certains aspects, notamment sur les enjeux économiques et industriels, et de partager notre réflexion afin de participer à la construction d’un mode d’intervention qui préserve les divers domaines de l’ action publique. Concrètement, deux points apparaissent préoccupants pour les opérateurs de réseaux câblés. Le premier est relatif à un texte récemment publié, le décret "must carry". L’autre est lié aux perturbations techniques, aux brouillages, que pourrait générer la TNT. J’ai exprimé le souhait que ces questions soient approfondies notamment sur les conséquences pouvant en résulter pour l’économie des câblo-opérateurs et leur capacité d’investissement.

Chaque technologie d’accès au haut débit doit garder toutes ses chances de développement et d’expansion. Le rôle du régulateur n’est pas de structurer le marché, mais de lui donner la capacité de se développer. C’est ensuite au marché de s’exprimer .

STM – Est-ce pour cela que l’ART a commandé une nouvelle étude sur le câble? Sur quoi porte cette étude ?

Vous avez bien compris que l’attention de l’ART pour le câble est bien antérieure au débat sur la TNT. Elle suffit à justifier une étude qui vise à établir un état des lieux du câble en France ainsi qu’à l’étranger, notamment dans les différents pays d’Europe, où nous rencontrons des situations extrêmement diverses. Nous avons ainsi le souci de bien analyser la question et de faire un point précis sur la façon dont les choses se passent dans les pays qui partagent avec nous cette conviction que le câble est un élément clef dans la mise en œuvre de la concurrence dans les télécoms. Naturellement, nous examinerons le cas échéant l’impact de la TNT sur le câble dans ces pays.

Cette étude sera achevée dans environ trois mois.

STM – Pensez-vous que la réflexion aurait pu être menée différemment s’il y avait eu un régulateur unique ? Est-il pertinent dans cette optique de vouloir rapprocher les régulateurs des télécoms et de l’audiovisuel ?

Je me sens pleinement en phase avec la réglementation européenne qui prône l’harmonisation pour la régulation des réseaux. Mais nous savons qu’ il y a des contenants et des contenus dont les principes et les modalités de mise en œuvre sont très différents. Il y a donc à mes yeux place pour des fonctions complémentaires mais distinctes et par là même pour deux institutions appelées à travailler ensemble et en concertation. Nous avons des relations suivies et constructives avec le CSA et la question n’est pas celle de la fusion de l’ART et du CSA.. Ces organismes de régulation installés par la loi ont pour mission de veiller à son application. L’enjeu éventuel n’est donc pas celui de l’organisation des institutions mais celui, d’abord, de la cohérence des législations qui les sous-tendent.

STM – Vous avez évoqué l’harmonisation des régimes juridiques des réseaux de télécommunications et réseaux câblés. Cette harmonisation est l’objet d’une directive communautaire, et devra donc assez rapidement être intégrée dans le droit français. Le régime des réseaux câblés sera-t-il aligné sur celui des réseaux de télécoms, ce que craignent certaines collectivités ? A quel terme ?

Les directives qui viennent d’être adoptées visent à s’appliquer à ‘’l’ensemble des réseaux acheminant des communications électroniques’’ c’est-à-dire des télécommunications et de l’audiovisuel. En ce qui concerne les collectivités locales, l’article L-1511-6 du code général des collectivités territoriales dit que les collectivités ne peuvent pas être opérateurs de télécoms. Quand elles sont propriétaires ou assurent la gestion de réseaux câblés, elles ne peuvent assurer la fourniture de l’accès à Internet sur ces réseaux, ni directement ni au moyen d’une délégation. Seuls les réseaux qui n’offrent pas de services de télécoms peuvent être exploités par des collectivités. Il devient donc nécessaire que les réseaux câblés soient considérés comme des infrastructures de télécommunications exploitées par des opérateurs de télécommunications autorisés pour la fourniture de ce type de services. Nous sommes ainsi face à une conjonction des directives européennes et du code général des collectivité territoriales. Ces directives doivent être transposées dans un délai de 15 mois.

STM – Si le régime du câble est aligné sur celui des télécoms, quelles conséquences cela entraîne t-il en général, et en particulier pour la partie audiovisuelle des réseaux câblés ?

La partie audiovisuelle est celle du contenu. Le régulateur des télécoms n’a pas de compétence sur les programmes audiovisuels, c’est à dire sur le contenu, qui est de la responsabilité pleine et entière du CSA.

STM - Plus généralement, un certain nombre de dispositions européennes liées à la convergence doivent être transcrites en droit national. A côté de l’harmonisation des régimes juridiques des réseaux câblés et des réseaux de télécoms, quels thèmes feront partie des propositions de modifications législatives que vous allez faire au gouvernement dans le cadre de l’ajustement réglementaire qui est prévu ?

Cela fait longtemps que la commission prépare ce train de directives. La convergence a été un fil directeur de ce projet. Elle devra notamment se concrétiser par l’harmonisation des réseaux dans un contexte technologiquement neutre. Par ailleurs, la transformation du dispositif d’autorisations spécifiques des opérateurs en autorisations générales va déjà changer notre mode de travail quant à l’instruction de ces licences.

L’esprit de ces textes européens traduit une volonté d’harmonisation et de simplification. Ce sont deux finalités auxquelles l’ART adhère pleinement et qu’elle reprendra comme trame dans les propositions qu’au sein de son collège elle est en train d’examiner.

Propos recueillis par Françoise Payen

 

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