Le secteur des télécommunications représente un enjeu particulièrement important car il influe fortement sur la croissance et le dynamisme de l'économie mondiale. Selon un sondage récent, plus de 80% des entreprises leaders au sein des Quinze estiment que la compétitivité de l'Europe dépendra du succès de la libéralisation des télécommunications. En effet, le poids des télécommunications représente une part significative des charges des entreprises, puisqu'elle est, comprise selon les secteurs, entre 3 et 5% de leur chiffre d'affaires, ce qui explique que la dépense moyenne en télécommunications pour les 500 plus grandes entreprises européennes avoisine les 200 millions de francs chaque année !
Depuis le 1er janvier 1998, la libéralisation des télécommunications est lancée en Europe. Cette dérèglementation s'est rapidement étendue à tous les continents puisqu'aujourd'hui près de 80% du marché mondial est ouvert à la concurrence.
Cette forme de marché ne peut se développer harmonieusement que si certaines règles sont fermement affirmées, afin de protéger les agents économiques des pratiques déloyales ou abusives de certaines firmes du fait de leur pouvoir excessif.
Ces règles sont habituellement fondées sur trois principes : l'équité (accès égal pour tous aux ressources du marché), l'efficacité économique (allocation optimale des ressources) et la loyauté (respect des contrats tacites ou implicites). En un mot, elles visent à prévenir et à guérir, et à sanctionner, le cas échéant, les pratiques anticoncurrentielles. Ce sont d'ailleurs précisément les missions qui ont été pour partie confiées à l'ART (Autorité de régulation des télécommunications).
Pour remplir ses missions, toute autorité de régulation doit pouvoir s'appuyer sur des critères indiscutables et la référence aux coûts en est un. Car la prise en compte des coûts dans les décisions est non seulement le moyen le plus objectif pour fixer rapidement les conditions de la concurrence, mais c'est aussi la méthode la plus transparente, la moins normative et la plus prévisible pour les opérateurs. Cependant, l'évaluation des coûts dans le secteur des télécommunications comme d'ailleurs dans la plupart des industries de réseaux, est une question particulièrement complexe. En effet, l'industrie des télécommunications génère des coûts d'une nature particulière : coûts du réseau général et du réseau local, des activités commerciales et des activités de soutien. Certains d'entre eux sont irréversibles, d'autres sont partagés entre plusieurs activités ou services, quelques uns varient géographiquement, d'autres enfin permettent de vastes économies d'échelle.
Ces différents coûts revêtent une importance toute particulière car, selon la manière dont ils sont évalués, ils peuvent constituer de véritables barrières à l'entrée pour les nouveaux opérateurs et ils sont en outre des facteurs majeurs de l'incitation à la performance en particulier pour l'opérateur historique autrefois en monopole. D'autres méthodes que la référence aux coûts sont bien sûr envisageables pour obtenir de tels résultats, les politiques de contrat tarifaire (price cap) ou la tarification de l'accès en fonction de la marge perdue par exemple. Mais la référence aux coûts reste le moyen le plus efficace pour stimuler la concurrence. Elle est d'ailleurs prévue par le cadre réglementaire pour asseoir l'action du régulateur dans quelques cas précis : l'interconnexion, le service universel... mais au-delà même de ces décisions particulières, les missions générales du régulateur : le règlement des litiges, les avis sur les tarifs de l'opérateur historique ou l'analyse de la concurrence le conduisent à renouveler sans cesse sa panoplie d'outils pour améliorer son appréciation des coûts.
Cette évaluation des coûts demande un large accès à l'information qui est une condition difficile à remplir puisque dans le secteur des télécommunications, il existe une asymétrie de l'information entre le régulateur et les différents acteurs du marché.
En effet, la référence aux coûts suppose que le régulateur puisse accéder à des informations comptables fiables et précises sur l'activité de l'opérateur historique. Or, ce dernier dispose en général d'une comptabilité analytique certes performante, mais essentiellement destinée à ses besoins de gestion interne : suivi des marges par produit, par services, par centre de profit. Le régulateur peut se fonder sur cette évaluation des coûts car dans sa gestion interne , l'opérateur est incité à allouer ses coûts sur une base sincère reflétant son activité réelle. Cependant les objectifs de la régulation ne sont pas les mêmes que ceux de la gestion.
Le régulateur s'intéresse peu aux comptes des centres de profit, mais davantage aux comptes des activités régulées, ceux par exemple du réseau général pour l'interconnexion ou ceux des services, soumis au contrôle tarifaire où des suspicions de comportements anticoncurrentiels peuvent exister.
C'est pourquoi, le régulateur doit retraiter ces données pour répondre à ses besoins d'informations, afin de connaître de façon précise les règles d'allocation de la comptabilité analytique, en particulier celles utilisées pour les coûts partagés entre services comme les coûts commerciaux par exemple. Pour cela, il doit :
- S'assurer et faire auditer que les règles sont utilisés pour l'ensemble des restitutions de comptes fournies au régulateur pour l'interconnexion, le service universel, etc...
- Faire contrôler les restitutions de comptes par activités et par services en les détaillant suffisamment pour servir à l'analyse des tarifs de ces services.
Pour un certain nombre d'analyses (par exemple les tests de squeeze) le régulateur a également besoin d'informations sur les coûts des nouveaux opérateurs qui ne peuvent être assimilés à ceux de l'opérateur historique, même si des similitudes existent.
Le régulateur peut enfin appuyer son analyse sur des comparaisons internationales en respectant un certain nombre de précautions car les opérateurs étrangers ont souvent des caractéristiques différentes.
C'est pourquoi, pour restreindre cette incertitude, une concertation permanente entre les acteurs est indispensable, associée à un contrôle régulier des résultats, car la transparence est l'une des conditions de bon fonctionnement des marchés concurrentiels.
C'est ce que l'ART fait depuis près de deux ans et demi et son action commence à porter ses fruits, les nouveaux opérateurs se multiplient (plus de 60 ont déjà obtenu une licence), les prix tant pour les entreprises que pour les ménages baissent régulièrement, des services innovants apparaissent chaque semaine et les nouvelles technologies se mettent en place. Les consommateurs y trouvent leur compte mais ce n'est qu'un début car les effets véritablement positifs en matière de concurrence ne se manifestent qu'à moyen terme, c'est alors seulement que se crée une dynamique de croissance où les gagnants l'emportent sur les perdants. C'est pourquoi, l'action de toutes les autorités de régulation en général et de l'ART en particulier, ne peuvent s'inscrire valablement que dans la durée.