Prise de parole - Interview

« La couverture du territoire est notre priorité numéro un » – Interview de Sébastien Soriano, président de l'Arcep, pour La Gazette des Communes (9 janvier 2017)

Alors que se tient, le 10 janvier 2017, la conférence annuelle du groupe d’échange entre l’Arcep, les collectivités territoriales et les opérateurs, Sébastien Soriano, président du régulateur des télécoms, se dit favorable à rebattre certaines cartes, réglementaires et financières, pour accélérer la couverture numérique du territoire.

Quel est, selon vous, le rôle des collectivités dans le numérique ?

Quand je suis arrivé à la présidence de l’Arcep, en janvier 2015, j’ai affirmé que les collectivités constituaient un acteur essentiel, et que l’aménagement numérique du territoire devenait notre premier enjeu. C’était une déclaration d’intention. Deux ans plus tard, nous passons aux actes avec un changement de paradigme : jusqu’à présent, l’Arcep s’efforçait de rendre compatibles les interventions des collectivités avec la concurrence. Aujourd’hui, nous mettons la concurrence et les forces économiques au service de l’aménagement des territoires. La priorité numéro un devient l’investissement dans les territoires, c’est-à-dire que les réseaux très haut-débit (THD) et mobiles y soient présents.

Des collectivités attendent avec impatience la délivrance de fréquences pour faire du THD hertzien. Vont-elles pouvoir déployer des réseaux ?

A priori, dans la bande des 3,5 GHz, qui va aussi être utilisée pour la 5G, nous allons réserver 40 MHz au THD hertzien. Solution transitoire, nous proposons que les licences soient accordées pour dix ans. Elles seraient attribuées au fil de l’eau et à des projets remplissant des objectifs d’aménagement du territoire ambitieux dans les zones moins denses, car il ne pourra y avoir qu’un seul réseau par territoire. Si des acteurs privés souhaitent candidater, nous les inciterons à se concerter avec les collectivités. Le guichet pourrait être ouvert à partir de l’été.

Quels sont les enjeux sur le THD aujourd’hui ?

Nous sommes face à une montagne d’investissements sur le THD, mais le déploiement de la fibre est bien là. Maintenant, il faut s’atteler à la question de la conversion des abonnés. Notre première priorité est donc de faire en sorte que les investissements dans la fibre se traduisent en abonnements. C’est cette migration qui va permettre de qualifier la fibre optique comme réseau du futur.

Sur les zones denses, tous les opérateurs doivent être à bord. Orange est une locomotive. Il a investi plus rapidement et plus massivement, mais tous doivent suivre. Nous allons mettre en place des dispositifs qui vont faciliter l’adduction des immeubles.

Les collectivités qui investissent beaucoup dans les réseaux d’initiative publique (RIP) sont inquiètes, car les grands opérateurs tardent à venir…

Nous sommes conscients de cette inquiétude. Si les opérateurs cherchent des excuses pour ne pas venir sur les RIP, ce n’est pas acceptable ! Notre observatoire sur la commercialisation du THD montre de grandes différences entre les zones privées et les zones publiques. Les RIP entrent dans une phase d’industrialisation grâce aux travaux de l’Agence du numérique, à nos lignes directrices tarifaires… Il faut maintenant que les opérateurs s’engagent et annoncent des conventions de co-investissement dans les RIP.

Pour les faire venir sur les RIP, envisagez-vous d’augmenter le prix du cuivre sur les zones fibrées ?

Il nous faut encore travailler sur ce dossier. C’est une vraie question. Nous sommes raisonnablement confiants dans le fait que les opérateurs vont jouer le jeu en annonçant des co-investissements et en faisant migrer vers la fibre. Nous pensons donc que l’outil tarifaire ne sera pas indispensable tout de suite, mais nous y travaillons pour être prêts à dégainer si besoin. Nous espérons cependant que les opérateurs seront assez intelligents et qu’ils vont montrer qu’ils savent avancer plutôt à la carotte qu’au bâton.

L’abandon de la plate-forme commune d’interopérabilité qui avait été annoncée avant l’été par Bercy, constitue-t-il une mauvaise nouvelle ?

Le projet PCI qui devait organiser un système d’information unique ne verra pas le jour. Cependant, les opérateurs qui diraient qu’ils n’iront pas sur les RIP pour cette raison seraient de mauvaise foi, car cela n’est pas indispensable. La FIRIP et la Fédération Française des Télécoms ont d’ailleurs annoncé qu’ils reprenaient les travaux d’InteropFibre pour établir un système harmonisé, même s’il ne sera pas unique. Nous vérifierons qu’ils vont dans la bonne direction.

Certains élus se plaignent du mauvais entretien du réseau cuivre par Orange. Que leur répondez-vous ?

Nous avons constaté en 2014 de véritables décrochages de la qualité de service sur le réseau cuivre, avec notamment des délais d’attente inacceptables pour rétablir une connexion. Les collectivités ont donc raison de dire que le réseau cuivre n’a pas été suffisamment entretenu. Cependant Orange a pris des engagements forts et nous avons constaté un retour à la normale depuis un an. Pour éviter que cela ne se reproduise, le nouveau cahier des charges qui doit entrer en vigueur en 2017, devra prévoir des indicateurs beaucoup plus fins afin que nous puissions réagir plus rapidement.

Faut-il renégocier sur les zones AMII ?

Oui. Dans les zones privées, la signature des conventions entre collectivités et opérateurs a pris du retard. Il n’est pas acceptable, dans la durée, que les territoires restent dans l’incertitude à propos du calendrier de déploiement de la fibre. Le rachat de SFR par Numericable rebat les cartes. Orange a modifié ses priorités d’investissements au profit des zones câblées pour faire face à la concurrence de SFR, tandis que ce dernier souhaite, au contraire, investir dans les zones complémentaires. Une réallocation des zones privées non câblées permettrait d’accélérer le déploiement. Je suis donc pour un partage plus équilibré entre SFR, Orange et d’autres opérateurs intéressés. Nous attendons leurs propositions.

On parle de 4G, et même de 5G, alors que certaines zones du territoire n’ont pas encore la voix. Qu’est-ce qui peut être fait ?

Pour avancer sereinement sur le déploiement de la couverture mobile du territoire, il faut d’abord des cartes qui correspondent au ressenti des utilisateurs ! Nous voulons sortir du dialogue de sourds où les opérateurs disent qu’ils couvrent une zone et où les usagers, eux, estiment que ce n’est pas le cas. Nous allons donc introduire plus de nuances, et sortir d’une vision binaire avec quatre niveaux différents : les zones non couvertes, les couvertures limitées, où il est possible de passer un appel, mais où la connexion ne fonctionne pas toujours ; les couvertures bonnes, où les appels passent bien, mais pas forcément à l’intérieur des bâtiments, et enfin, les très bonnes couvertures. Ces cartes, qui vont sortir courant 2017, seront des simulations effectuées par les opérateurs. Elles seront juridiquement engageantes, et l’Arcep enverra des prestataires pour vérifier leur véracité. Les informations de ces cartes seront en open data, et nous espérons, ainsi, que des comparateurs de couverture se développeront. Ce sera un instrument de transparence, mais aussi de stimulation du marché. Une stimulation qui devrait permettre le déploiement, par les opérateurs, de 10 000 sites 4G supplémentaires dans les trois prochaines années.

Vous allez aussi favoriser le crowd sourcing…

Un certain nombre de pays, comme l’Inde, propose aux usagers de télécharger une application donnant des informations sur la qualité de leur connexion et permettant de construire des cartes de couverture. Nous voulons promouvoir ce type d’initiatives, mais l’idée n’est pas de faire à la place de ce qui existe déjà. Nous sommes à la disposition des acteurs qui proposent ces applications dans une démarche partenariale pour donner du crédit aux publications qui le méritent. Des collectivités peuvent aussi s’emparer du sujet, mais nous les incitons à se rapprocher des éditeurs qui proposent des offres en marque blanche.

N’y a-t-il pas besoin de l’action des collectivités pour améliorer la couverture mobile ?

L’Etat a prévu un plan pour construire 1300 sites sur des territoires non couverts. Ce filet de sécurité, essentiel, se situe en complément des déploiements sur fonds privés, qui sont la priorité du régulateur. Au total, les opérateurs ont déployé sur tout le territoire 65 000 sites mobiles. Le marché n’est par ailleurs pas synonyme de redondance. Pour favoriser les déploiements, nous adaptons les règles à la densité du territoire. Ainsi, dans les zones urbaines, il y a une concurrence par les infrastructures car c’est aussi là où il y a le plus de besoins en débit. Il faut donc densifier les réseaux.

Dans les zones moyennement denses nous sommes d’accord pour un partage des infrastructures : nous avons par exemple autorisé SFR et Bouygues Télécom à partager leurs investissements dans un réseau commun sur plus de la moitié de la population, en échange d’engagements de déployer dans de nouveaux sites. Dans les zones de très basse densité, nous acceptons une mutualisation totale des infrastructures sur les zones qui ne sont pas couvertes.

Les collectivités peuvent-elles lancer des projets sur l’Internet des objets ou est-ce trop tôt ?

Ce n’est pas trop tôt. Il y a un foisonnement de technologies, ce qui peut générer un désarroi chez les collectivités, mais je veux les rassurer. Elles se demandent si les bandes de fréquences ne vont pas être saturées, si l’obsolescence d’une technologie ne les obligera pas à changer les capteurs, s’il ne va pas y avoir des problèmes d’opérabilité… Bref, beaucoup de brouillard que nous avons voulu dissiper via un livre blanc publié en novembre.

Notre avis, c’est qu’il ne faut pas attendre Godot et ne pas écouter les Cassandre qui veulent gagner du temps car ils ne sont pas encore prêts. Les technologies sont bonnes, sures, fiables et on ne prévoit pas de saturation.

Nous voulons cependant accompagner les collectivités sur le portage de leurs projets. Les territoires peuvent avoir le réflexe de vouloir contrôler la technique pour ne pas être pieds et poings liés au marché. Mais les infrastructures ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. Ce n’est pas sur les capteurs et les réseaux qu’est la valeur ajoutée, mais dans la maîtrise et l’exploitation des données. Selon moi, les collectivités ont plutôt intérêt à se concentrer sur ce dernier aspect. Elles ont évidemment le droit de développer elles-mêmes leur réseau, mais nous les invitons plutôt à recourir aux offres du marché, qui sont fiables. Il n’y a pas besoin de réinventer la roue…

Propos receuillis par Claire Chevrier


L'article de La Gazette des Communes