Près de deux ans après l'arrivée d'un quatrième opérateur dans le mobile, quel regard portez-vous sur le marché ?
Le bilan est globalement positif. D'abord du point de vue des utilisateurs : depuis trois ans, la concurrence accrue dans le mobile a fait gagner 3 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux particuliers et aux entreprises françaises. Ensuite, si le chiffre d'affaires baisse, les investissements ont atteint un niveau historique (7,3 milliards d'euros hors achat de licences) et ils devraient encore dépasser 7 milliards en 2013, avec un premier semestre dans la continuité de 2012. Les opérateurs déclarent tous qu'ils veulent continuer à investir. Il y a un nouvel état d'esprit dans le secteur, avec des acteurs qui ont à nouveau confiance en l'avenir. Ils ont raison.
Alcatel-Lucent va supprimer 10.000 emplois net. A force de favoriser les consommateurs, n'avons-nous pas trop affaibli nos industriels des télécoms ?
Comme son directeur général, Michel Combes, l'a souligné, la principale cause de la situation actuelle, ce sont les erreurs stratégiques commises par l'entreprise dans le passé. En outre, il est difficile de vivre dans un marché mondial des équipements télécoms dominé par de grands concurrents asiatiques très compétitifs. Une telle situation, sur un marché non régulé, peut être dévastatrice. Enfin, la politique européenne en matière de concentration a peut-être une part de responsabilité. Dans l'aéronautique, il existe deux champions mondiaux : Airbus et Boeing, alors que dans les équipements de réseaux il y a trois acteurs européens (dont un franco-américain), un américain et deux chinois.
Depuis peu, la commissaire européenne Neelie Kroes plaide pour une réduction du nombre d'opérateurs. L'industrie européenne a-t-elle besoin de se concentrer ?
La Commission européenne s'inspire du modèle américain. Aux Etats-Unis, il y a eu une consolidation massive depuis dix ans. Mais, outre des prix de deux à trois fois plus élevés qu'en Europe pour l'utilisateur, elle s'est soldée par la destruction de 500.000 emplois. Je ne vois pas en quoi ce serait un exemple à suivre. Par ailleurs, la taille des opérateurs européens n'est pas si réduite que cela. Orange et Vodafone comptent chacun plus de 200 millions d'abonnés, soit plus que les américains ATT et Verizon. Une telle envergure permet d'optimiser les coûts de façon considérable. De toute façon, la concentration du marché ne se décrète pas. Il faut que les opérateurs y trouvent un intérêt et le décident. C'est à eux de prendre des initiatives. On verra quelle position prend la Commission dans un tel cas de figure.
Etes-vous d'accord avec le projet de Neelie Kroes de mettre fin au « roaming » européen, c'est-à-dire aux surcoûts imposés par les opérateurs pour les communications intra-européennes ?
Nous partageons l'objectif de la création d'un marché unique européen, mais nous ne sommes pas d'accord sur les moyens d'y parvenir. En l'état, on risque, en quelques mois, de faire chuter les recettes des opérateurs et d'enclencher un processus de concentration avec des suppressions massives d'emplois à la clef. Si on décide de supprimer le « roaming », étalons cette réforme sur une période assez longue, mais ne le faisons pas en six mois.
A quelles conditions accepterez-vous que SFR et Bouygues Telecom partagent leurs réseaux mobiles ?
L'Autorité est favorable à la mutualisation depuis des années. Nos services ont commencé à échanger avec les deux opérateurs, qui avaient besoin de premières indications pour définir leur méthode, leur calendrier, leurs objectifs. Nous veillerons à ce que l'équilibre du marché mobile ne soit pas remis en cause et à ce que les économies réalisées par les opérateurs s'accompagnent d'un progrès dans le service rendu aux utilisateurs et aux territoires. Nous appliquerons une logique économique et pas une logique administrative, pour apprécier les limites acceptables de la zone de mutualisation.
Free et Orange pourront-ils mutualiser leurs réseaux ?
A ce jour, Free et Orange n'ont rien annoncé et ne nous ont rien présenté. En tout cas, la situation est différente de celle de Bouygues et SFR. Si un projet Orange-Free nous était présenté, nous serions notamment amenés à regarder les conséquences sur le contrat d'itinérance conclu par Free auprès d'Orange.
Les opérateurs pourront-ils un jour aller plus loin et mettre en commun leurs fréquences ?
La mutualisation des fréquences n'est pas interdite par les licences. Mais elle se heurte à des conditions réglementaires et concurrentielles strictes. La question mérite d'être posée dans la 4G, où le spectre disponible n'est pas large et l'agrégation de fréquences permet d'accroître les capacités de façon exponentielle.
Propos recueillis par Solveig Godeluck