Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, juge que l’activité de Kosc, perçue comme un catalyseur de la concurrence dans les télécoms professionnelles, a toutes les chances de se poursuivre. En grande difficulté, la jeune société, qui vend de la connectivité en gros aux opérateurs alternatifs, a été placée en redressement judiciaire et cherche un repreneur.
Kosc est aujourd'hui en plein calvaire. Étranglé financièrement dans le sillage d'un conflit avec Altice, l'opérateur de gros, qui a vu le jour il y a trois ans avec l'ambition de chambouler le marché des télécoms professionnelles, a été placé en redressement judiciaire. Il dispose désormais de six mois pour trouver un repreneur. Depuis sa création, Kosc a bénéficié de la bienveillance de l'Arcep, qui y voyait un levier pour mettre fin à la mainmise d'Orange, et dans une moindre mesure de SFR, sur ce secteur stratégique. Aux yeux du régulateur, Kosc était un des maillons qu'il manquait pour permettre aux TPE et aux PME d'accéder à des abonnements Internet bon marché. Dans nos colonnes, Sébastien Soriano reste convaincu de la pertinence de l'activité de Kosc. « Il y a toutes les raisons de penser que l'activité continuera », affirme-t-il. Avant d'avertir les éventuels candidats à la reprise : « L'important, c'est qu'une activité de gros volontariste soit structurellement garantie. »
LA TRIBUNE - Kosc est en difficulté, et vient d'être placé en redressement judiciaire. Vous avez longtemps épaulé cet acteur pour favoriser la concurrence sur le marché des télécoms professionnelles. Redoutez-vous son éventuelle disparition ?
SEBASTIEN SORIANO - Nous appelons de nos vœux, à l'Arcep, à la prolongation de cette activité, que ce soit via un adossement différent avec ses investisseurs, ou à travers une reprise du groupe. Kosc a développé dans un temps très réduit un réseau d'une empreinte nationale. C'était un vrai défi. L'entreprise a rencontré des difficultés. Mais c'est globalement une vraie réussite technique et économique. Kosc a rencontré son marché. Si beaucoup de petits opérateurs se sont inquiétés d'une cessation d'activité de Kosc, c'est bien parce que cet acteur est dans la place. Il a fait son trou avec son modèle « wholesale only ». [Kosc vend uniquement de la connectivité en gros aux opérateurs alternatifs, qui la commercialisent ensuite au détail via des offres Internet aux entreprises, Ndlr] Ce modèle a beaucoup de vertus pour le développement de la concurrence.
Kosc a désormais six mois pour se renflouer ou trouver un repreneur. Beaucoup redoutent que des grands opérateurs comme Bouygues Telecom ou Iliad mettent la main sur le groupe. Ceux-ci sont présents sur le marché de détail. Ils n'auraient sans doute pas intérêt à proposer des prix de gros avantageux aux opérateurs alternatifs, avec qui ils bataillent pour vendre des abonnements aux entreprises...
Il est clair que notre préférence va à la continuité d'une activité « wholesale only ». Cette configuration amène le plus de garanties sur le fait que l'acteur a un intérêt vital à être actif sur le marché de gros. Mais je ne veux pas être totalement binaire. Il faudra être pragmatique. On verra bien l'identité des personnes qui s'intéressent à Kosc, et l'organisation qu'ils proposent. L'important, c'est qu'une activité de gros volontariste soit structurellement garantie. Il existe peut-être des montages intermédiaires. A ce stade, nous ne voulons rien rejeter.
Avez-vous les moyens de garantir que Kosc continuera d'animer la concurrence sur le marché de gros en cas de reprise ?
Nous avons un puissant levier : la manière dont nous régulons le marché. C'est l'Arcep qui a créé les conditions pour l'émergence d'acteurs de gros. Nous avons d'une part imposé à Orange d'ouvrir son infrastructure FTTH [de fibre jusqu'à l'abonné, Ndlr], dans des conditions adaptées à des opérateurs d'entreprises. D'autre part, l'Arcep s'est abstenue d'imposer à Orange une offre de gros activée, ce qui a pour effet d'éviter que tous les opérateurs s'approvisionnent chez l'opérateur historique. Ces mesures offrent un espace pour permettre aux opérateurs alternatifs, notamment « wholesale only » d'animer le marché.
Si Kosc devait se retrouver en liquidation judiciaire, beaucoup d'entreprises se retrouveront un temps sans connexion Internet. Les conséquences pour leur activité seraient désastreuses. Cela vous inquiète-t-il ?
C'est plutôt un sujet de vigilance que d'inquiétude. Je pense que d'une manière ou d'un autre, l'activité de Kosc continuera. Je suis assez confiant à ce sujet. Maintenant, évidemment, nous sommes vigilants à la question d'un éventuel arrêt de son activité. Le jugement du tribunal donne du temps à Kosc pour trouver une solution. L'entreprise a pu bénéficier de certains refinancements, qui constituent une vraie bouffée d'oxygène. L'entreprise est sortie de l'urgence absolue. Elle peut travailler à son avenir plus sereinement.
Certains opérateurs, à l'instar d'OpenIP, ont pourtant décidé d'interrompre la vente de lignes Kosc...
Je veux lancer un appel à la sérénité. Il ne faut pas qu'il y ait de mouvement de panique sur le marché. Encore une fois, il y a un acteur qui a déployé une infrastructure solide et qui a fait son trou. Il y a toutes les raisons de penser que l'activité continuera. Je le dis d'autant plus qu'il peut y avoir un effet auto-réalisateur en cas de panique sectorielle. Aujourd'hui, cela me paraît complètement hors de propos d'envisager un scénario, très peu probable, de cessation d'activité.
Kosc s'est retrouvé dos au mur lorsque la Banque des Territoires (qui dépend de la Caisse des Dépôts) a décidé de ne pas remettre d'argent dans l'entreprise. L'Etat aurait-il pu davantage soutenir cette société, et à travers elle, la concurrence dans les télécoms professionnelles ?
Le gouvernement est particulièrement attentif au bon développement de ce marché. France Num, l'initiative de la Direction générale des entreprises, qui vise à accélérer la digitalisation des TPE et des PME, en témoigne. L'exécutif a bien conscience du retard de la France dans ce domaine. Il n'y a pas l'ombre d'un doute sur la détermination du gouvernement à essayer de développer les télécoms d'entreprises. En tant que régulateur, je dois rester à bonne distance des acteurs et je ne peux en revanche pas me prononcer sur les choix des actionnaires des groupes que l'Arcep régule.
Dans le contexte actuel, quelle est la stratégie de l'Arcep pour favoriser la concurrence dans les télécoms professionnelles ? Les mesures prises jusqu'à aujourd'hui suffisent-elles ? Faut-il aller plus loin ?
La question est sur la table. Indépendamment du calendrier de Kosc, nous sommes rentrés dans l'exercice de révision de notre analyse de marché, qui est le cadre de régulation de la fibre et d'Orange. Dans le cadre de cette réflexion, il y aura un gros volet entreprises. Elle portera sur la partie FTTH de l'infrastructure - qui concerne aussi bien celle d'Orange, celle de SFR, et les réseaux de fibre ruraux des collectivités. Nous nous interrogeons sur la manière d'enrichir cette infrastructure pour apporter les offres de qualité qui sont attendues des entreprises, sur une gamme très large. Il y a ensuite un deuxième volet, plus complexe, qui concerne les réseaux historiques de fibre dédiée (1). Ceux-ci ont été déployés par Orange, SFR et les collectivités locales. Il y a un équilibre subtil à trouver puisque ces réseaux seront de plus en plus concurrencés par les réseaux FTTH, en plein déploiement, et qui accueillent progressivement des offres entreprises. C'est pourquoi le marché de la fibre dédiée connaît aujourd'hui d'importantes baisses de prix. C'est positif. Mais nous devons être vigilants. Nous devons prévenir de possibles comportements anti-concurrentiels de la part d'Orange et de SFR, les plus forts acteurs du secteur. A ce sujet, l'Arcep sera particulièrement vigilante à ce que le rachat de Covage, qui est un acteur important de la fibre dédiée, par SFR, ne conduise pas au duopole.
1. Les offres de fibre dédiée permettent de relier directement une entreprise au réseau de l'opérateur. Elles sont plus chères que les offres du réseau FTTH, qui est mutualisé, mais aussi plus performantes et qualitatives en l'état actuel du marché.
Propos recueillis par Pierre Manière