Les élus réunis à la convention RuraliTIC d'Aurillac contestent le rôle primordial donné aux opérateurs privés pour le déploiement du très haut débit et dénoncent l'insuffisance des 300 000 logements par an raccordés à la fibre optique. Le plan gouvernemental est-il déjà en retard par rapport au calendrier et les opérateurs tiennent-ils leurs engagements ?
Jean-Ludovic Silicani : La couverture complète du territoire en fibre optique, dont l'ARCEP a estimé le coût à 24 milliards d'euros, ne peut être réalisée dans un délai raisonnable qu'en unissant les efforts des opérateurs privés et des collectivités territoriales. Une telle complémentarité constitue l'assurance que ces investissements ne pèseront pas exagérément et inutilement sur les finances et sur les contribuables locaux et que les opérateurs privés prendront leur part de l'effort à réaliser.
Actuellement, pour l'ensemble du territoire, environ 5 millions de logements (15%) sont éligibles au très haut débit fixe. 555 000 ménages ont profité de ces offres pour s'abonner (+ 52% en un an). Il existe donc une dynamique certaine qui s'accélère. Les déploiements ont débuté, dès 2008, dans les zones les plus denses et dans quelques territoires moins denses, et démarrent désormais sur tout le reste du territoire.
Le cadre réglementaire pour les zones moins denses, établi par la décision de l'ARCEP de décembre 2010, prévoit un très haut niveau de mutualisation des réseaux (90% du coût est mutualisé sur 95% du territoire) afin de minimiser le coût global des déploiements et faciliter l'entrée de petits opérateurs, privés comme publics. La France est le premier pays d'Europe à avoir fixé le cadre du déploiement de la fibre optique et un des rares à avoir mis en place un soutien financier de l'État. Les opérateurs ont rendu public leur projet d'investissement, d'abord dans les zones denses puis, au printemps, dans les zones moins denses. Ils ont présenté leurs offres de co-investissement. Un premier accord a été conclu, en juillet 2011, entre Free et France Télécom, portant sur 1300 communes et 5 millions de logements. Les autres grands opérateurs vont suivre dans les prochaines semaines. Les collectivités locales ont aussi présenté de nombreux projets. L'ARCEP n'est donc pas inquiète sur le déploiement de la fibre optique en France.
Lors de cette convention RuraliTIC, sept collectivités territoriales engagées dans des projets de réseau d'initiative publique (RIP) ont lancé un mémorandum contestant " l'incohérence des choix du plan national très haut débit et les arbitrages de l'ARCEP ". Que pensez-vous de la revendication de ces RIP à accéder au statut d'opérateur ?
Jean-Ludovic Silicani : Je rappelle que le déploiement de réseaux fixes par les opérateurs de communications électroniques est libre : les collectivités, qui peuvent être des opérateurs de communications électroniques, peuvent donc librement déployer des réseaux, y compris dans les zones rentables. Elles doivent simplement respecter, comme les opérateurs privés, les règles définies par le droit communautaire : nul ne peut bénéficier de droits exclusifs ou spéciaux permettant l'établissement de monopoles nationaux ou locaux. On peut trouver cela bien ou mal. Mais cela s'impose à nous.
En outre, lorsqu'elles se trouvent en concurrence avec des opérateurs privés, les collectivités doivent veiller à ne pas méconnaître les règles communautaires en matière d'aides d'État. Les milliards d'euros d'investissement déjà consentis par les opérateurs n'ont en effet été possibles que dans la mesure où cette règle leur garantissait le jeu d'une concurrence loyale. En revanche, lorsque l'initiative privée est insuffisante, il n'y a plus de risque sur l'incitation à investir des opérateurs privés. Les subventions publiques peuvent alors contribuer à l'objectif de déploiements homogènes de réseaux de fibre optique, de telle sorte qu'aucun territoire ne subisse une fracture numérique.
En résumé, je pense que les collectivités territoriales sont des acteurs essentiels pour la réussite du passage au très haut débit. Opérateurs à part entière, elles n'ont pas vocation à se voir appliquer un régime particulier qui risquerait, d'ailleurs, de leur être défavorable.
Pensez-vous qu'un statut juridique doit être donné aux schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN) afin que les intentions de couverture deviennent des obligations et que les délégataires non respectueux de leurs engagements soient pénalisés ?
Jean-Ludovic Silicani : La bonne adéquation des investissements privés et publics suppose que les opérateurs privés ne fassent pas d'annonces illusoires qui retarderont, voire hypothèqueront, certains déploiements. De leur côté, les collectivités territoriales ne doivent pas faire de concurrence déloyale aux opérateurs privés.
Les schémas directeurs sont essentiels pour assurer cette cohérence et renforcer la coopération et le dialogue entre opérateurs privés et collectivités territoriales. Le statut de ces schémas a déjà été précisé par la loi du 17 décembre 2009. Il faudrait qu'ils deviennent obligatoires et qu'ils soient réalisés de façon encore plus rigoureuse, afin de structurer, de façon systématique, cette coopération. L'ARCEP, par la concertation sur le terrain et des réunions très régulières de groupes de travail techniques, a facilité et continuera à faciliter cette démarche.
Enfin, l'autorité a toujours défendu l'idée que le fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT), prévu par la loi Pintat, soit mis en place pour prendre la suite, dès que ce sera nécessaire, des crédits apportés par le grand emprunt et qu'il bénéficie d'un financement pérenne de l'État qui viendra abonder celui des collectivités locales et les fonds européens.
Envisagez-vous de réviser les dispositions prises par votre institution concernant le respect des règles de concurrence suite à la démarche du Sénat auprès de l'Autorité de la concurrence ?
Jean-Ludovic Silicani : Il appartiendra, bien sûr, à l'autorité de la concurrence de se prononcer. Mais elle a déjà été amenée à s'exprimer sur le cadre réglementaire défini par l'ARCEP et y a donné un avis favorable qu'elle a rappelé à la suite de la saisine récente effectuée par la commission des affaires économiques du Sénat.
Concrètement, l'ARCEP constate sur le terrain que le cadre mis en place est globalement efficace et garantit une bonne coopération entre l'État, les collectivités territoriales et les opérateurs privés. Cela ne signifie pas, pour autant, que ce cadre ne peut pas être amélioré. Il nous faut notamment tenir compte de l'évolution du marché. L'ARCEP a ainsi, de façon pragmatique, prévu une évaluation, fin 2012, de son analyse des marchés du haut et du très haut débit fixe adoptée au printemps 2011. Les obligations asymétriques imposées à l'opérateur puissant pourront alors être réexaminées.