Prise de parole - Interview

Je dirige le « gendarme des télécoms », vous m’avez posé vos questions - Sébastien Soriano a répondu aux interrogations des lecteurs de Rue89.

Il s’appelle Sébastien Soriano, et à 39 ans à peine, tient déjà les rênes de l’Arcep (l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes).

Après un passage à la tête du cabinet de Fleur Pellerin lorsqu’elle était encore ministre de l’Economie numérique, le revoilà donc de l’autre côté de la barrière  : à la tête du gendarme des télécoms, qui doit se confronter depuis quelques années aux défis du numérique.

Comment vérifier la qualité de l’Internet fixe et mobile ? Mieux déployer la fibre optique ? Garantir la neutralité du Net ? Juger qui, de Free ou de YouTube, est responsable quand la vidéo rame sur nos écrans...

Bref, les dossiers ne manquent pas pour cette autorité, dont le champ d’action se confond de plus en plus souvent avec celui de ses voisines (Cnil, CSA, Autorité de la concurrence…), dont on prédit régulièrement la fusion prochaine.

A l’heure où la France s’interroge périodiquement sur l’opportunité d’avoir une « autorité du Net », l’Arcep a pour ambition d’accompagner la révolution numérique, nous confiait en juin dernier Sébastien Soriano, dans un long entretien.

Au sein de la rédaction de Rue89 ce mercredi, le président de l’Arcep a répondu à nos questions et celles des riverains. Nous en publions une sélection.

.666  : Qui régule les régulateurs  ?

Sébastien Soriano  : C’est une très bonne question. Who watches the watchmen  ? Cette question doit exister parce qu’on a une particularité, nous, les autorités administratives, dans le paysage institutionnel, c’est qu’on est indépendants.

Cette indépendance est indispensable pour qu’on rende des arbitrages neutres et qu’on travaille sur le long terme. On le voit bien, les puissances économiques à l’œuvre dans ce secteur sont extrêmement fortes, présentes dans d’autres secteurs, notamment les médias. Donc on a besoin de distance par rapport à ces puissances économiques et par rapport aux puissances politiques. On a donc besoin d’un acteur véritablement indépendant. Un gardien.

La contrepartie indispensable à cela, c’est qu’il doit y avoir un contrôle. Nous sommes contrôlés à de très nombreux titres.

Le Parlement nous auditionne régulièrement, on lui rend des comptes… Il a même créé une commission spéciale (la CSSPPCE) ! Nous sommes le seul régulateur me semble-t-il, en tout cas dans les domaines économiques, à avoir une commission parlementaire qui suit de près nos activités.

Il y a aussi le contrôle du juge. Toutes nos décisions sont susceptibles d’appel, que ce soit devant la Cour d’appel de Paris ou le Conseil d’État, très concrètement.

Par ailleurs, nous sommes contrôlés par la Commission européenne. On ne le dit pas assez  : les décisions les plus structurantes que nous prenons sont susceptibles de veto par la Commission si elle estime qu’elles ne sont pas conformes aux objectifs de la régulation européenne. Par exemple elle nous a empêchés de continuer à réguler les SMS parce qu’elle considérait que ce n’était pas la peine, et que c’était de la concurrence déloyale à WhatsApp.

Il y a aussi les contrôles réguliers de la Cour des comptes.

Voilà, moi je trouve qu’on n’est pas mal contrôlés.

Rue89 : Vous nous rappelez la composition de l’Arcep, le budget ?

L’Arcep c’est 170 agents à peu près. Un peu comme l’Autorité de la concurrence ou la Cnil. C’est plus petit que le CSA. C’est plus gros que le régulateur des chemins de fer par exemple.

Nous sommes un collège de sept membres permanents - des économistes, des juristes, des ingénieurs -, j’assure présidence.

Nous avons un budget d’une vingtaine de millions d’euros.

Rue89 : Dans quelle mesure vous êtes indépendant  ? Vous êtes l’ancien directeur de cabinet de Fleur Pellerin, vous avez vu les deux côtés des relations entre l’Arcep et le ministère en charge du Numérique...

J’ai trouvé récemment une citation d’un lord anglais, dans une biographie de Churchill, qui disait  :

    «  Il est très difficile de trouver un moyen terme entre la loyauté et l’indépendance.  »

Tout un programme.

Je dirais que la meilleure garantie d’indépendance, c’est la collégialité. Je ne peux prendre aucune décision qui ne soit pas approuvé par le collège. C’est quand même une grande protection contre d’éventuels faits du prince, d’éventuelles pressions qui seraient exercées sur nous.

La deuxième protection  : c’est l’inamovibilité. On ne peut pas virer les membres du collège, pour faire simple. Mais en plus, on ne peut pas prétendre à notre succession. Ce sont des mandats non renouvelables et ça aussi c’est une protection. Il n’y a pas de calcul  : je suis là pour six ans et je ne suis pas en train de me dire  : «  si je me comporte bien gentiment, j’aurai une chance d’être renouvelé, etc.  »

Saul-I-loque  : Gendarme des télécoms, ça paye bien  ?

Nous sommes sur des grilles de salaire standards de la fonction publique. Les salaires des membres sont définis par décret et vous les trouverez sur Internet. Vous apprécierez vous-même si ça paye bien ou pas !

Percy E. Schramm  : N’avez-vous pas l’impression de ne servir à rien  ?

C’est une très bonne question. C’est la question de l’homme de la rue  : « La concurrence, elle existe, à quoi vous servez maintenant l’Arcep  ? »

Cette question est légitime et je ne veux pas la balayer en disant  : «  Mais quoi, moi je passe ma journée à rendre des décisions et faire des choses importantes, pourquoi les autres ne s’en rendent pas compte  ? !  »

C’est pourquoi nous avons engagé une revue stratégique. Nous allons nous fixer de nouvelles priorités pour faire en sorte que notre action soit plus nettement utile à la transformation numérique du pays.

Un des axes prioritaires va être la mise en œuvre du nouveau règlement européen et de la loi numérique en cours d’adoption, qui doivent faire de nous les gardiens de la neutralité de l’internet. J’y reviendrai.

Sur notre cœur de métier, l’enjeu est d’abord de donner plus de sens à notre action.

Je veux que l’on aie une régulation plus lisible. Parfois, on a l’impression que l’on prend des décisions au coup par coup et on ne saisit pas ce qu’on est en train de construire.

Ce qu’on est en train de construire, c’est une infrastructure qui soit compétitive, capable de supporter les nouveaux usages pour tous les français  :

- l’hypermobilité : on a basculé dans un monde où les gens utilisent plus leur téléphone mobile que leur téléphone fixe, en termes de minutes mais aussi en termes d’attention
- l’Internet des objets : des capteurs qui vont être disséminés partout
- les besoins de PME d’accéder à de la fibre optique pour pouvoir développer leurs activités, exporter

Ce que je souhaite, c’est qu’on soit en phase avec ces attentes, et qu’on montre très clairement comment la régulation accompagne ces transformations.

Un exemple très concret dans nos actions récentes  : vous le savez, une importante procédure d’attribution de fréquences est en cours, avec un prix de réserve élevé, 2,5 milliards d’euros. A cette occasion, nous avons créé de nouvelles obligations de déploiement de couverture pour les trains du quotidien. Couvrir les TER, les RER, les Transiliens, parce que ça correspond à de véritables usages.

Rue89 : Le poids des lobbies étant ce qu’il est, est-ce que le régulateur n’est pas un pantin entre les mains des lobbies  ?

Les lobbies… Ils existent… En France, on a quatre principaux opérateurs  : Orange, Free, Bouygues Télécom et SFR-Numéricable.

- Orange, a un actionnaire de référence, l’État, qui – c’est un euphémisme - a une certaine influence.
- Free est détenu principalement par Xavier Niel, qui est présent dans la communauté numérique et dans un certain nombre de médias [dont Rue89, ndlr]
- Le groupe Bouygues est dans la télévision, le BTP, etc.
- Et il y a SFR-Numericable, contrôlé par Patrick Drahi, lequel vient de rentrer dans plusieurs médias.

Il est certain qu’il y a des lobbys puissants. Nous sommes soumis à… je ne dirais pas des pressions… mais les opérateurs poussent leur agenda et attendent de la part de l’Arcep qu’un certain nombre de décisions soient prises. Il faut savoir prendre du recul. Avoir du sang-froid. Et à la fin, plus notre doctrine est claire et partagée, plus on pourra prendre des décisions qui ne seront pas forcément populaires pour ces acteurs économiques. Nous sommes là pour défendre le développement en France de réseaux comme un véritable «  bien commun  ».

 
Rue89 : Vous avez l’exemple d’un moment où il a été compliqué de garder son sang froid  ?

Actuellement, nous sommes dans une période assez compliquée, puisqu’on doit trancher sur des accords qu’ont passés les opérateurs entre eux pour partager leurs réseaux de téléphonie mobile, pour réduire leurs coûts. Il y en a un entre Orange et Free, et un autre entre Bouygues Telecom et SFR. La loi Macron nous demande de vérifier que ces accords ne vont pas trop loin. Qu’ils ne brident pas la concurrence et l’investissement dans le secteur.

Donc potentiellement, si on dit que ces contrats vont trop loin, on ferait quatre mécontents, les quatre opérateurs principaux… Je peux vous dire qu’en ce moment, les opérateurs sont très attentifs à nos travaux  !

Le fait que les opérateurs sont maintenant propriétaires de médias, ce qui n’était pas le cas, à part Bouygues, il y a encore 4-5 ans, est-ce que ça se ressent  ?

Il n’y a pas d’impact direct pour nous  : nous sommes une autorité technique donc nous ne sommes pas dépendants du passage au JT de 20 heures.

En revanche, le citoyen est en droit de se demander si les messages ne pourraient pas mieux passer auprès des politiques. Mais, point d’interrogation  ! Je n’ai évidemment pas la réponse à cette question.


המגן של דמוקרטיה : C’est quoi la neutralite du Net  ?

Jusqu’à présent, on pouvait se poser la question de l’interpénétration entre le métier d’opérateur télécom et d’autres métiers. Une fois qu’on maîtrise les tuyaux, pourquoi on n’en profiterait pas pour fournir certains services ou avantager certains contenus  ?

Ce que nous dit la neutralité du Net, c’est stop, stop à l’intégration verticale  !

Il y a cette infrastructure de communication qui est Internet, qui doit être gérée de manière totalement neutre. Tous les contenus, tous les services, toutes les applications doivent être accessibles de la même manière. Cela veut dire concrètement que quand Orange sortira son service de banque en ligne, ce service devra être traité de la même manière. Il ne doit pas s’avantager par rapport à d’autres banques par son réseau.

La neutralité du Net nous amène à une certaine forme d’étanchéité entre le monde des réseaux, qui doit être neutre, et le reste. En tout cas au niveau des tuyaux. Mais le monde ne s’arrête pas aux tuyaux. Après, il y a des questions plus ouvertes, qui sont du domaine commercial : mise en avant d’un service propre à l’opérateur ou d’un partenaire.

La question se pose déjà, notamment sur les forfaits mobiles. On sait que certains services (Netflix, Deezer...) sont favorisés dans certaines offres d’Orange, SFR, Bouygues et compagnie.

Je ne veux pas préjuger et le texte, le règlement européen, doit être adopté prochainement.

Le choix qui a été fait en Europe sur la neutralité du Net n’est pas le même qu’aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de loi sur la neutralité du Net, mais uniquement un acte réglementaire qui a été pris par la FCC, qui n’est «  que  » notre homologue. Ce n’est pas le législateur américain qui a posé les règles du jeu.

En Europe, on n’est pas au même niveau  : on a posé de grands principes dans un Règlement. Après, il y a beaucoup de choses qui vont se jouer dans la mise en œuvre, l’interprétation, la jurisprudence… Donc il y a encore beaucoup de questions devant nous et je ne suis pas capable de dire si tel ou tel comportement est conforme ou pas.

Après, il y en a qui ont une tête moins conformes que d’autres… Typiquement, tout ce qui concerne les restrictions d’usages, par exemple l’interdiction du peer-to-peer, des newsgroup… Mais il me semble qu’il n’y en a presque plus et, pour ce qui en reste, j’invite très fortement les opérateurs à mettre fin à ce type de restrictions.

Après il y a des choses plus compliquées. Effectivement vous parliez de Deezer  : c’est a priori uniquement du «  bundling  », du couplage. Une offre packagée dans laquelle on vous vend un accès à un mobile ou à un fixe, plus Deezer. On pourrait aussi vous vendre un accès à Internet plus un pot de yaourt. Ca a priori, c’est autorisé.

Donc l’offre commerciale ça va, c’est quand on touche aux infrastructures que ça devient limite ?

Les règles sont strictes pour les tuyaux. Mais même pour l’offre commerciale, le règlement pose des limites. Il dit que ça ne doit pas conduire à restreindre l’accès à internet. Tant que ça reste marginal, a priori c’est toléré. Au-delà, il faut regarder.

Rue89 : Donc si demain Numericable propose Libération et L’Express dans ses offres, c’est envisageable  ?

On verra. Il est trop tôt pour préjuger.

nicolas.boulay  : Pourquoi le gouvernement ne veut pas d’une définition claire de la neutralité du Net  ? On a l’impression que les définitions proposées sont là pour faire plaisir au lobby des FAI, pour ne surtout pas faire de neutralité.

Il y a la question sémantique et la question du fond.

Sur le fond, j’appelle de mes vœux un comparatif international des textes sur la neutralité du Net. Et je vous fiche mon billet que le résultat de ce comparatif est que le texte européen est le plus exigeant au monde. Mais ce serait bien de le documenter. Sur le fond, je pense donc qu’il n’y a vraiment pas de sujet.

Notamment, l’une des grandes batailles qui a eu autour du Règlement européen, c’est la question de ces fameux services gérés qui sont, en gros, pour faire simple, des exceptions à la neutralité du Net, puisqu’il en faut un certain nombre pour assurer le bon fonctionnement des réseaux et favoriser l’innovation. Et ces exceptions sont beaucoup mieux encadrées en Europe qu’elles ne le sont aux Etats-Unis.

Ensuite, sur la question sémantique, je ne saurais pas vous dire. A un moment, un choix éditorial a été fait  : «  open Internet.  » Le même choix éditorial qu’aux Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, tout le monde a dit  : «  génial, un grand texte pour défendre la neutralité du Net  !  » Eu Europe, on a dit  : «  les institutions européennes sont les fossoyeurs de la neutralité du Net  !  » Y a un truc que j’ai pas compris.

Rue89 : La rhétorique des opérateurs, par le passé, consistait aussi à parler d’Internet ouvert plutôt que d’Internet neutre...

Tout dépend où vous vous situez. Pour moi, Internet ouvert, c’est un programme  : dire qu’il faut qu’Internet soit ouvert parce que c’est un bien commun. La neutralité du Net est l’un des outils indispensables pour atteindre l’Internet ouvert.

Rue89 : Et dans ce discours d’Internet ouvert, il y a aussi l’idée d’une réciprocité, non  ? L’idée que ça s’applique aussi aux plate-formes… C’est un peu le sous-texte

Sous-texte que je soutiens totalement  ! Et que je résume en une question  : est-ce que pour vous, le plus dangereux pour Internet, c’est Orange ou Google  ?

Cette question, il faut se la poser. Les opérateurs sont soumis à une régulation forte, ils ont des voisins qui sont soumis à des régulations beaucoup plus light (à commencer par le régime fiscal), donc c’est vrai que les opérateurs sont assez tendus sur le sujet.

La réponse, pour faire plaisir aux lobbies des opérateurs, cela pourrait être de dire  : «  vu que vos adversaires/partenaires que sont les GAFA [Google, Amazon, Facebook, Apple, ndlr], les over-the-top, ne sont soumis à aucun cadre, on va vous déréguler complètement.  »

Personnellement, je ne suis pas favorable à un nivellement par le bas. Je préfère l’attitude qui consiste à embrasser large, qui vise un Internet ouvert qui inclut la neutralité du Net mais qui ne se l’y limite pas forcément, en n’excluant pas, un jour, de fixer aussi des règles aux acteurs de l’Internet. Il s’agit pas de censurer Internet, c’est pas le sujet, mais faire en sorte que certains principes de base (privacy, fiscalité, relations équitables avec les startups et les PME…) soient respectés.

BuIIdozer Salut, est-ce que vous allez laisser Free se foutre de la gueule du monde encore longtemps  ? Prétendre révolutionner l’offre en offrant une qualité de service médiocre et en tirant le marché vers le bas avec des prix qui ne sont permis que par un sous-investissement (en bouts de chandelles et en équipements chinois) et le parasitage des infrastructures de ses concurrents  ?

On crée les conditions pour que la concurrence entre opérateurs ne se fasse pas uniquement sur les prix, mais qu’elle se fasse aussi sur l’investissement, c’est-à-dire la couverture et la qualité de service… C’est notre ambition. On incite fortement tous les opérateurs à investir, en essayant notamment de donner toutes les clés aux consommateurs pour qu’ils choisissent en toute connaissance de cause.

Lire un prix, c’est simple. Savoir ce qu’il y a dans une offre, c’est relativement simple – bon, il faut lire parfois les astérisques… Mais apprécier la qualité d’une offre, c’est très compliqué.

L’année dernière on a sorti des indicateurs très précis sur la couverture et la qualité de service mobile et ces indicateurs montrent très clairement que la qualité des réseaux mobiles fait apparaître une hiérarchie, avec Orange qui a un réseau sensiblement au-dessus des autres, Free qui a un réseau sensiblement en-dessous des autres et Bouygues Télécom et SFR qui sont, en gros, au milieu, avec un avantage à Bouygues Télécom.

Cela fait partie de notre boulot de montrer cette différence aux consommateurs.

Cependant, je ne voudrais pas tomber dans un discours de «  Free bashing  ». Il ne faudrait pas avoir une mémoire de poisson rouge  ! Souvenons-nous de ce qui a été l’arrivée de Free. En termes de pouvoir d’achat donné aux consommateurs.

Donc oui, la concurrence ne doit pas porter uniquement sur les prix, et nous nous y attelons. Mais il ne faudrait pas passer d’un extrême à l’autre.

Rue89 : Sur Free, forcément, on nous a parlé des problèmes avec YouTube, les vidéos qui rament, etc. Est-ce que ces problèmes d’interconnexion sont réglés ? Est-ce que vous y voyez plus clairs ?

Oui  ! On a commencé à défricher le terrain, avant la discussion du Règlement sur la neutralité du Net en Europe. En lançant des questionnaires à tous les acteurs présents à l’interconnexion… C’est très compliqué l’interconnexion… On vient d’ailleurs de rendre un avis sur la possibilité de mesurer de la bande passante sur Internet à la demande d’Emmanuel Macron, qui a montré la faisabilité mai aussi la complexité du sujet.

Donc on a accumulé quelques informations et on comprend mieux comment ça se passe.

Concernant Free, on a conduit une enquête à l’époque qui n’avait pas mené à constater une infraction. Je note que, depuis, les relations entre YouTube et Free se sont améliorées. La situation a évolué.

A priori, la loi sur le numérique vous permettra aussi de regarder dans les affaires des fournisseurs de contenus, vu que le Code des postes et des communications électroniques sera amendé en ce sens, non  ?

Déjà, la loi numérique doit nous donner tous les pouvoirs de gendarme pour garantir la neutralité du Net. Cela veut dire  : demander des informations, lancer des enquêtes et sanctionner des comportements qui ne seraient pas conformes. On pourra mettre comme amende jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires.

Notre régulation va basculer dans une régulation, non seulement d’arbitrage entre opérateurs, mais aussi de contrôle des opérateurs, au bénéfice de ce bien commun qu’est Internet.

On s’attend à ce que cet arsenal puisse potentiellement être plus utilisé que par le passé. Ce n’est pas ce qu’on souhaite, on préférerait le dialogue, mais on ne l’exclut pas.

Une précision a doit être aussi apportée dans la loi française, sur le fait que nos instruments de vérification peuvent aussi porter sur les acteurs du web, dans la mesure où aujourd’hui nous pouvons trancher un différend entre YouTube et Free par exemple. Et que donc il faut pouvoir faire respecter notre décision aux deux parties. C’est assez technique.

Vous pouvez aussi vous autosaisir d’un problème  ?

Absolument.

Batko : à quels endroits de l’architecture des réseaux télécoms allez vous demander aux opérateurs de positionner les boites noires  ?

Alors, c’est pas nous qui le faisons  ! Nous sommes le gardien du bien commun que sont les réseaux  !

Quand on a reçu le projet de loi renseignement, on a émis un avis, dans lequel on a dit que certains dispositifs, dits «  de proximité  » [les Imsi-catchers, ndlr] et «  automatisés  » [les « boîtes noires », ndlr], suivant la manière dont ils étaient mis sur les réseaux, pouvaient poser des problèmes de résilience et de qualité de ces réseaux. Potentiellement, en toutes hypothèses, ça peut abîmer la qualité de ces réseaux.

On a donc dit qu’il fallait un lien entre nous et la CNCTR, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui vérifie ce que font les services du point de vue des libertés individuelles.

La réponse à cela, dans la loi, s’est traduit par deux choses.

La première, c’est que cette CNCTR est composée de cinq membres permanents et que dans ces cinq membres, il y a un expert en télécoms désigné par le président de la République sur proposition de l’Arcep.

J’ai proposé le nom de Patrick Puges, qui a été désigné. C’est un ingénieur des télécoms, qui a participé à beaucoup de chantiers techniques - qui a notamment été directeur technique de Wanadoo. Sa compétence permettra à la CNCTR de mieux challenger d’un point de vue technique les services qui viendront soumettre leurs interceptions. Par ailleurs, à l’intérieur de la CNCTR, il y aura aussi un pôle technique dans les services, comme l’a dit le nouveau président Francis Delon : il ne sera donc pas tout seul.

La deuxième chose prévue dans la loi, c’est la capacité de consultation réciproque des deux institutions  : la CNCTR peut nous saisir et nous pouvons aussi l’interroger. Dans le respect du secret de la défense nationale, nous pourrons nous assurer que ce qui se passe sur un plan technique se fait de manière raisonnable par rapport à la régulation des télécoms.

Ça vous semble pas vain  ? Parce que beaucoup de spécialistes, y compris des algorithmes, disent qu’il est impossible de les contrôler correctement. Comment Patrick Puges va s’en sortir  ?

L’avenir le dira.

Benjamin Bayart : Dans le décret 2015-125 (blocage sans juge), la redirection vers la page du ministère de l’Intérieur crée une obligation de délation pour les opérateurs, non-prévue par la loi. En plus de la surveillance, prévue, elle. Un avis ?

Je découvre. Mais je note la question.

Complétiste : Bonjour Mr Soriano, notre premier ministre monsieur Valls a récemment évoqué de façon assez nébuleuse le concept de «  cryptologie légale  ». D’après vos éléments, pourriez-vous nous éclairer sur ce qu’il a voulu entendre  ?

Je ne vais pas disserter sur la terminologie.

Je pense qu’il y a un vrai sujet. On constate que le trafic sur Internet est en train de devenir massivement crypté, parce qu’il y a des intermédiaires, Yahoo, Google, d’autres, qui cryptent de plus en plus les messages. Cela a été mis en place après l’affaire Snowden.

Mais derrière, ça pose une question  : qui contrôle ce cryptage  ? Dans quelles conditions est-il fait, où sont les clés  ? Est-ce que le cryptage respecte le secret des correspondances  ? Parce qu’on en sait rien  : peut-être que c’est crypté pour certains et pas pour d’autres.

Donc derrière cet acte commercial spontané, des questions se posent. Ne faut-il pas qu’une autorité publique regarde, non pas le contenu des messages, mais la manière dont est opéré le cryptage  ? Qu’elle apporte une certification sur le processus de cryptage lui-même, qu’elle assure que ce cryptage n’est pas en train de déformer les communications ou que, sous couvert de les protéger, ce n’est pas en train de violer le secret des correspondances  ?

On n’est pas obligé de faire une confiance aveugle à ces acteurs-là.

Je ne sais pas si c’est que le Premier ministre a voulu dire, mais c’est une question de politique publique qui doit être posée à mon humble avis.