Le Conseil de la concurrence a lourdement sanctionné les opérateurs mobiles pour s'être partagé le marché entre 2000 et 2002. Comment expliquez vous que le régulateur n'ai, lui, rien vu venir ?
La recherche et le pouvoir de sanctionner les ententes anticoncurrentielles relèvent des prérogatives du Conseil de la concurrence qui, seul, peut mobiliser les enquêteurs de la DGCCRF et imposer les sanctions financières. L'ARCEP ne dispose d'aucune compétence en la matière. Notre action est complémentaire et vise à prévenir les abus de position dominante. Mais on ne prévient pas une entente : on la sanctionne quand on la constate. Quand l'ouverture à la concurrence des télécommunications sera achevée, la régulation sectorielle, sauf la gestion des ressources rares comme les fréquences, par une autorité comme la notre ne se justifiera plus. Alors que la répression des comportements anticoncurrentiels par le Conseil de la concurrence sera toujours indispensable, comme dans n'importe quel secteur de l'économie.
Les opérateurs télécoms assurent pour leur défense que c'est vous qui les avez poussé à s'échanger des informations sur leurs marchés?
Ce n'est pas un argument recevable, lisez la décision du conseil. L'enquête a mis en lumière que les échanges d'informations entre les trois opérateurs allaient bien au delà de ce que nous demandions. Il y a de plus une différence entre s'échanger des informations détaillées pour coordonner des actions illicites et prendre connaissance d'une information partielle dans les communiqués trimestriels de l'Arcep ! Cela dit le sujet de la transparence n'est pas blanc ou noir. Notre rôle est aussi d'imposer une transparence minimum. Celle-ci fait partie du bon fonctionnement d'une économie de marché, de la même façon que la Bourse impose de le faire. Le problème vient du fait que la structure oligopolistique du marché mobile avec seulement trois acteurs et un ticket d'entrée très élevé, favorise les comportements collusifs qu'ils soient tacites ou explicites.
Mais vous n'avez rien soupçonné durant toutes ces années ?
En grande partie parce qu'à cette époque, les pouvoirs du régulateur étaient réduits. De plus, l'industrie du mobile était émergente et les investissements lourds. La présence des trois opérateurs sur le marché en faisait un domaine déjà concurrentiel par rapport au marché de la téléphonie fixe encore fortement monopolistique. Mais, suite à la transposition en droit français de la directive européenne " paquet télécom " en 2004, nous avons lancé une analyse du fonctionnement des marchés mobiles. Nous avons constaté une réduction inquiétante de l'intensité concurrentielle au détriment des consommateurs. Notre constat s'appuyait, entre autres, sur la grande stabilité des parts de marché, un certain parallélisme de comportement, la croissance des revenus moyens par client, le manque d'offre compétitive pour les petits consommateurs et la profitabilité croissante des opérateurs.
Que pouvez vous faire quand vous constatez cela ?
Dans le mobile, l'intervention directe sur les marchés de détail relève de la compétence du Conseil de la concurrence. Conformément à la volonté du législateur, l'ARCEP privilégie des interventions sur trois marchés de gros : les appels fixes vers mobiles, le départ d'appel (pour les opérateurs virtuels MVNO) et l'itinérance internationale (roaming). Nous en avons rajouté un avec les SMS. Mais devant la menace du veto de la Commission, l'Arcep a suspendu cet été son analyse du marché de gros pour les MVNO en échange d'une mise sous surveillance du marché. Nous nous interrogeons toujours sur la valeur des accords actuels de MVNO qui semblent être exagérément restrictifs en ne laissant pas assez de liberté commerciale et ne permettent pas à ces nouveaux opérateurs de proposer des offres de convergence fixe/mobile. Le dossier n'est donc pas clos et les opérateurs le savent. Notre analyse sera conclue fin 2006.
La Commission de Bruxelles joue-t-elle son rôle pour garantir la concurrence sur le marché des mobiles ?
Jusqu'au début de 2005, tout se passait parfaitement. Le dialogue et l'échange d'analyses marchait très bien, notamment en matière de régulation de la terminaison d'appel mobile, où la Commission a une doctrine claire. Depuis le processus est quelque peu enrayé. Cela a commencé lorsque nous avons voulu imposer des conditions d'accès plus favorables aux opérateurs mobiles virtuels.
Vous voulez diviser par deux le prix de gros du SMS. Pensez-vous avoir le feu vert de Bruxelles pour cela ?
Nous sommes confiants. Nous allons bientôt saisir le Conseil de la concurrence sur le sujet puis nous nous tournerons vers la Commission au printemps. Nous verrons alors quelle sera sa position. Si tout va bien, la baisse sur les marchés de gros sera effective avant l'été. Et notre volonté de réduire de moitié le prix du SMS n'est qu'un début.
Quand allez-vous lancer votre analyse du marché de l'itinérance internationale (appels depuis l'étranger) ?
L'Arcep lancera d'ici quinze jours son analyse du marché qui montrera que la situation n'est clairement pas satisfaisante. Mais nous devons avoir un minimum de coopération et d'engagement direct de la Commission européenne sur un tel sujet. Voila un marché qui est au cœur de la construction du grand marché intérieur. Si nous n'y arrivons pas, nous mettrons la Commission devant ses responsabilités.
Propos recueillis par Philippe Escande et Frédéric Schaeffer