Quel bilan tirez-vous de 10 ans de régulation sectorielle ?
L’ouverture à la concurrence du secteur est une réussite en Europe et particulièrement en France. Elle a contribué à dynamiser le secteur au bénéfice du consommateur, favorisé l’innovation (pensons au triple play) et l’investissement dans les infrastructures. Ce résultat positif est dû aux caractéristiques intrinsèques du secteur des communications électroniques, où l’innovation technologique est permanente, au cadre européen bien conçu et bien transposé, au dynamisme et au pragmatisme des acteurs nationaux, à commencer par France Télécom et enfin à une régulation efficace menée par l’ARCEP et le gouvernement. J’ajoute que l’action récente des collectivités territoriales devient un élément déterminant de cette dynamique.
Le téléphone mobile de troisième génération, dont les licences ont été vendues à des prix astronomiques dans toute l’Europe, est un échec. Pourquoi un nouveau candidat souhaiterait-il acquérir la 4e licence restée libre en France ?
Le décollage de la 3G est plus lent que prévu mais ce n’est pas un échec : la 3G comptera plus de 4 millions d’abonnés en France à la fin de l’année. et l’appétence de nos concitoyens pour le multimedia mobile est avéré. Le déploiement de la 3G+ (HSDPA) qui offrira des débits comparables à ceux d’une ligne ADSL d’entrée de gamme devrait être un accélérateur. La 3G devrait permettre aux abonnés de faire sur leur mobile tout ce qu’ils font sur leur PC connecté à Internet. Mais cette extension des usages du fixe au mobile n’a pas encore eu lieu massivement. Il ya encore beaucoup de nouveaux services à inventer, il faut faire preuve de créativité. Aujourd’hui, la technologie est au point, le prix des équipements a baissé : un nouveau candidat peut parfaitement être intéressé.
Orange, SFR et Bouygues ont chacun payé leur licence 619 millions d’euros. Le nouvel opérateur devra bien sûr acquitter le même prix, par souci d’équité ?
La question financière est du ressort du ministre. Mais équité ne veut pas dire égalité stricte. Le quatrième opérateur mobile entrera avec un handicap. Juridiquement, le gouvernement a une certaine latitude, par exemple en étalant le paiement de la redevance initiale, comme le demandent des candidats potentiels. Je note que la Commission vient de juger légale la baisse du prix de la troisième licence tchèque attribuée à Vodafone en 2005 et qui était contestée par les titulaires des deux premières licences délivrées en 2001.
Les fréquences, indispensables aux chaines de télé comme aux opérateurs télécoms, sont rares. Bruxelles voudrait les mettre aux enchères. Est-ce souhaitable ?
Les opérateurs télécoms, qui paient leurs fréquences, contrairement à l’audiovisuel, en ont toujours eu une gestion parcimonieuse. Il est certain que la gestion rigide du spectre héritée du passé, n’est pas le meilleur moyen d’encourager l’innovation ; les technologies sans fil sont par ailleurs devenues un élément moteur de l’économie. Pour autant, la Commission européenne met le curseur trop loin. Une banalisation complète de la gestion du spectre civil, notamment par la généralisation des enchères, représente un saut dans l’inconnu. Un dividende numérique harmonisé en Europe serait déjà un pas dans la bonne direction qui ne remettrait pas en cause le dispositif actuel, même si personnellement, en tant qu’économiste, je suis favorable à une gestion plus économique du spectre
La convergence actuelle entre les télécoms, l’internet et l’audiovisuel doit-elle conduire à un rapprochement de l’Arcep et du CSA?
Ces deux autorités ont des missions très différentes. Le CSA est un régulateur du contenu, protecteur des libertés publiques et du lien social. L’ARCEP est un régulateur économique et concurrentiel des réseaux. Comment mieux gérer et valoriser le spectre pour le bénéfice de l’économie française, voilà la vraie question de fond. Les changements institutionnels au niveau national et communautaire seront naturellement la conséquence des réponses apportées. Je me réjouis que ce débat de fond soit aujourd’hui sur la place publique notamment au travers de rapports récents, comme celui sur l’économie de l’immatériel et le rapport de la délégation à l'Aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée Nationale, présidée par M. Emile Blessig
La France, en pointe sur l’internet haut débit (ADSL), gardera-t-elle son avance dans le nouveau chantier du futur, celui de la fibre optique ?
La France qui partait avec de lourds handicaps a rattrapé les Etats-Unis en matière d’Internet haut débit. Dynamisée par des sociétés comme Free, qui a inventé le concept de "box" internet, Neuf et France Télécom, la France est aujourd’hui très en avance sur l’ADSL, au point d’être étudiée comme modèle dans les business schools américaines! Au final, la pénétration d’internet haut débit est meilleure dans notre pays que chez nos voisins et les prix pour le consommateur y sont plus bas. Mais bientôt, au lieu d’être connecté par un fil de cuivre les abonnés le seront en fibre optique. C’est sans nul doute la technologie du futur, mais les usages et la demande sont incertains
La reconstruction d’une boucle locale en fibre est un chantier énorme : plusieurs dizaines de milliards d’investissement et plus de 10 ans de travaux : il faut réouvrir les trottoirs et poser des câbles dans les immeubles. Il nous paraît indispensable de mutualiser au maximum les investissements en privilégiant le partage du génie civil et le cablage dans les immeubles. La puissance publique et les collectivités territoriales ont un rôle fondamental à jouer pour créer un cadre favorable au déploiement du très haut débit, dans un contexte de saine concurrence
Les Français, qui voient leur facture télécom augmenter, devront-ils dépenser encore plus ?
Les gens communiquent de plus en plus, mais les prix baissent. La facture télécom d’un ménage reste donc quasi stable. L’arcep n’a pas vocation à intervenir sur les prix de détail. Nous intervenons sur les prix de gros, entre opérateurs. Sur le prix des appels mobiles passés à l’étranger (le roaming), nous soutenons pleinement la Commission dans ses objectifs tout en ayant des divergences techniques sur les moyens proposés, notamment pour la régulation des prix de détail.
Propos recueillis par Yann Le Gales et Marie-Cécile Renault