LE FIGARO: Dans vos décisions concernant les réseaux à haut débit, quelle place accordez-vous à l'aménagement du territoire?
Jean-Michel Hubert: Le texte même de la loi créant l'ART en fait l'une des finalités de la régulation, au même titre que l'emploi et l'économie. Le réflexe "couverture du territoire" irrigue donc à tout moment nos décisions.
Q : Le déploiement du haut débit est-il aujourd'hui suffisant?
J.M.H.: Notion relativement récente, le haut débit est désormais un objectif majeur pour le développement des télécoms, et plus largement pour le développement de notre économie et de la société de l'information. Câble, ADSL, boucle locale radio, UMTS: plusieurs technologies sont en présence, chacune s'introduisant à son rythme propre. Notre but est de faire en sorte que leur recouvrement permette d'organiser l'accès de tous à ce nouveau média.
Q : Reste que la carte des "dorsales" qui assurent le transport des messages collectés par ces réseaux locaux ne ressemble en rien à celle de nos autoroutes, qui, elles, irriguent tout le territoire...
J.M.H.: On peut certes comparer les images de deux réseaux, autoroutiers et télécoms, mais cette approche trouve très vite sa limite. Si au demeurant vous superposiez les deux cartes actuelles, vous constateriez une desserte du territoire français, et européen, déjà considérable en artères de haute capacité.
Mais la comparaison s'arrête là. Parce que le processus d'investissement n'est pas le même et que les réseaux de télécommunications sont aujourd'hui financés et construits par des entreprises confrontées aux réalités économiques qui s'adaptent aux bassins de vie et d'activité. La concurrence est là pour renforcer la dynamique de cette approche. Ensuite, parce que ces nouveaux opérateurs ont choisi d'accéder au marché par la longue distance. La relation avec le consommateur final n'était pas jusqu'à ces derniers temps un objectif stratégique. Enfin, parce que sur une autoroute, c'est la personne qui se déplace, sur un câble, c'est le message qui circule. Peu importe par où il passe pourvu qu'il soit délivré. La localisation de ces artères principales n'est donc pas en soi un enjeu. C'est le maillage qui importe. D'où notre objectif d'instaurer la concurrence sur la boucle locale.
Q-Vous est-il possible néanmoins de modifier le projet d'un opérateur, d'imposer un autre schéma?
J.M.H.: Non, nous n'avons pas le pouvoir d'imposer un schéma particulier, ce serait une intervention dans la gestion de l'entreprise. En revanche, nous contrôlons la mise en œuvre des obligations inscrites dans les licences. Ainsi, l'attribution des préfixes de sélection du transporteur était assortie d'engagements sur la desserte de chaque région métropolitaine.
Nous ne faisons pas les règlements, nous avons la charge de leur mise en œuvre, par tous. Notre action vise à ce que les conditions du marché et de son ouverture soient suffisamment incitatives pour que des acteurs se présentent. Notre maître mot est la concurrence, il nous appartient d'éliminer les obstacles qui entravent son développement. Trois de nos décisions portent déjà des fruits: tous les "câblos" s'ouvrent à l'Internet et au téléphone, il y aura des opérateurs de BLR dans toutes les régions de France et 37 sociétés participent aujourd'hui à des expériences de dégroupage.
C'est le consommateur qui tirera bénéfice de ces développements du marché et notre objectif est naturellement qu'il en soit ainsi sur tout le territoire.
Q - Certains élus, pourtant, craignent que leurs collectivités, faute d'opérateurs intéressés, soient privées de services à haut débit...
J.M.H.: L'objectif est clair, mais naturellement tout ne se fera pas du jour au lendemain, dans chaque nouvelle technologie. Sans doute faut-il permettre aux collectivités territoriales de favoriser l'intervention des opérateurs et, dans une période transitoire, de permettre l'accélération de l'investissement. Les élus régionaux et départementaux sont bien placés pour analyser les besoins géographiques et par là même, apprécier les priorités correspondantes. A cet égard, comme je l'ai dit à Clermont-Ferrand, lors de Multimédiaville, et comme la préparation du projet de loi sur la société de l'information semble le confirmer, la loi doit être modifiée. Les contraintes que ce texte a établies - l'obligation de constat de carence, des durées d'amortissement trop courtes,... - sont excessives.
Pour être efficace, l'action des collectivités devra présenter trois caractéristiques: être une incitation pour les opérateurs, se définir comme une phase transitoire dont l'objectif est de contribuer à la concurrence, être neutre vis-à-vis des différents intervenants.
Bref, à ce détail prés, vous estimez que la France, en matière de haut débit, est sur le bon chemin...
J.M.H.: C'est une volonté nationale et partagée par tous de développer le haut débit et d'éviter l'apparition d'une "fracture numérique". Le Parlement, le régulateur, les opérateurs y participent, chacun selon sa responsabilité propre. Cela suppose des investissements qui se mettent en place progressivement, en tenant compte des priorités. Tout ne se fera pas en un jour. Cela ne saurait faire douter de l'objectif.
propos recueillis par serge HIREL