Les collectivités locales et territoriales sont déjà depuis quelques années au cœur des problématiques de communication, d’accès aux réseaux et aux services. Le changement de cadre réglementaire avec la mise en place de la loi sur " la confiance dans l’économie numérique " tout autant que la future loi sur " les communications électroniques ", elle aussi en cours d’examen par le Parlement, auront indubitablement un impact sur l’accès des territoires au haut débit et par là-même sur le futur paysage des télécommunications.
Dans cette perspective, l’Autorité de Régulation des Télécommunications va jouer un rôle majeur et tisser un lien nouveau avec les élus qui auront très bientôt plus de responsabilités dans ce domaine tant du point de vue de la mise en place des infrastructures que de la gestion et de l’exploitation de celles-ci. Validation des projets, conditions de mise à disposition des réseaux, règlement des litiges pouvant survenir, sont autant de sujets sur lesquels l’ART devra dans les mois à venir, réfléchir sur le nouveau cadre relationnel de l’Autorité et des collectivités. Aussi avons-nous demandé à Gabrielle Gauthey membre du Collège de l’ART et précédemment en charge des collectivités locales, entre autres, à la Caisse des Dépôts, d’analyser ce nouveau cadre relationnel.
T.I.News : Merci tout d’abord de nous accorder cette interview en ce moment de complète mutation du paysage " Telecom et audiovisuel ". Une première question sur votre rôle, déterminant me semble-t-il, sur vos prérogatives et vos objectifs.
Tout d’abord nous faisons le constat des attentes des collectivités dans ces nouvelles perspectives. Elles ont besoin de sécuriser leurs actions dans le cadre de leurs nouvelles responsabilités. Au moment où elles construisent et s’engagent dans un domaine souvent nouveau pour elles, elles souhaitent recueillir le sentiment de l’ART. Sans donner un avis formel en amont, l’ART est prête à les accompagner en travaillant à l’établissement de quelques lignes directrices, leur permettant de concilier au mieux action publique et concurrence.
Pour cela , l’ART, a besoin de mieux connaître les projets afin d’engager un dialogue plus approfondi que par le passé avec les collectivités.
Mais pour le moment ce cadre réglementaire n’est pas encore modifié.
C’est vrai, vous avez raison. Mais il s’agit d’une volonté politique et ce nouveau cadre législatif sera fixé dans les mois qui viennent après les inévitables amendements. Mais il faut souhaiter que les prérogatives nouvelles des collectivités leur laissent davantage de latitude pour s’engager dans des partenariats avec des opérateurs et des fournisseurs de services pour l’accès de leur territoire au haut débit, comme c’est le cas chez la plupart de nos voisins.
Pour le moment, les collectivités peuvent déjà réaliser de nombreux projets avec l’article L-1511-6. Les appels d’offres et consultation des collectivités, et ils sont nombreux en ce moment, se font donc bien dans ce cadre réglementaire. Dès que le fameux article 1425-1 dont les enjeux font couler beaucoup d’encre, sera voté et il faut souhaiter qu’il le soit, les collectivités pourront envisager de nouvelles tranches de réalisation de leurs projets en conformité avec la future loi.
Cela veut-il dire qu’il faut amener le 2Mbs partout et à n’importe quel prix ?
Cet objectif n’est pas réaliste évidemment uniformément à court terme. Il faut, au préalable, définir les besoins en dissociant ceux du grand public, du monde professionnel, et ceux de la commande publique (Etat et collectivités publiques), particulièrement structurante sur un territoire. La cartographie numérique des besoins d’un territoire à 3 ou 4 ans, ainsi que la connaissance fine des réseaux et des emprises disponibles est essentielle pour guider les projets. C’est cette analyse, qui permet de détecter les chaînons manquants et de préconiser les solutions pour y remédier.
Ainsi, du fait du déséquilibre d’infrastructures existant entre les opérateurs, non seulement sur la boucle locale, mais également sur les réseaux de collecte intermédiaire, ceux-ci ne partent souvent pas sur un pied d’égalité dans les réponses aux appels d’offres des collectivités locales.
Alors, justement on a beaucoup parlé à Hourtin d’une mutualisation des " tuyaux ". L’un des rôles de l’ART est de conforter l’équité d’accès tant pour les opérateurs que pour les utilisateurs et de veiller à une concurrence loyale entre tous les acteurs du marché. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons à l’ART rendu plusieurs avis, lors d’arbitrages, qui vont dans ce sens. La question de la mutualisation des " tuyaux " comme vous dites, c’est-à-dire au minimum des fourreaux, voire de la fibre, est une des pistes à explorer. Il serait en effet peu pertinent de dupliquer des fourreaux quand ceux-ci existent déjà, et ainsi de consacrer les fonds publics à du génie civil quand il s’agit de financer des infrastructures de réseaux télécoms
Justement puisque l’on parle de coût ; combien coûte un projet moyen de département ?
La plupart des projets de département se montent en moyenne à 30/35 millions d’euros. Cela ne signifie pas toutefois que la totalité en incombe à la collectivité.
Comment sont financés les projets ? A qui vont les subventions ?
Le financement peut provenir de sources variées.
Il importe, tout d’abord que la France sache mieux mobiliser les fonds Feder sur les projets TIC, à l’instar de certains autres pays européens. Une rapide évaluation des projets en cours montrait il y a déjà quelques mois qu’un tiers du montant total des investissements était éligible au financement Feder.
Par ailleurs, dans un certain nombre de régions, une inscription au contrat de plan Etat/région est possible.
Enfin, il importe que le risque soit partagé entre la collectivité, qui peut vouloir subventionner le projet, et le privé.
Les modalités de montage des projets sont diverses entre la régie, l’affermage, l’appel d’offres sur performance et la délégation de service public à des consortiums qui peuvent regrouper plusieurs acteurs (opérateurs, constructeurs, banques , comme le CDC..). Tous ne présentent toutefois pas les mêmes garanties d’ouverture à la concurrence.
Justement. Depuis quelques années et en tous cas depuis la progression sensible de l’Internet pour les particuliers et du haut débit en entreprise, il me semble que l’on a beaucoup privilégié la fibre optique au détriment des technologies alternatives.
Il est vrai que les nouveaux opérateurs nés de la déréglementation ont souvent privilégié la desserte en fibre optique dans les zones les plus denses.
Toutefois, il ne faut pas là-encore, confondre collecte et desserte et la problématique en province et dans le monde rural est toute autre que celle en zone urbaine. La fibre optique demeure souvent un investissement pérenne essentiel dans la collecte intermédiaire pour l’opticalisation des répartiteurs, permettant d’ailleurs le dégroupage. En revanche, il est évident que la pose généralisée de fibre jusqu’au client final, le fameux " dernier " kilomètre, serait d’un coût irréaliste et irréalisable. Il s’agit là de trouver des solutions plus crédibles, en alliant toutes les technologies simples et moins coûteuses qui sont à notre disposition : câble, satellite, TV, BLR et, le cas échéant, des technologies nouvelles telles que WiFi pour raccorder des abonnés ou des groupes d’abonnés.
Pour ce qui concerne les " mobiles ", vous n’ignorez pas que la convention signée entre l’état et les opérateurs le 15 juillet dernier propose elle aussi une mutualisation des infrastructures passives et actives dans certains cas pour supprimer les zones blanches dans plus de 3000 communes du territoire national.
Une dernière question si vous le permettez. Est-ce que la synergie entre tous les acteurs, Etat, collectivités, régulateur, opérateurs, est bien admise et va fonctionner réellement ?
Vous savez, il s’agit entre l’ART et les collectivités d’un nouveau mode de travail à instaurer. Cela va durer de nombreuses années et il y aura des ajustements politiques, socio-économiques et concurrentiels à réaliser.
Le point le plus important est que l’ensemble des pouvoirs publics aient pris conscience de la nécessité d’une plus grande implication des niveaux locaux.
Quant à la croissance des usages de l’Internet et au déploiement du haut débit, je suis sûr que tous sont convaincus de la nécessité d’aller dans le même sens, d’y aller vite, mais pas trop, avec comme priorité la sagesse, l’efficacité et la concordance entre d’une part les besoins des uns et les offres des autres et d’autre part entre l’action publique et la préservation de la concurrence.
Nous avons donné rendez-vous à Gabrielle Gauthey dans un an. D’ici là le cadre législatif sera figé, les technologies auront encore avancé, et bon nombre de projets auront été menés à bien. Autant de raisons de faire le point.
Propos recueillis par Georges Rouilleaux